Les Ursulines de Québec - la fin d’une époque

Après 376 ans d'occupation, les Ursulines de Québec quittent leur monastère où elles habitent depuis 1642. Voici l'histoire de ce complexe monastique exceptionnel.

Écrit par Mathieu Drouin 

Mis en ligne le 16 mai 2017

Le 10 mai dernier a été rendue publique une nouvelle qui a secoué le monde patrimonial de Québec et du Canada : en septembre 2018, les Ursulines quitteront le monastère qu’elles auront habité pendant plus de 375 ans. Elles emménageront dans une nouvelle résidence construite pour elles et pour les Servantes du Saint-Cœur-De-Marie.  C’est ce qu’on peut nommer la fin d’une époque.

Pour rendre hommage à ces pionnières du Canada, voici une courte histoire du monastère des Ursulines de Québec.

L’histoire des Ursulines de Québec commence en 1639, avec l’arrivée de Marie de l’Incarnation et deux de ses consœurs ursulines françaises et de Madeleine de la Peltrie, leur bienfaitrice. En attendant la fin de la construction de leur monastère permanent, les religieuses ‒ qui sont alors cloîtrées et le resteront jusqu’en 1965 ‒ demeurent dans une petite maison de la Place Royale. Il s’agit de la première école pour filles en Nouvelle France. En 1642, les enseignantes emménagent dans leur monastère : un bâtiment de 92 pieds de longueur par 28 de large, fait en pierre de Beauport. « [C]’est la plus belle et grande qui soit en Canada pour la façon d’y bâtir », selon les mots de Marie de l’Incarnation.

Le 30 décembre 1650, le couvent est détruit par les flammes. Une miche de pain laissée sans surveillance déclenche le brasier qui consume l’essentiel du bâtiment. Seuls les solides murs de pierre résistent à l’incendie. Les Ursulines se réfugient chez les Augustines, puis chez leur bienfaitrice le temps que le monastère soit reconstruit sur les ruines du premier.

En 1652, les religieuses prennent possession du couvent reconstruit. Elles y ajoutent une chapelle, dite de Madame de la Peltrie. La bienfaitrice décède en 1671, suivie de près par Marie de l’Incarnation, en 1672. Les deux courageuses femmes sont inhumées sous la chapelle.

En 1686, le malheur frappe de nouveau : un autre incendie ravage le monastère. Cette fois, même les fondations, ainsi qu’un embryon d’aile qui était en construction, sont anéanties. De nouveau, les religieuses sont logées par les Augustines, puis dans la maison de Madame de la Peltrie. On recommence à ériger l’addition ‒ l’aile Sainte-Famille ‒ que l’on avait commencée en 1686, qui est terminée en 1688. L’aile originelle ‒ l’aile Saint-Augustin ‒ est reconstruite en 1689.

Les décennies qui suivent sont fastes pour les Ursulines, qui ajoutent deux autres ailes ‒ des Parloirs et Sainte-Ursule ‒ à leur couvent, et agrandissent Sainte-Famille. Elles se dotent également d’une nouvelle chapelle, dont les décorations subsistent aujourd’hui. Les écolières et les religieuses deviennent de plus en plus nombreuses.

À l’été 1759, des vaisseaux britanniques se stationnent devant Québec, et bombardent la ville. Quelques boulets causent des dommages mineurs aux bâtiments. Une bombe passe par le plafond de la chapelle, et troue le plancher. Le 13 septembre, les troupes françaises sont défaites sur les Plaines d’Abraham. Le général Montcalm, blessé mortellement, décède le lendemain, et est inhumé, dit-on, dans le trou laissé par la bombe britannique. Le 21 septembre, le rez-de-chaussée du monastère est réquisitionné pour servir d’hôpital militaire et de quartier général des Britanniques. C’est là que James Murray ‒ il avait remplacé James Wolfe, mort sur les plaines ‒ condamne à mort Marie-Josephte Corriveau, après un procès pour meurtre encore controversé aujourd’hui. Pendant ce temps, les religieuses vivent recluses aux étages supérieurs. Elles reprendront possession de leur couvent après un an de cohabitation forcée.

Les Ursulines, résilientes comme toujours, résistent à la tentation de repasser en France, malgré une situation financière précaire. Au début du 19e siècle, elles reprennent le chemin de la prospérité en modifiant leur administration et en faisant de leur école pour filles ‒ désormais bilingue, multiconfessionnelle et scientifique ‒ une des institutions les plus prestigieuses d’Amérique. Dès 1835, elles ajoutent de nouveaux bâtiments à leur établissement : Ailes Saint-Joseph, Sainte-Angèle, Saint-Thomas, Notre-Dame-de-Grâce et Marie-de-l’Incarnation, et les bâtiments utilitaires que sont la chaufferie et l’écurie. Elles reconstruisent également leurs chapelles, devenues trop exiguës, et la Maison de madame de la Peltrie. Les Ursulines rayonnent à travers le Canada par leur enseignement avant-gardiste et la saine gestion de leurs avoirs.

En 1965, après le Deuxième Concile du Vatican, les Ursulines ne sont plus tenues à la clôture. Afin d’embrasser la modernité, elles transforment leur pensionnat en externat. Le bâtiment qui habitait leur externat est transformé en musée. En 1988, une dernière aile vient compléter l’ensemble architectural : Marie-Guyart, le gymnase de l’école.

Depuis 2014, plusieurs ailes qui n’étaient pas utilisées à leur plein potentiel sont transformées pour accueillir un centre de la petite-enfance et des bureaux.

376 ans après la construction du premier monastère, 368 ans après la première reconstruction, 332 ans après la seconde, 259 ans après l’occupation des Britanniques, 117 ans après la reconstruction de leur chapelle, 29 ans après l’érection de l’aile Marie-Guyart, les Ursulines de Québec quitteront leur monastère.

Les religieuses ne savent pas encore qui occupera les bâtiments laissés vacants. Il est évident, cependant, qu’elles voudront que leur monastère demeure un haut lieu d’éducation.

Rares sont les moments où un historien comme moi sait qu’un moment historique ‒ vraiment historique ‒ est sur le point de se produire. On nous apprend, dès notre première année d’université, que le passé n’est pas garant de l’avenir. Nous en avons aujourd’hui un éloquent exemple.

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