Un match parfait

La finale de la coupe Stanley qui a opposé dans l’année du centenaire du Canada les équipes de Toronto et de Montréal a mis un terme à des séries éliminatoires d’une ampleur mythique.

par Frank Orr; traduit de l'anglais par Marie-Catherine Gagné

Mis en ligne le 1 janvier 2017

Le grand comédien Johnny Wayne qui assistait à un entraînement des Maple Leafs de Toronto au Maple Leaf Gardens dans la saison 1966‐1967 de la Ligue nationale de hockey, lança moqueur la boutade suivante : « Ce ne sont pas les blessures au genou qui nuiront à cette équipe, plutôt les chirurgies de la prostate. » M. Wayne signifiait à sa manière que l’effectif des Leafs était, selon les standards de la LNH, composé de vieux. Sept joueurs actifs cette saison‐là avaient au moins trente-six ans, chose exceptionnelle dans le monde des sports professionnels.

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Cela explique pourquoi la victoire des Leafs à la coupe Stanley en 1967 ressort des quatorze titres remportés par des équipes torontoises, onze sous la bannière Maple Leaf. La finale, qui a opposé les Leafs à leurs grands rivaux les Canadiens de Montréal, fut un match parfait : deux des « six équipes originales » du Canada croisaient le fer durant l’année du centenaire du pays.

Le sixième et décisif affrontement, qui s’est soldé par une victoire de 3 à 1 contre les Canadiens au terme d’une partie magnifiquement jouée, reste gravé à jamais dans la mémoire des 15 977 partisans présents dans le Maple Leaf Gardens ce soir‐là, et des millions de personnes rivées à leur poste radio ou à leur télé. Cette fantastique soirée de mai ne se répétera pas dans la seconde moitié du centenaire de la LNH, période durant laquelle les Leafs ont formé des équipes, la plupart du temps médiocres – récoltant de grosses recettes au guichet, mais de minuscules résultats sur la patinoire.

Les Leafs ont participé à beaucoup de parties remarquables dans les cinquante premières années de la ligue. Mais, pour le seul aspect dramatique, l’exploit de 1967 sort du lot – la sixième partie, une prestation de soixante minutes à couper le souffle et d’un suspense insoutenable.

Les Leafs des années 1960 sont devenus, sous la gouverne du directeur entraîneur George (Punch) Imlach, une puissante machine. Dès la saison 1966‐1967, M. Imlach sembla s’inspirer de Casey Stengel, un gérant de génie de la Ligue majeure de baseball au langage particulier, qui déclara un jour « Don’t forget the folks what brung ya » (« N’oubliez pas les gens qui vous ont amené jusque là. »)

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Renonçant à rajeunir son effectif, M. Imlach préféra s’en tenir à ses anciens joueurs, faisant ainsi des Leafs un « foyer de vieux » avec comme gardiens de but, Johnny Bower, 42 ans et Terry Sawchuk, 37 ans, les défenseurs Allan Stanley, 41 ans, Tim Horton, 37 ans et Marcel Pronovost, 37 ans, ainsi que les avants George Armstrong, le capitaine, 36 ans et Red Kelly, 39 ans. Les Leafs comptaient aussi sur l’excellent joueur de centre ambidextre Dave Keon en plus des anciens avants aguerris Bob Pul¬ford et Frank Mahovlich, des dééfenseurs Bob Baun et Larry Hillman. Les avants Ron Ellis, Pete Stemkowski, Jim Pappin, Brian Conacher et Mike Walton formaient l’élément jeunesse et rapidité.

Les Blackhawks de Chicago, champions de la ligue, avec Bobby Hull et Stan Mikita dans leurs rangs, étaient pressentis pour balayer la série demi-finale contre les Leafs. Mais grâce à l’extraordinaire prestation des vieux Bower et Sawchuck devant le but, les Leafs ont remporté la série en six parties.

Les Leafs n’étaient pas les favoris contre les jeunes « Habitants », et lorsque les Canadiens remportèrent la première partie 6 à 2, à Montréal, le ciel des Leafs s’assombrit. Pourtant, appuyés par une superbe prestation du gardien Bower, les Leafs gagnèrent les deux parties suivantes. Dans le quatrième match, Bower se blessa durant l’échauffement, son remplaçant Sawchuk trouva la soirée longue en accordant 6 buts dans la défaite de 2 à 6. Mais dans la partie suivante, Sawchuk excella dans la victoire de 4 à 1 à Montréal.

Au cours la sixième partie, dans un Maple Leaf Gardens bondé, ce fut plus souvent des murmures anxieux que des acclamations qu’on entendit alors que Sawchuk stoppa les dix-sept tirs dirigés vers lui en première période. Il y eut une explosion retentissante lorsqu’Ellis mis fin à l’impasse à 6 min 25 s de la deuxième période, et une autre plus forte quand Pappin doubla l’avance dans la dernière minute. Mais voilà que Dick Duff, ancien joueur populaire des Leafs, marqua un but pour les Canadiens à 5 min 28 s en troisième période. Le score était 2‐1.

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On est dans la dernière minute. Une mise au jeu a lieu dans la zone des Leafs, les Canadiens retirent leur gardien de but. Un silence anxieux règne dans le Gardens au moment où Imlach désigne les cinq patineurs qui lui ont été fidèles ces dix dernières années &ndash Kelly, Armstrong, Pulford, Horton et Stanley. Le défenseur Stanley gagne la mise au jeu contre le puissant Jean Béliveau, il passe la rondelle à Kelly qui la relaie à Pulford. Lorsque des joueurs des Canadiens foncent vers lui, Pulford aperçoit Armstrong qui, de son coup de patin laborieux, approche de la ligne bleue. La passe précise de Pulford permet au vétéran capitaine de lancer la rondelle dans le but déserté d’une distance de 90 pieds. C’est peut-être le but le plus célèbre de l’histoire du bleu et blanc.

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Frank Orr est un ancien chroniqueur de hockey du Toronto Star qui a écrit une trentaine de livres sur les sports.

Cet article a été publié à l'origine dans le magazine Canada’s History, décember 2016-janvier 2017.

Cet article est aussi offert en anglais.

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