Annie Mae Aquash

Assassinée pour ses convictions politiques, l’activiste micmaque Annie Mae Aquash nous a légué un héritage spirituel qui refuse de s’éteindre.

Écrit par Yvette Nolan

Mis en ligne le 25 janvier 2016
Photographie couleur montrant Annie Mae assise dans une chaise.

Je m’imagine que le temps était froid et venteux le jour où on a assassiné Annie Mae. Je l’imagine devant le précipice, sachant que tout est terminé, priant pour ses filles. Était-elle terrifiée, ou a-t-elle été touchée par la grâce dans ces derniers moments? A-t-elle fait preuve de courage et était-elle convaincue que toutes ses actions en avaient valu la peine?

Annie Mae Pictou est née en Nouvelle-Écosse le 27 mars 1945 et été élevée dans la réserve de Shubenacadie et, plus tard, après le second mariage de sa mère, à Pictou Landing. Les réserves du Canada avaient peu à offrir à leurs résidents; ainsi, Annie Mae, comme bon nombre des Autochtones des Maritimes, émigra au Maine pour la récolte annuelle de bleuets et de pommes de terre. En 1962, elle partit pour Boston, avec Jake Maloney, un Micmac de Shubenacadie, et avec qui elle a eu deux filles, Denise et Deborah.

De nombreux Autochtones qui s’installent dans les villes finissent malheureusement dans les quartiers malfamés, et c’est exactement ce qui advint d’Annie Mae. Mais plutôt que de succomber à l’attrait des drogues et de l’alcool, elle s’employa à changer les choses. Elle a été l’une des premières organisatrices du Boston Indian Council, qui a mis sur pied des programmes de logement, d’emploi et de lutte contre les drogues et l’alcool. Elle a travaillé dans les premières « écoles de survie », où elle a enseigné à des jeunes autochtones, en veillant à renforcer leur fierté à l’égard de leur culture et de leur patrimoine.

Mais Annie Mae aurait souhaité que les écoles de survie entraînent des changements plus rapides. Lorsque le American Indian Movement occupa Wounded Knee en 1973, Annie Mae et son amant, Nogeeshik Aquash, décidèrent de se joindre aux manifestants. Elle laissa ses deux filles aux soins de sa sœur Mary et partit pour le Dakota du Sud, où elle fit passer de la nourriture et des médicaments à Wounded Knee, alors assiégée. Elle participa à la construction des bunkers et aux patrouilles de nuit avec les hommes. Elle épousa Nogeeshik à Wounded Knee, lors d’une cérémonie traditionnelle symbolisant leur engagement envers les valeurs de leur communauté. Annie Mae partageait son destin avec celui des guerriers.

Elle devint un leader du AIM (American Indian Movement), mais ne sacrifia en rien son lien avec les femmes, ni son engagement envers le travail communautaire. Elle s’entraînait physiquement avec les hommes et continuait de participer aux travaux des femmes. Toute sa vie, elle mit l’accent sur l’importance de l’éducation, d’une saine alimentation et de la résistance.

Cependant, le American Indian Movement dont faisait partie Annie Mae était déjà déstabilisé, infiltré par des agents du FBI. Le plus connu, Doug Durham, qui se faisait passer pour un indien un quart Chippewa, gravit rapidement les rangs de l’organisation et prit en charge la sécurité, malgré les doutes soulevés par Annie Mae et les autres femmes.

La révélation du rôle d’espion de Durham, et le fait qu’il s’en soit plus tard vanté dans les médias, mit les membres du AIM sur la défensive et les rendit paranoïaques; leurs soupçons tombèrent sur Annie Mae. Après la tuerie sur la propriété de Jumping Bull en 1975, où deux agents du FBI et un Autochtone furent tués, événement qui mena à l’emprisonnement du leader du AIM, Leonard Peltier, Annie Mae devint une cible du FBI. Elle fut arrêtée, interrogée plusieurs fois et libérée, contribuant ainsi à alimenter les rumeurs selon lesquelles elle agissait à titre d’informatrice.

Les dernières fois où sa famille eut de ses nouvelles, Annie Mae avait été arrêtée et savait sa vie en danger. Elle parlait d’hommes, mais également d’agents du FBI, qui la traquaient. Dans un moment de clairvoyance, elle demandera à sa soeur de conserver ses lettres afin que ses filles se souviennent d’elle. Elle n’appela pas à la maison le jour de Noël 1975 et le 24 février 1976, son corps fut retrouvé au bas d’une falaise à Wanblee, dans le Dakota du Sud. Personne ne fut accusé du meurtre pendant 27 ans.

Mais l’esprit d’Annie Mae refuse de mourir. Des films, des documentaires et des livres sur sa mort suspecte continuent de paraître, et les rumeurs continuent de circuler, dans la presse et sur Internet, au sujet de l’implication du AIM dans son exécution. Finalement, à la fin de mars cette année, on a procédé à une arrestation, possiblement suivie d’une autre.

L’homme accusé était un des responsables de la sécurité du AIM; il aurait eu 21 ans en 1975. Au moment de son arrestation, il était sans domicile fixe, à Denver. L’autre suspect, qui court toujours, aurait eu environ le même âge. Si ces deux hommes sont condamnés et emprisonnés pour le meurtre d’Annie Mae, pourra-t-on dire que justice a été rendue? Est-ce que cela suffira pour les familles, les amis et pour toutes ces femmes qui, comme moi, ressentent l’obligation de parler au nom des peuples autochtones pour que la mort d’Annie Mae n’ait pas été vaine?

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La pièce d’Yvette Nolan, Annie Mae’s Movement, a été présentée à Whitehorse, Winnipeg, Toronto et Halifax. Elle est la directrice artistique de Native Earth Performing Arts à Toronto.

Cet article est paru à l’origine dans le numéro de août-septembre 2003 du magazine The Beaver.

Mise à jour : Dans le Dakota du Sud, en 2010, un autre militant de l’AIM, un certain John Graham, a été reconnu coupable du meurtre d’Annie Mae Aquash.

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