Ton histoire est une épopée

En 1880, Calixa Lavallée s’apprête à présenter le Ô Canada à Québec. Les paroles originales d’Adolphe-Basile Routhier seront conservées, mais qui va décider ce qui sera chanté en anglais?

Texte par Allyson Gulliver; illustratée by David Namisato

Mis en ligne le 21 mars 2022

Québec, 24 juin 1880

— Bravo ! Bravo ! Les spectateurs vêtus avec élégance ne voulaient pas cesser d’applaudir, comme s’ils savaient que le Chant national qu’ils venaient d’entendre n’était vraiment pas une chanson ordinaire.

— Ils adorent ça ! murmura Adolphe-Basile Routhier à l’homme assis à côté de lui. Ta musique, Calixa... Elle est parfaite ! Elle est tellement inspirante que j’ai écrit les paroles en un rien de temps. Calixa Lavallée s’efforçait de rester calme, mais il affichait un immense sourire.

— Ta poésie lui convient parfaite- ment. Les spectateurs seront sûrement d’accord demain, quand ils entendront la chorale chanter les paroles. Je suis convaincu que l’hymne national que nous avons créé pour les Canadiens français sera un succès ! Même le gou- verneur général est impressionné. Ernest Gagnon se fraya un chemin parmi la foule pour aller féliciter ses amis.

— Je suis sûr que personne n’aurait pu trouver mieux que votre Chant national. Et dire que tout ça a commencé par une lettre de ce prêtre de Trois-Rivières, qui suggérait que nous ayons un hymne national pour les célébrations de la Saint-Jean, cette année.

Le père Caron jugeait qu’il devrait y avoir un concours, mais nous n’avons pas eu le temps, ajouta Gagnon. D’ailleurs, ceci est beaucoup mieux. Je ne regrette pas qu’on vous ait demandé d’écrire cette chanson. C’est magnifique !

— Les Anglais ont le God Save the Queen et le Maple Leaf Forever, dit Routhier, mais il n’y a pas de place dans leurs chansons pour nous, les Canadiens français.

Lavallée hocha la tête.

— Ce n’est pas pour me vanter, mes amis, mais ça fait du bien de penser que nous avons un hymne qui nous appartient vraiment.

Montréal, 25 novembre 1908

Stanley Weir regardait la feuille de musique qu’il tenait à la main avec un sourire ébahi.

— Je n’en reviens toujours pas, Gertie. C’est la version anglaise du Ô Canada, et c’est mon nom qui est dessus !

— Je sais bien que tu es avocat, dit sa femme en secouant la tête. Mais tu es aussi un grand poète. Tes paroles sont magnifiques. Bien meilleures que les autres traductions.

— Ne sois pas trop dur avec les autres, Gertie. Ce n’est pas facile de trouver des paroles patriotiques qui sont en même temps poétiques, répondit Weir. C’était ma façon à moi de contribuer aux célébrations du 300e anniversaire de Québec.

— Tu es trop gentil, Stanley. Les autres versions étaient horribles, et tu le sais. C’est pour ça qu’elles n’ont jamais été populaires. Elles contenaient des phrases bien trop compliquées, qui n’avaient aucune poésie. En plus, la plupart de ces versions parlaient beaucoup trop de l’Empire et de la Grande-Bretagne. L’idée, c’était d’avoir un hymne national qui inclurait à la fois les francophones et les anglophones. – Et puis, conclut Gertie, c’est très satisfaisant d’avoir un hymne national qui est vraiment à nous.


Des paroles qui changent

Dès 1980, des membres du Parlement ont commencé à faire des pressions pour que les paroles de l’hymne national soient modifiées en anglais, de manière à inclure les personnes de tous les genres. Jusque- là, la version anglaise parlait uniquement de « our sons », ce qui signifie « nos fils ». Le 31 janvier 2018, la version anglaise officielle a finalement été changée pour « all of us », c’est-à-dire tout le monde.

Même si les paroles ont été légèrement modifiées quelques fois en anglais, elles sont toujours restées les mêmes en français. Beaucoup de gens chantent aujourd’hui une version bilingue qui passe d’une langue à l’autre.

D’autres personnes ont suggéré que nous supprimions les références à la « terre de nos aïeux » (« our native land ») puisque beaucoup de Canadiens ne sont pas nés ici, ou que nous trouvions une formule pour honorer les Premières Nations, qui ne sont pas mentionnées dans les versions actuelles. Qu’en penses-tu?


Calixa Lavallée, qu’on voit ici, a composé la musique de notre hymne national en 1880, et Adolphe-Basile Routhier a écrit les paroles en une seule soirée après avoir entendu la musique de Lavallée.

Cette œuvre intitulée Chant national a connu un succès immédiat au Canada français, mais les Canadiens anglais l’ont découverte seulement en 1901, quand elle a été chantée pour la première fois en public en anglais. (De nombreux musicologues affirment que les notes d’ouverture ressemblent étrangement à un passage de l’opéra La flûte enchantée, de Mozart.)

Il y a eu au moins quatre versions anglaises du Ô Canada – une traduction fidèle des paroles de Routhier et des adaptations poétiques convenant à la musique de Lavallée. Si tu vas les voir en ligne (en anglais seulement), tu verras pourquoi elles n’ont pas été retenues!

Au début de la Première Guerre mondiale, c’est la version de Weir qui était la plus répandue, et le Ô Canada commençait à être reconnu comme chant national. À la fin des années 1920, il était chanté dans les écoles et dans la plupart des rassemblements publics.

Après des dizaines de tentatives, le gouvernement a finalement adopté une loi le 27 juin 1980 pour en faire notre hymne national officiel. Et le 1 er juillet 1980, le gouverneur général Ed Schreyer a tenu une cérémonie publique pour proclamer cette loi, entouré de descendants de Routhier et de Weir.

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