L’esprit des Traités

Le Traité comme Accord de partage.

Écrit par Aimée Craft

Mis en ligne le 30 avril 2018

« Il y a bien longtemps, à l’époque où les Traités ont été signés, un des Chefs s’est levé, a pointé vers le ciel et a dit : “Le soleil est mon père et la terre est ma mère. Ils nous enseignent que nous avons des responsabilités à assumer au cours de notre vie, de notre génération… Au-delà des horizons, aussi loin que vous puissiez voir, se trouvent les sept générations, et c’est à nous que revient la responsabilité de transmettre à ces générations la sagesse et les connaissances de notre peuple”. Nous devons garder le Traité vivant, maintenant, pour les générations à venir. »

Aîné anishinaabe, Harry Bone

La loi anishinaabe nous dit que la terre ne peut être possédée. Nous entretenons plutôt une relation de respect avec la terre, au sens où nous appartenons à cette terre et où nous en faisons partie. Les systèmes juridiques non-autochtones, pour leur part, reposent sur les notions de propriété et de possession du territoire. Des Traités ont été conclus entre les Nations autochtones et les représentants de la Couronne afin de régler des questions de nature territoriale. Par exemple, les Anishinaabe du Traité no 1 ont demandé au lieutenantgouverneur du Manitoba d’entamer des négociations afin de les protéger contre les intrusions des colons blancs qui pillaient le bois sur leurs territoires.

L’histoire de l’établissement et de l’interprétation des Traités au Canada n’est certainement pas uniforme et prête parfois le flanc à la controverse. Le droit canadien a servi d’outil pour opprimer les Premières Nations et les déposséder de leur relation sacrée avec la terre. Même si la protection que confèrent les Traités a été explicitement enchâssée dans la Constitution du Canada en 1982, le mépris autrefois manifesté à l’égard des promesses formulées dans les Traités et leurs violations constantes par les gouvernements canadien et provinciaux ont troublé l’harmonie entre les Autochtones et la Couronne.

Pendant des décennies, les Traités ont été interprétés par les tribunaux et le gouvernement canadiens au détriment des Autochtones. Les tribunaux ont souvent ignoré les principes juridiques autochtones qui étaient à la base de l’établissement de ces Traités. Les gouvernements fédéral et provinciaux continuent de voir les Traités historiques comme un véhicule pour l’acquisition de terres et de ressources. La philosophie autochtone, sur laquelle reposent les lois autochtones, était constamment écartée au profit des concepts de droit occidentaux, qui privilégient les notions de propriété privée et d’exploitation des ressources.

Comme je le soutiens dans mon livre, Breathing Life into the Stone Fort Treaty: An Anishinabe Understanding of Treaty One, l’interprétation et la mise en oeuvre des Traités doivent tenir compte des lois et des systèmes juridiques autochtones. Selon les lois autochtones, les Traités sont des ententes négociées conjointement entre des nations qui confirment la promesse d’entretenir des relations de partage. Ces Traités reposent sur les principes de respect, de renouvellement et de réciprocité.

Les Traités historiques n’ont pas tous été établis de la même façon, ni de manière équitable. Dans l’Est du Canada, les Traités de paix et d’amitié ont contribué à instaurer des relations harmonieuses avec les nouveaux arrivants, avant que le Canada ne soit un concept (ou une réalité politique). Dès les premières années du commerce de la fourrure, les voyageurs, les commerçants et les compagnies formaient des alliances et tissaient des liens étroits avec les Autochtones, créant ainsi ce que l’historien Jim Miller qualifie de Traités commerciaux ou pour le commerce de la fourrure. Les Français, les Hollandais et les Anglais négocièrent des Traités reposant sur les relations ainsi établies.

Peu après cette première série de Traités, la Proclamation royale de 1763 exigeait que l’achat de terres aux Autochtones soit encadré et réglé par la Couronne, à l’issue d’une assemblée publique et d’un vote majoritaire des Autochtones occupant le territoire convoité. On reconnaissait ainsi la relation des Autochtones au territoire et la nature collective de la distribution et de la gestion des terres par les Autochtones.

Le ministre du cabinet de la Colombie-Britannique et le Chef Nisga’a Frank Calder s’adressent aux médias en 1973. Calder a dirigé le combat devant les tribunaux visant à faire reconnaître les titres ancestraux des Nisga’a en Colombie-Britannique. L’affaire Calder s’est rendue jusqu’à la Cour suprême du Canada et a donné lieu à de nombreux changements quant à la façon dont les revendications territoriales sont négociées au Canada.
 

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Au milieu du 19e siècle, des Traités furent conclus sur l’Ile de Vancouver (parfois appelés par la Couronne les Traités Douglas) et dans les environs immédiats des lacs Huron et Supérieur. Plus tard, vers la fin du 19e siècle, des Traités seront établis dans la région des Prairies, du Nord-Ouest de l’Ontario et des territoires. Cette mosaïque de Traités servait à sécuriser un passage pour le chemin de fer, le développement des ressources naturelles et la colonisation. Tous ces Traités historiques furent conclus après des millénaires de diplomatie entre Autochtones.

Les Traités modernes, conclus plus tard au 20e siècle et que l’on continue de négocier encore aujourd’hui, ressemblent davantage à des ententes contractuelles de nation à nation, plutôt qu’aux documents d’antan visant à tisser des liens entre les populations. Ces Traités modernes sont en fait une réponse directe à une décision de la Cour suprême du Canada de 1973 dans l’affaire Calder, selon laquelle les droits territoriaux autochtones continuent d’exister, sauf lorsqu’ils ont été abolis par la Couronne.

Suite à l’affaire Calder, le gouvernement fédéral a élaboré une politique exhaustive sur les revendications territoriales ouvrant la voie à des revendications fondées sur des titres ancestraux non éteints. Cette politique excluait les territoires couverts par des Traités déjà négociés, la Couronne affirmant que ces terres avaient déjà été cédées. Cette interprétation est en opposition directe avec la perception qu’ont les Autochtones des Traités, qu’ils considèrent comme une entente encadrant le partage et la vie sur le territoire, et en relation avec ce dernier. Les Autochtones ont toujours contesté les interprétations juridiques occidentales rigoureuses de ces Traités. Ils préfèrent les définir et les mettre en oeuvre conformément aux traditions juridiques et à l’histoire orale autochtones.

Les tribunaux ont tenté d’interpréter et de définir les Traités à de nombreuses reprises. Dans une série d’affaires qui s’étalent sur plusieurs décennies, la Cour suprême a élaboré des principes pour l’interprétation des Traités, principes selon lesquels les Traités sont des ententes uniques, ou des échanges de promesses solennelles, conclues entre la Couronne et les Autochtones. Les juges de la Cour suprême ont constaté que les Traités n’entrent pas dans les « moules » juridiques internationaux ou les accords contractuels habituels. Dans l’affaire Badger, concernant les droits de chasse des Autochtones, le tribunal affirme qu’un « Traité est un échange de promesses solennelles entre la Couronne et que l’honneur de la Couronne est toujours en jeu; il faut présumer que cette dernière entend respecter ses promesses ».

Afin d’honorer ces promesses sacrées, la Cour suprême a déterminé que toute ambiguïté doit être résolue en faveur des Autochtones. Également, l’interprétation autochtone des termes et des concepts juridiques doit avoir préséance sur les constructions plus légalistes et techniques. Les obligations juridiques, comme l’honneur de la Couronne et les obligations fiduciaires, doivent servir à protéger ces promesses solennelles, faites lors de la négociation des Traités.

La même cour a cependant autorisé la violation de ces droits issus de Traités, lorsque la Couronne pouvait démontrer que des « intérêts sociaux plus vastes » (essentiellement nonautochtones) l’emportaient sur les priorités et les perspectives des Autochtones. Par exemple, la Cour équilibre ou « réconcilie » l’utilisation des terres pour des projets hydroélectriques, le développement pétrolier et gazier, l’exploitation minière et d’autres activités, avec les aspirations qu’entretenaient les Autochtones pour ces terres et l’occupation qu’ils en faisaient.

Il y a cinquante ans, il était illégal pour les peuples autochtones du Canada, incluant les Nations signataires d’un Traité, d’engager un avocat ou de poursuivre la Couronne. En outre, les tribunaux avaient alors confirmé que les promesses issues des Traités pouvaient être modifiées unilatéralement par la Couronne, avant la protection constitutionnelle de 1982. Par exemple, les droits d’exploiter la faune à des fins commerciales, négociés dans le cadre des Traités, ont été abolis unilatéralement par la Couronne avant qu’ils ne soient protégés dans la Constitution.

Ce droit présumé d’influencer ou de restreindre l’exercice des droits issus de Traités a été employé par le passé par les gouvernements fédéral et provinciaux afin de limiter l’accès aux territoires de chasse, de trappe, de pêche et de rassemblement. Ce sont des restrictions importantes pour bien des Autochtones qui continuent de suivre un mode de vie traditionnel sur leurs territoires. Il s’agit également d’un affront aux promesses des Traités, qui visaient non seulement à préserver le mode de vie, mais aussi l’autonomie et l’autosuffisance des signataires autochtones de ces Traités.

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Pour comprendre les liens et les promesses liés aux Traités, il faut appliquer le double point de vue autochtone et non autochtone. Les récits oraux des négociations des Traités ont leur place dans le processus d’interprétation des Traités.

Dans certaines circonstances notables, le droit canadien a servi à enfreindre les relations issues des Traités, notamment lors de la création de la Loi sur les Indiens de 1876 (à peine cinq ans après la négociation du Traité no 1) et de l’imposition, par la Police montée du Nord-Ouest, du système de droits de passage dans le cadre d’une politique (mais pas d’une loi). En outre, par le truchement d’une loi et des Conventions sur le transfert des ressources naturelles, les compétences en matière de ressources naturelles dans l’Ouest ont été transférées du gouvernement fédéral aux provinces.

Ces ententes prévoyaient le droit pour les Autochtones de continuer à chasser, à trapper et à pêcher pour leur subsistance, mais limitaient ces activités aux terres de la Couronne inoccupées et aux terres sur lesquelles les Premières Nations avaient un droit d’accès. Même si les Conventions élargissaient ce droit de récolte au-delà des territoires traditionnels ou visés par les Traités, les Premières Nations ne pouvaient plus exercer ce droit que pour leur subsistance, excluant tout droit commercial, même si ce droit avait déjà été admis dans un Traité.

Ce qui est particulier au sujet de l’histoire des Traités au Canada, c’est qu’ils reposent sur deux systèmes juridiques distincts mis en commun pour établir une relation permettant aux deux parties de vivre ensemble sur un même territoire.

La compréhension des relations issues de ces Traités et des promesses en découlant requiert donc une étude des perspectives autochtones et non-autochtones. L’histoire orale entourant la négociation des Traités a sa place dans le processus d’interprétation. Les tribunaux ont indiqué que les règles de preuve doivent être adaptées pour pouvoir placer l’histoire orale sur le même pied d’égalité que la documentation historique. Ils tiendront cependant compte des facteurs contextuels qui ont entouré la négociation des Traités afin de déterminer l’intention commune derrière le rapprochement des intérêts des deux parties au moment de la signature des Traités.

De nombreuses revendications déposées par les Autochtones ont été étudiées à la lumière d’une interprétation stricte des Traités, selon lesquels les Autochtones ont convenu de « céder, de livrer et de transférer » les territoires en cause. Cependant, les concepts juridiques autochtones formulés par les Anishinaabe du Traité no 1, par exemple, montrent que la cession d’un territoire n’est pas possible lorsque « l’on appartient à la terre » ou « lorsqu’elle fait partie de soi ». Il s’agit en effet d’une question de relation avec la terre, plutôt que de possession du territoire. Rien n’indique que l’idée de cession a effectivement été invoquée lors des négociations, ce qui nous porte à conclure que le point de vue juridique des Anishinaabe doit avoir préséance.

La Commission de vérité et de réconciliation du Canada établit un cadre qui appelle à la revitalisation du droit et des traditions juridiques autochtones. La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) reconnaît également leurs droits, traditions et coutumes. Ces lois autochtones sont essentielles pour comprendre la façon dont les Premières Nations ont accepté d’établir des liens avec la Couronne en vue de conclure les Traités.

Par exemple, lorsque les commissaires du Traité et le lieutenantgouverneur du Manitoba ont entamé les négociations du Traité no 1 avec les Anishinaabe, ils les ont félicités de ne pas avoir participé à la Résistance des Métis et ont affirmé qu’ils seraient récompensés pour leur loyauté envers leur mère, la Reine. Tout au long des négociations, le commissaire a fait référence à la Reine Victoria comme étant la mère des Anishinaabe, leur promettant qu’elle traiterait tous ses enfants de façon égalitaire. Le terme « mère » existait en anglais et en langue ojibway, et les Chefs ont répondu qu’ils « entendaient la voix de leur mère » dans les paroles des négociateurs.

Le concept de relation mère‑enfant dans ce contexte est trompeur. Pour les représentants de la Reine, un enfant est en position de soumission, il ne peut pas décider par lui-même et n’a aucun droit avant l’âge de la majorité. Cependant, pour les Anishinaabe, le rôle de la mère consiste à prodiguer de la bonté, de l’amour et des soins à un enfant de façon à favoriser son autonomie et à le rendre égal à tous les autres enfants. Cette philosophie anishinaabe est conforme à une interprétation moderne d’un Traité de partage, où l’autodétermination des Autochtones a priorité.

Les Traités sont des lois, tant aux yeux de l’État canadien qu’à ceux des systèmes juridiques autochtones. Ce sont des instruments juridiques qui attestent, de façon bien vivante, des relations entre les nations. Cependant, la loi, telle qu’appliquée par les tribunaux et les gouvernements canadiens, a trop souvent été employée pour enfreindre les Traités et les affaiblir. Cet effritement des promesses des Traités et ce mépris pour l’interprétation autochtone des relations issues des Traités ont persisté dans le droit canadien, à tel point que dans certains cas, il n’est plus possible pour les Autochtones d’exercer les droits que ces Traités visaient à protéger.

La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones exprime le droit pour les Autochtones de faire reconnaître et respecter leurs Traités. Pour ce faire, les Traités doivent être replacés dans leur contexte historique, politique et culturel. Même si les Autochtones continuent de dénoncer les infractions aux modalités des Traités (qui constituent des « revendications particulières » selon les politiques canadiennes), ces revendications sont freinées par les politiques imposées par le gouvernement et les limites de la preuve présentée.

La plus grande violation aux Traités reste cependant l’incapacité des gouvernements non autochtones de comprendre le lien fondamental que les Premières Nations ont entretenu pendant des millénaires avec la terre et l’eau. Les Traités ont été conclus dans un cadre sacré et spirituel, avec l’aide du Créateur en tant que tierce partie; l’esprit et l’intention des Traités reposent sur la compréhension et l’application des lois autochtones.

La loi du Canada a servi d’outil visant à déposséder les Autochtones de leurs terres et de leurs ressources. Pour les Autochtones, les Traités ne sont pas une série de modalités permanentes, mais ils encadrent plutôt des relations de respect et de réciprocité qu’il importe de renouveler. Ces relations doivent évoluer au fil du temps, dans le respect de chacun et du territoire à partager, sans interférence.

L’importance des lois autochtones dans l’établissement des Traités historiques a été mal comprise et sous-évaluée, menant à une vision très eurocentrique et unilatérale des Traités. La possession, la propriété, l’exclusion et l’exploitation ne peuvent pas définir notre relation avec la terre et l’eau. Il faut aujourd’hui redonner vie à l’intention originale des Traités. Nous devons vivre ensemble, comme l’avaient convenu nos ancêtres, tant et aussi longtemps que l’herbe poussera, que le soleil brillera et que l’eau coulera.

Les droits et les torts découlant des Traités

Pendant des siècles, les Autochtones ont lutté pour préserver leur culture et mode de vie et pour combattre leur assimilation à la société non autochtone. Ces images témoignent des tentatives visant à limiter les droits des Premières Nations, ainsi que des épisodes lors desquels les Premières Nations ont affirmé leurs droits afin de bâtir un avenir meilleur.

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Aimée Craft est une avocate autochtone (Anishinaabe-Métisse) et une professeure adjointe à la faculté de common law, à l’Université d’Ottawa. Elle est spécialisée en droit autochtone canadien et anishinaabe. Son ouvrage primé de 2013, Breathing Life into the Stone Fort Treaty: An Anishinabe Understanding of Treaty One met l’accent sur la compréhension et l’interprétation des Traités d’un point de vue (juridique) Anishinaabe inaakonigewin.

Cet article est aussi offert en anglais.

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