Adoption et métissage : Catherine, captive des Iroquois

Dans cet article, l’historienne et autrice Anne-Marie Sicotte met en lumière l’histoire fascinante et méconnue de Catherine Quevillon.

Écrit par Anne-Marie Sicotte

Mis en ligne le 14 août 2025

J’étais en plein cœur de ma recherche sur le Québec sous la domination britannique, pour l’écriture de la biographie Papineau l’incorruptible, lorsqu’une pépite d’information déconcertante m’a fait basculer vers un passé encore plus lointain, vers le sort touchant d’une fillette capturée par les Iroquois à l’époque de la Nouvelle-France. Cette fillette, c’était l’arrière-grand-mère du président Papineau, Catherine Quevillon. Vers 1693, alors qu’elle avait sept ans et qu’elle vivait à Rivière-des-Prairies, sur l’île de Montréal, elle a été « emmenée » par les Iroquois lors d’un de leurs célèbres raids ; ils « la traitèrent bien et même l’adoptèrent1 ». Catherine a vécu parmi eux avant de revenir dans la colonie, au moment de la Grande Paix de 1701, et de marier Samuel Papineau.

Le roman historique, tout frais sorti des presses, que j’ai écrit à partir de l’histoire de Catherine Quevillon et de sa famille.

Aussitôt, ma curiosité a été titillée. Il y avait là de quoi nuancer un récit historique centré sur les jésuites martyrisés et sur une violence autochtone débridée… En fouillant d’avantage, j’ai vu à quel point la capture et l’intégration dans une nouvelle communauté était monnaie courante2. Ainsi, lorsque la Confédération ouendat a été soumise vers 1650 par les Iroquois, bien des Ouendats ont pris racine dans l’une ou l’autre des cinq nations de la Confédération iroquoise au sud des Grand Lacs.

Certes, la langue et la culture étaient ressemblantes ; le réseau de parenté (famille matrilinéaire, clan) transcendait les villages et même les nations. Néanmoins, au fil des décennies, la pratique d’intégration s’est élargie aux Européens, au-delà du fossé culturel, et bon nombre de ces derniers n’ont jamais voulu quitter leur nation d’adoption.

De Carignan-Salières à Denonville

Le destin de Catherine Quevillon et de ses proches éclaire singulièrement cet aspect méconnu, du moins dans ses conséquences socio-culturelles, de l’histoire de la Nouvelle- France et de l’Amérique tout entière. Lorsque les Iroquois soumettent les Ouendats au milieu du 17e siècle, les Français deviennent les ennemis des premiers, car par l’entremise de Champlain notamment, les Français avaient pris partie pour les Ouendats, l’une des deux principales puissances politiques autochtones du nord de l’Amérique.

C’est pour venir en aide à l’autorité coloniale que Louis XIV envoie le régiment Carignan-Salières. Les Iroquois concluent une trêve fragile, ponctuée d’escarmouches et d’accrochages. Il s’ensuit une période d’expansion de l’empire français, avec l’aide des missionnaires jésuites ; un réseau d’alliances intègre progressivement des nations plus lointaines.

Au début des années 1680, les Français reprennent les hostilités, fortifiés par les troupes de la Marine sous l’autorité du gouverneur Denonville. Ce dernier orchestre une véritable traîtrise : une centaine d’Iroquois invités à un festin au fort Frontenac sont plutôt séquestrés et plusieurs dizaines d’entre eux sont envoyés aux galères en France. En 1688, les Iroquois amorcent des raids de représailles sur l’île de Montréal, le cœur de la Nouvelle-France. Le 5 août 1689, c’est le fameux « massacre » de Lachine.

Deux jours plus tard, Marie-Thérèse Hunault, la tante de Catherine, est retrouvée morte dans une grange de Lachenaie ; âgée de 26 ans, elle était mère de six enfants. Le curé écrit dans l’acte de sépulture qu’elle a été tuée par les Iroquois, même s’il n’y a aucun autre témoignage de leur présence dans les environs : c’est quatre mois plus tard, en novembre 1689, qu’une attaque à Lachenaie et dans l’île Jésus entraîne la capture ou la mort d’une trentaine d’habitants.

L’année suivante, en juin et juillet 1690, se produit la bataille de la coulée Grou à Pointe-aux-Trembles, dans laquelle l’époux d’une autre tante de Catherine, Nicolas Joly, trouve la mort. Jusqu’en 1696, alors que débutent les négociations qui vont mener à la Grande Paix de 1701, des escarmouches ont lieu de Sorel à Verchères, de Chambly à Repentigny, et même vers Trois-Rivières. Les Français s’en vengent par des raids ou par l’envoi de corps d’armées (sous Frontenac) qui détruisent des champs et des villages, et qui font des captifs.

À un moment imprécis de cette période tourmentée, la petite Catherine intègre l’une des nations iroquoises — on ignore laquelle. Plusieurs membres de sa famille subissent un sort similaire. Sa sœur aînée Françoise-Angélique, âgée d’une douzaine d’années, est capturée en même temps qu’elle. Selon Louis Adolphe Huguet-Latour dans l’Annuaire de Ville-Marie, Françoise-Angélique aurait été brûlée sous les yeux de sa cadette3. La source de cette affirmation plus que douteuse n’est pas indiquée ; ce qui est certain, c’est que Françoise n’a pas été enterrée dans la colonie et qu’on a perdu sa trace.

Puis, j’ai appris que Jeanne Hunault, la mère de Catherine et de Françoise, avait été capturée en même temps que ses filles. Née en Nouvelle-France, Jeanne était la fille de Toussaint Hunault dit Deschamps et de Marie Lorgueuil, qui ont fait partie de la Grande Recrue de 1653, financée par une œuvre charitable française. Marie avait à peine 16 ans lorsqu’elle est montée à bord du navire sous la protection de Marguerite Bourgeoys. Quant à Toussaint, il avait été engagé à La Flèche par M. de La Dauversière pour 175 livres par année comme défricheur-laboureur à Ville-Marie, alors un modeste comptoir de traite des fourrures.

Un an après leur arrivée à Montréal, Marie et Toussaint s’épousent ; huit de leurs enfants (sur dix) parviennent à l’âge adulte, dont Jeanne, qui a 13 ans et quelques mois lorsqu’elle épouse Adrien Quevillon en 1672. L’année d’avant, l’intendant Jean Talon a émis une ordonnance obligeant tous les hommes célibataires à se marier sous peine de perdre leurs privilèges de pêche, de chasse et de traite. Adrien se trouve à Montréal lors du recensement de 1666 ; il est un domestique engagé par Louis Arthus, sieur de Sailly, juge royal.

Il a 28 ans lorsqu’il épouse Jeanne et qu’en tant que colon-défricheur, il se fait concéder une concession par les seigneurs sulpiciens. Jeanne met au monde sept enfants jusqu’au moment où Adrien Quevillon disparaît ; la dernière mention de lui dans les registres est en mars 1690 et lors du mariage d’une de ses filles en 1697, il est dit défunt.

Trépassés ou Autochtones d’adoption?

Le destin réel d’Adrien restera à jamais auréolé de mystère. C’est la même chose pour le destin de l’un de ses beaux-frères. La chronique familiale parle deux frères de Jeanne capturés en même temps qu’elle ; des recoupements permettent d’hypothéser qu’il s’agit de Charles, 17 ans. Selon une source, il serait mort à 20 ans en 1696 ; chose certaine, il disparaît des registres et des actes notariés. Le second frère serait André, 36 ans, pour qui il y a un silence dans la documentation entre 1690 et 1701, mais qui semble avoir réintégré la Nouvelle-France.

Source : No. 2663595, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Cartes géographiques et plans du Québec en ligne.

Niché dans des voûtes du XVIIIe siècle, l’Îlot des Palais constitue un véritable trésor caché dans le Vieux-Québec. Carte générale de Canada à petit point, 1703. On y voit le territoire de la Confédération iroquoise au tout début du 18e siècle, au sud de l’actuel lac Ontario.

Ce qui ne veut pas dire, loin s’en faut, qu’Adrien ou son beau-frère Charles aient été tués, torturés ou brûlés par les Iroquois. Capturer (plutôt que tuer), c’est aussi prendre une vie à la communauté. En l’absence d’une preuve de décès, il fallait une année sans nouvelles pour que la personne soit considérée morte, et que l’époux survivant puisse se remarier. Dès 1695, Jeanne Hunault-Quevillon est enceinte d’un nommé Jacques Courval qui se trouve, comme elle, chez les Iroquois de l’État de New York.

Deux ans plus tard, au printemps 1698, elle est de retour à Pointe-aux-Trembles pour faire baptiser leur fils de 18 mois ; selon ses dires, son père a trépassé. L’année suivante, Jeanne épouse Pierre Taillefer, dont elle a aussi un fils, son dernier enfant à l’âge de 42 ans ; Taillefer est couvreur de bardeaux et soldat réformé des troupes de la Marine. Manifestement, les veuves sont convoitées, d’autant que le roi de France donne des gratifications financières au mariage.

Emmenées en pays iroquois, Jeanne et ses deux filles ont été séparées pour faciliter l’intégration. Celle de Catherine doit se faire assez rapidement, vu son jeune âge. De surcroît, son ancienne vie diffère peu de la nouvelle : en Nouvelle-France aussi, les femmes effectuent une panoplie de travaux d’artisanat, de même qu’une bonne partie de l’ouvrage agricole, le cadre de vie est rudimentaire et les emprunts au mode de vie autochtone sont nombreux.

Par ailleurs, certains traits culturels majeurs devaient constituer un formidable attrait. À cause de la filiation matrilinéaire, les filles demeurent dans la maisonnée de leur mère. Elles jouissent d’une liberté totale relative à l’affection, à la sexualité et à l’union sous consentement mutuel. La mise en tutelle de type européen ne s’implante que difficilement, à mesure que sont créées de nouvelles communautés catholiques en périphérie de la Nouvelle-France.

Selon la brève et nébuleuse chronique familiale, Catherine réintègre la Nouvelle-France lorsque la paix de 1701 avec la Confédération iroquoise est conclue. Des sources généalogiques états-uniennes, sujettes à caution, indiquent que Catherine aurait eu un 1er conjoint iroquois : Van Tekakwitha. Ce nom était très commun à cause de Kateri ; et le prénom Van donne à penser qu’il aurait été dans l’orbite des Néerlandais, qui ont colonisé New-York et Albany. Il aurait « épousé » Catherine à Newton, canton de Jefferson (Indiana, rive sud du lac Michigan). Catherine aurait eu une fille, Van Katherine Tekakwitha, en 1700. On perd la trace de celle-ci ; et le père meurt en 1703, âgé de 58 ans, au « camp indien Iroquois ».

Pour Françoise-Angélique, c’est un autre mystère. Les femmes et les jeunes de bonne volonté, sauf rarissime exception, sont membres à part entière de la communauté. Est-elle mère de famille? On ne le saura jamais.

Une enfilade de déracinements

Le processus de paix qui aboutit à la Grande Paix de 1701 est enclenché depuis 1697 au moins, lorsque les puissances européennes cessent les hostilités en Europe. Huguet- Latour, cité plus haut, conclut sa brève allusion au destin de Catherine en écrivant ceci : « Après plusieurs années de captivité, elle fut rachetée et remise à ses parents. » Cette fois-ci, le mémorialiste a probablement raison.

Le rachat de prisonniers (ou d’adoptés dans le cas des Autochtones) est une pratique universelle, partie intégrante du ballet diplomatique. En Amérique du Nord, la plupart des conflits armés se terminent par la prise de captifs et de captives, que l’on ramène ensuite chez soi. L’autorité — civile, ecclésiastique ou clanique — en fait ensuite une monnaie d’échange.

Ainsi, une nouvelle guerre de succession monarchique se déclenche en Europe en 1702, ce qui se répercute en Amérique à partir de l’année suivante entre la Nouvelle-France et le gouvernement de Boston (Maine, Massachussetts). À la suite de raids où figurent en prééminence des guerriers autochtones de diverses nations, des Britanniques sont ramenés au sein de ces communautés ; l’évêque de Québec encourage fortement les habitants aisés à les « acheter » et les garder tant qu’ils ne seront pas échangés, dans le but de convertir des âmes… En effet, bon nombre parmi ces hommes, femmes ou enfants aboutissent dans la colonie française pendant des mois ou des années, jusqu’à leur rapatriement dans leur milieu d’origine.

Catherine aurait donc, d’une manière ou d’une autre, été récupérée ainsi. A-t-elle vécu, de nouveau, le traumatisme du déracinement? Chose certaine, elle vit jusqu’à 95 ans et se marie à quatre reprises. Son premier époux, Guillaume Lacombe, meurt accidentellement. C’est avec son second, Samuel Papineau dit Montigny, qu’elle met au monde neuf enfants entre 1705 et 1726. Arrivé dans la colonie en tant que soldat vers 1688, Samuel a servi les dix années réglementaires avant de recevoir une concession à la côte Saint-Michel (actuellement rue Jarry et boulevard Saint-Michel, île de Montréal) ; c’est là que la famille réside jusqu’à la mort de Samuel en 1737.

L’inventaire après décès indique que 27 arpents sont « en vallée tant labourable, pacage que prairies » ; que la maison en pièce sur pièce, 25 pieds par 21, possède deux cheminées, un solage de pierres au rez-de-chaussée et des combles sans cloisons. Catherine dit avoir fait ensemencer (en majorité du blé froment, mais aussi des pois et de l’avoine). Elle possède un cheval blanc de 15 ans, une jument rouge, deux vaches et trois cochons d’un an4.

En 1742, âgée de 55 ans, Catherine se remarie avec le veuf Jacques Daniel, 50 ans, un maître-tonnelier de la côte Saint-Michel qui fournit les marchands de Montréal. C’est auprès de lui que Joseph Papineau, le grand-père de Louis-Joseph, a dû apprendre ce métier qu’il exercera au faubourg Bonsecours. Si cette lignée se case dans ce quartier de Montréal, c’est aussi grâce au 4e mari de Catherine, le tapissier Nicolas Verrat dit Parisien, car ce dernier y demeure au moment du mariage en 1754, alors que Catherine a 67 ans, cinq de plus que son nouvel époux. Trois ans plus tard, la terre de la côte Saint-Michel est vendue à l’un des fils de Catherine.

Dès lors, Catherine est surnommée « la femme aux quatre maris » d’après la chronique familiale. Denis-Benjamin Papineau, un descendant qui fouille l’histoire familiale, démontre une pointe de mépris, typique de son époque, lorsqu’il relate ce fait5. Aux côtés de Verrat dit Parisien, Catherine traverse la Guerre de Conquête et la transformation de la Nouvelle-France en Province of Quebec, jusqu’à la guerre d’Indépendance américaine, en 1775-1776, qui scelle le sort de la Confédération iroquoise. Les États-Unis entreprennent une politique d’expansion territoriale, assortie de la création de réserves, similaire à celle du Canada britannique.

Catherine meurt en 1781. Reste-t-elle, tout au long de sa vie, sensible au sort de son ancienne patrie? J’aime à le croire. Culture métissée, migrations et intégration : ces phénomènes sociaux ont occupé une place prééminente à son époque. Les parcours de Jeanne Hunault et de ses filles humanisent un pan de l’histoire de mieux en mieux étayé par la nouvelle recherche historique.

Nées à Montréal, puis ayant vécu quelques années au sein de nations iroquoises après leur « capture », elles sont rentrées chez elles pour y poursuivre leur vie. Quel a été l’impact de ce mélange politico-culturel sur leur propre vie et, plus largement, sur la société canadienne-française? Au-delà des hypothèses qui se dessinent, c’est encore un territoire à explorer.

Anne-Marie Sicotte est autrice et historienne.

Cet article est paru à l’origine dans la revue Traces, volume 63, numéro 2, printemps 2025, p. 12-15. La revue est publiée par la Société des professeurs d’histoire du Québec (SPHQ).

La SPHQ a pour mission de promouvoir l’enseignement de l’histoire au Québec sous tous ses aspects, auprès de ses membres et de la population en général et de contribuer à assurer la transmission de l’information et le développement des professionnels de l’enseignement


Notes

1.  Journal d’un Fils de la Liberté, 1838-1855. Texte établi avec introduction et notes par Georges Aubin. Québec, Septentrion, 2010. Entrée du 6 juillet 1839.

2.   Mes sources, autant généalogiques qu’historiques, sont trop nombreuses pour être citées au long de cet article, sauf exception.

3.   Louis Adolphe Huguet-Latour, Annuaire de Ville-Marie : origine, utilité et progrès des institutions catholiques de Montréal : supplément à l’édition de 1864, 1874, p. 332.

4.   Denis-Benjamin Papineau, « Documents sur la famille Papineau », Bulletin des recherches historiques, vol. 39 no 7 (juillet 1933).

5.   Denis-Benjamin Papineau, « Documents sur la famille Papineau », Bulletin des recherches historiques, vol. 39 no 7 (juillet 1933).

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