Les Traités numérotés

Les Traités de l’Ouest du Canada devaient servir à encadrer une cohabitation respectueuse.

Écrit par Wabi Benais Mistatim Equay (Cynthia Bird)

Mis en ligne le 30 avril 2018

Au Canada, les Traités symbolisent la relation unique, de nation à nation, que les Premières Nations entretiennent avec la Couronne. Dans l’Ouest du Canada, les Traités historiques numérotés de 1 à 11 ont été signés, en succession rapide, par les Premières Nations et la Couronne (le Canada) après la Confédération au cours d’une brève période s’étalant de 1871 à 1921. Ils sont aussi pertinents aujourd’hui qu’ils l’étaient lorsqu’ils ont été signés.

Les Traités numérotés servaient d’outils politiques pour conclure des alliances et veiller à ce que les deux parties puissent atteindre les objectifs qu’elles s’étaient fixés, tant au moment de leur signature que pour l’avenir.

Historiquement, les Premières Nations ont eu recours aux Traités pour établir des alliances commerciales entre tribus, mais également pour sceller des amitiés, instaurer la paix, autoriser le passage sur un territoire et l’accès à des ressources communes sur les terres ancestrales d’une autre nation. Le respect et la réciprocité sont les principes de base sur lesquels reposent ces alliances tribales entre nations, comme le Conseil des Trois Feux (ou Confédération des Trois Feux) ; les Cinq Nations, qui sont passées à Six Nations (Confédération haudenosaunee iroquoise) ; la Confédération Wabanaki ; et le Seven Council Fires (Oceti Sakowin). Parmi les Traités intertribaux conclus entre les Premières Nations, on peut nommer le Traité Dish With One Spoon (l’un des premiers Traités nord-américains connus) et la Great Binding Law (vers 1722).

Ces premiers Traités encadrent la cohabitation entre les nations. Elles englobent les épistémologies autochtones – leurs croyances, valeurs, relations, lois, langues et leur sens de la responsabilité envers le passé, le présent et l’avenir. Ce principe de responsabilité fait partie intégrante du protocole des Premières Nations lors d’assemblées où l’histoire orale sert à rappeler les événements du passé pour mieux comprendre où nous en sommes aujourd’hui.

Il s’agit d’une photographie originale illustrant la fin des négociations entourant le Traité no 3 au North West Angle. Elle a été prise par les Wright Bros. Photographers, une entreprise alors établie à Rat Portage, aujourd’hui Kenora, en Ontario. La photo montre un grand rassemblement de négociateurs du Traité avec les Premières Nations. On aperçoit dans la première rangée de quatre hommes, dont trois portent des médailles représentant les promesses des Traités du Canada. Deux des hommes tiennent une pipe avec une longue tige, du type utilisé pour vérifier les engagements des Premières Nations et la Couronne à l’égard des modalités du Traité.
 

La commémoration du 250e anniversaire du Traité de Niagara, tenue en 2014, illustre bien ce sens de la responsabilité. Lors de cet événement, les nations se sont réunies pour entendre le récit des relations et des engagements historiques inscrits sur la ceinture wampum de cette période. C’est dans ce contexte que les Premières Nations continuent de forger et de renouveler leurs relations issues du Traité et poursuivent le dialogue pour rappeler l’intention et l’esprit de ces ententes, qui ont survécu pendant des centaines d’années. Les aînés et les gardiens de la connaissance qui ont conservé leur langue maternelle, leurs enseignements traditionnels et leur lien avec le Créateur et la Loi naturelle demeurent au coeur de ces processus.

« Nous avons la responsabilité de garder ce Traité bien vivant, aujourd’hui et pour les générations à venir, » explique Giizis-Inini (Harry Bone), aîné anishinaabe. « C’est à nous que revient la tâche de regarder vers l’horizon et de protéger ces enseignements pour les prochaines générations. »

Les efforts de diplomatie qui ont mené aux Traités numérotés dans l’Ouest du Canada font partie de l’histoire des Traités de Premières Nations. L’arrivée de nouvelles populations venant des terres étrangères faisait partie des prophéties autochtones : ces populations étaient donc attendues. Les premières relations entre les populations locales et les nouveaux arrivants européens furent paisibles, amicales et respectueuses, pour la plupart. Les empires européens devaient absolument former des alliances militaires et commerciales afin de pouvoir réellement s’installer dans les Amériques. Au fur et à mesure qu’ont évolué les relations et les intérêts des Britanniques, des Français et des Américains, les relations sont devenues plus tendues ; les Premières Nations se devaient d’adopter une approche plus stratégique au moment de conclure leurs alliances.

Forts de leurs expériences lors de la Guerre de Sept Ans (1756–1763), de la Proclamation royale de 1763, du Traité de Niagara (1764), de la guerre de 1812, du Traité de Selkirk de 1817, de la Confédération canadienne de 1867 et de la Résistance de Louis Riel (1870), les Premières Nations ont compris que la création des colonies continuerait d’avoir des répercussions sur leur mode de vie et d’altérer leur relation avec leurs terres ancestrales. Elles savaient qu’elles auraient à déployer tous leurs talents de diplomates pour bâtir et solidifier les liens qui leur permettraient de conclure des alliances stratégiques et d’obtenir la garantie que leur mode de vie et leur relation à ce qu’il restait de leurs terres ancestrales soient protégés pour les générations à venir. En échange, elles savaient bien qu’elles devraient partager une partie de leurs terres avec les nouveaux arrivants.

Les Premières Nations n’ont jamais imaginé qu’à long terme, ces Traités ne leur laisseraient qu’à peine trois pour cent (3,5 millions d’hectares) de leurs terres et qu’ils seraient éparpillés dans 617 petites communautés appelées « réserves » par le gouvernement fédéral.

Les traités consolidaient des alliances, garantissant aux deux parties le partage des richesses exploitées sur les terres ancestrales des Premières Nations, ainsi que le droit pour chacune des parties de conserver son mode de vie.

Les Traités numérotés ont été conclus entre 1871 et 1921, avec une pause de 22 ans entre 1877 et 1899. Les historiens attribuent ce temps d’arrêt aux priorités du gouvernement canadien, qui soutenait alors le développement de l’agriculture dans les Prairies et l’accès au territoire pour la construction du chemin de fer, pour ensuite se tourner vers le Nord et ses ressources minières, son bois et les colonies qui accompagnaient forcément ces nouveaux développements.

Les deux parties de ces Traités numérotés partageaient un sentiment d’urgence. Le livre de 1880 intitulé The Treaties of Canada with the Indians of Manitoba and the North-West Territories, par Alexander Morris, mentionne que les Premières Nations voyaient les Traités numérotés comme une façon de solidifier une relation paisible et durable avec la Couronne. Les Traités consolidaient des alliances, garantissant aux deux parties le partage des richesses exploitées sur les terres ancestrales des Premières Nations, ainsi que le droit pour chacune des parties de conserver son mode de vie.

Les Traités numérotés dans les provinces des Prairies portaient également sur des questions urgentes touchant la vie de tous les jours, comme la nécessité de trouver de nouveaux moyens de subsistance, les besoins des populations touchées par les épidémies et les invasions constantes des colons sur les terres des Premières Nations. La spécialiste du droit autochtone Aimée Craft dans son ouvrage de 2013 intitulé Breathing Life into the Stone Fort Treaty: An Anishinabe Understanding of Treaty One, affirme qu’en 1871 l’intention et l’esprit à la base des Traités des Premières Nations visaient l’établissement d’un lien de filiation et l’intégration des protocoles qui s’étaient jusqu’alors révélés efficaces dans leurs précédents accords commerciaux avec la Compagnie de la Baie d’Hudson et d’autres commerçants.

Comme l’aîné Bone le rappelle, les Premières Nations avaient compris que la Proclamation royale était un document émanant du roi George III, leur reconnaissant le droit d’occuper leur propre territoire en tant que nation. Elles croyaient que la Couronne les protégerait en échange d’un partage de leurs terres. Elles s’attendaient à ce que l’intention et l’esprit de cette entente soient respectés en toute bonne foi.

Pour le Canada, les Traités numérotés permettaient alors au premier ministre de l’époque, John A. Macdonald, de sceller des alliances et de créer un « dominion » avec les terres de l’Ouest et du Nord, reliant ainsi l’Est et l’Ouest, d’un océan à l’autre, et favorisant ainsi la colonisation et l’agriculture. Il empêchait donc les Américains d’annexer le Nord-Ouest. Comme l’expliquent Arthur Ray, Jim Miller, et Frank Tough dans leur ouvrage,Bounty and Benevolence: A History of Saskatchewan Treaties, la Couronne (Canada) devait conclure ces Traités avec les Premières Nations afin de garantir la paix et d’obtenir des terres pour ses colonies ; en échange, les Premières Nations bénéficiaient de la bienveillance et des richesses de la Couronne.

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Le nouveau Canada confédéré s’employait à faire entrer des territoires, comme la Terre de Rupert et les Territoires du Nord-Ouest, dans la Confédération. La Proclamation royale de 1763 continuait de guider les efforts déployés par le Canada pour atteindre cet objectif rapidement.

Les Premières Nations n’avaient pas prévu l’intention du gouvernement canadien de s’acquitter de ses responsabilités constitutionnelles à « l’égard des Indiens et des terres réservées aux Indiens » en créant des politiques restrictives, comme la Loi sur les Indiens de 1876 (datant de la même année que le Traité no 6) et le système de droit de passage de 1885, qui réglementait les déplacements des Premières Nations hors des réserves. Ces politiques transformèrent les relations issues des Traités : du lien de filiation respectueux que les Premières Nations croyaient avoir instauré dans le cadre de la négociation des Traités, elles se voyaient maintenant transformées en pupilles sous la responsabilité de l’État, n’ayant plus voix au chapitre et perdant le contrôle sur leur vie ou sur leurs terres. Le temps des Traités respectueux entre les deux nations se termina abruptement.

Selon l’histoire orale autochtone, dans les années suivant la négociation des Traités, certaines des promesses faites ne se sont jamais retrouvées dans les textes écrits des Traités numérotés. Par exemple, des preuves historiques montrent que l’attitude de la Couronne à l’égard des Traités a changé à partir des années 1870 jusque dans les années 1880. Immédiatement après 1871, les Premières Nations ont tenté de convaincre la Couronne de respecter ses « promesses en dehors du Traité » no 1 (1871) (telles que documentées par Aimée Craft) ; les promesses du document du Traité Paypom associé au Traité no 3 (le document Paypom est composé d’une série de notes originales prises pour le Chef Powasson lors de la signature du Traité no 3) ; et celles du Livre noir associé au Traité no 5 (1875) (tel que décrit par les aînés William G. Lathlin et Darcy Linklater), qui reste encore introuvable

Ces exemples nous rappellent que l’histoire orale est essentielle pour bien comprendre ce qui a été dit et ce qui a été consigné ou non. L’histoire orale des Premières Nations commence à rétablir un équilibre entre l’histoire d’avant et d’après la Confédération sur ce territoire que l’on appelle aujourd’hui le Canada. Cette tradition transforme la narrative de l’histoire du Canada, elle rétablit les faits et rapproche notre histoire de la vérité.

Des historiens modernes, comme Arthur Ray, Jim Miller et Frank Tough, reconnaissent que les Premières Nations ont joué un rôle plus actif dans la négociation des Traités que l’avaient documenté les historiens des générations précédentes. Cette interprétation correspond à la tradition orale des aînés autochtones en ce qui a trait aux Traités, aux nombreuses publications récentes sur notre histoire commune que l’on doit à des auteurs autochtones, incluant les oeuvres d’Aimée Craft et Donna Sutherland, et aux récits d’autres intervenants qui nous aident à mieux comprendre l’histoire des politiques et des Traités. Il est rassurant d’être témoin de cette transformation de la pensée historique, de cette « restauration » de l’histoire, qui contribue à rétablir les faits.

Aujourd’hui, notre compréhension des faits, en tant que peuples des Premières Nations, en tant que Canadiens et en tant que Néo- Canadiens, c’est que nous mangeons tous dans la même « assiette avec une seule cuillère » (Dish With One Spoon). Comme l’explique l’historien Rick Hill, un Tuscarora des Six Nations du Territoire de Grand River, au sujet des enseignements du Traité Dish With One Spoon : « Ne prenez que ce dont vous avez besoin, laissez toujours quelque chose pour les autres et gardez l’assiette propre ». Sous cet éclairage, il importe que nous fassions revivre l’esprit et l’intention de ce premier Traité et de tous ceux qui ont suivi. Ainsi, tous les citoyens peuvent s’assurer que les générations suivantes découvrent les avantages qu’ils tirent des terres ancestrales partagées par les Premières Nations et qui découlent des Traités, et s’engagent à approfondir leur compréhension des liens que ces Traités ont tissés.

Oui, de fait, nous sommes tous liés par les Traités. Les Traités numérotés font partie de ces bénéfices partagés dont profitent tous les Canadiens et dont profiteront les générations à venir. Le défi pour les Canadiens est de trouver des façons de travailler ensemble pour mieux comprendre l’esprit et l’intention d’origine des Traités signés avec la Couronne (Canada).

Artéfacts des Traités numérotés

Avec la permission du Musée du Manitoba. Photos et texte par Maureen Matthews.

La première médaille offerte lors des négociations des Traités en 1871 – la petite médaille (à gauche) avec des feuilles de chêne – a été rejetée par les Chefs qui la jugeaient inadéquate pour la négociation de Traités. La deuxième, la plus grande (au centre), est inspirée de la médaille de la Confédération du Canada. Elle a été bien accueillie, jusqu’à ce que les Chefs constatent qu’elle n’était que plaquée en argent. L’argent, le métal, en ojibway se dit zhooniyaawaabik, et désigne l’argent de métal, qui doit être pur. Cette médaille n’était pas en métal pur et les Chefs l’ont rejetée lorsque le plaquage d’argent a commencé à s’effriter. Enfin, en 1873, le commissaire a présenté la fameuse médaille illustrant la poignée de main, en argent pur (à droite), et qui a été utilisée jusqu’à la mort de la Reine Victoria, en 1901.

Cette coiffure de cérémonie, qui date de 1870, est l’une des plus anciennes au Musée du Manitoba et symbolise le leadership des Premières Nations à l’époque de la négociation des Traités. La plupart des Chefs qui négociaient des Traités avaient une longue expérience du commerce de la fourrure et des alliances commerciales. Les Traités numérotés et la plupart des attentes des Premières Nations étaient en partie inspirés de leurs liens commerciaux antérieurs et des idées des Premières Nations sur le leadership et la prise de décisions consensuelles, représentés sur cette coiffure. 

Cette pipe appartenait au Chef cri Piapot, qui a signé l’adhésion au Traité nº 4 en 1875 à Fort Qu’appelle, en Saskatchewan. Piapot croyait obtenir une réserve pour son peuple sur ses terrains de chasse dans les Cypress Hills de l’Ouest de la Saskatchewan; il se rendit compte qu’on lui avait plutôt assigné une réserve de l’autre côté de la province et lutta contre cette injustice tout le reste de sa vie. Piapot offrit cette pipe au ministre qui officiait au mariage de sa fille et elle fut plus tard donnée au Musée du Manitoba. Pour les Premières Nations, la pipe est un symbole de leur souveraineté et de la notion d’État, car elle représente le lien direct avec le Créateur.

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Cynthia Bird (Wabi Benais Mistatim Equay) de la Première Nation Peguis est une éducatrice autochtone de longue date dont les travaux les plus récents sont liés à la Commission des relations découlant des Traités du Manitoba en tant que directrice et conseillère pour l’initiative d’éducation sur les Traités de la maternelle à la 12e année. Elle est la lauréate du Aboriginal Circle of Educators’ Research and Curriculum Development Award (2011) et du TRCM’s Treaty Advocacy Award (2014).

Cet article est aussi offert en anglais.

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