L’histoire méconnue du site de l’Expo 67

Raymond Bédard, enseignant de quatrième secondaire en histoire à l'École secondaire d'Éducation internationale à McMasterville, met en lumière des faits historiques méconnus concernant la réelle paternité de la conception du site de l’Expo 67.

Écrit par Raymond Bédard

Mis en ligne le 12 mars 2019

Nous te ferons la fête, sur une île inventée Sortie de notre tête toute aux couleurs de l’été.

— Chanson-thème de l’Expo 67

Inventée... mais par qui au juste ? De quelle tête a bien pu sortir cette idée enchanteresse ? Si la chanson- thème bien connue célèbre le concept même du site de l’Expo 67, ces questions ont sans doute une certaine importance. Et la réponse aussi.

Il est surprenant de constater comment certaines légendes urbaines perdurent malgré les documents d’époque et malgré les nombreux démentis apportés par des sources fiables au cours des années.

Ainsi en avril 2015, lors d’une émission télé sur la carrière du maire de Montréal, Jean Drapeau, diffusée sur les ondes de Radio- Canada, présentée par André Laurendeau et à laquelle participait François Cardinal de La Presse, l’idée du site de l’exposition universelle de Montréal est attribuée à tort par le maire Jean Drapeau au directeur du port de Montréal de l’époque, Guy Beaudet.

On imagine que ce dernier a pu jouer un rôle pour convaincre le maire Drapeau des mérites du site au cœur du fleuve Saint- Laurent. Cependant, c’est la firme d’architectes Bédard, Charbonneau et Langlois de Saint-Bruno-de-Montarville qui a imaginé et étudié, dès 1962, ce concept audacieux qui deviendra Terre des Hommes.

En cette année du 50e anniversaire de l’exposition universelle de Montréal, il convient de rétablir les faits, encore une fois !

D’entrée de jeu, je dois convenir qu’une motivation personnelle m’a incité à rédiger cet article puisque l’un des architectes de la firme, Bruno Bédard (1925-2008), était mon oncle. Lors d’une rencontre familiale à la fin des années 1980, il m’avait fait part de son travail conceptuel du site de l’Expo 67.

Alors jeune enseignant d’histoire au secondaire, j’avais été surpris de n’avoir jamais entendu parler du travail de précurseur de la firme de Saint-Bruno-de-Montarville. Je ne connaissais que la version fausse du maire Drapeau. De plus, les souvenirs heureux de l’été 1967, passé dans ces îles inventées à visiter les différents pavillons restent gravés dans ma mémoire.

Pour rédiger ce texte, j’ai eu accès aux documents précieusement conservés par Claude Bédard, un des fils de Bruno : articles de journaux, résumé technique d’un bureau d’ingénieurs datant de l’été 1962, lettre officielle de présentation du projet à Jean Drapeau, le livre (aujourd’hui introuvable) de Raymond Grenier Regards sur l’expo 67, la revue d’architecture où le projet a été présenté en janvier 1963, une lettre de la firme d’architecte qui résume ses démarches de promotion du projet et accompagnée d’une liste des entrevues sur le sujet, une conférence de Paul Trépanier où il est question du projet, une lettre de CKAC à Bruno Bédard juste avant la décision finale, une transcription d’une entrevue de Claude avec son père en 1996 et un document original de présentation du projet avec cartes et plans grand format.

À cela s’ajoutent des extraits d’entrevues de l’émission Métro-Magazine de 1963 et mis en ligne sur Radio-Canada Première, un texte de Claude Bédard « La genèse du site de l’Expo 67 » [en ligne] et les livres mentionnés dans les sources.

Montréal à nouveau en lice

Après l’exposition universelle de Bruxelles de 1958, l’idée de tenir un tel événement à Montréal se dessine à l’horizon, d’autant plus que  le  Canada  célébrera son 100e anniversaire en 1967.

Après avoir obtenu les garanties de financement du gouvernement  fédéral, de celui du Québec et de la Ville de Montréal, une délégation canadienne se rend alors à Paris pour déposer la candidature de Montréal en vue de l’exposition universelle de 1967.

Montréal est alors présentée comme une ville cosmopolite d’origine française, située à la croisée des grandes routes maritimes, ferroviaires, routières et aériennes. En avril 1960, le BEI choisit plutôt Moscou comme hôte de l’exposition de 1967, puisque cette année marquerait le 50e anniversaire de la Révolution bolchévique.

Mais l’URSS, en pleine Guerre froide, fait volte face en avril 1962 sous prétexte qu’un projet de foire mondiale devant se tenir à New York de 1964 à 1965 n’a pas été autorisé par le BIE (Grenier p. 30).

Ce désistement permet au Canada de renouveler sa candidature auprès du BEI le 27 septembre 1962 et le 13 novembre l’Exposition de 1967 est finalement accordée à Montréal. En décembre 1962, la loi fédérale C-103 créant la compagnie canadienne de l’Exposition universelle et internationale de Montréal 1967 est promulguée. Mais qu’en est-il du choix du site ?

Aux origines du site

Le 28 mars 1963, lors de l’annonce du site officiel de l’exposition universelle de Montréal de 1967, le maire Jean Drapeau déclare que l’idée de tenir l’exposition dans des îles au cœur du fleuve Saint-Laurent entre Montréal et Longueuil lui a été proposée par Guy Beaudet alors directeur du port de Montréal. Il s’agit d’un mensonge qui enlève tout crédit aux réels concepteurs.

En 1960, à l’instar de nombreux Montréalais, l’architecte Bruno Bédard croit aux chances de Montréal d’obtenir la grande exposition de 1967 du BEI. Ayant lui-même visité l’exposition universelle de Bruxelles en 1958, M. Bédard voit dans Montréal un potentiel extraordinaire de développement de l’architecture et de l’aménagement, à une époque où Montréal connait peu de programmes de construction d’envergure (cela ne devait cependant pas tarder à l’aube de la Révolution tranquille).

Aucun site n’est encore officiellement retenu dans l’éventualité où Montréal remporterait la mise à Paris. Bruno Bédard qui habite dans la partie nord de Montréal sur le boulevard Gouin, a son bureau à Saint-Bruno-de-Montarville sur la Rive-Sud et emprunte quotidiennement le pont Jacques-Cartier pour traverser le fleuve Saint-Laurent.

Ce trajet l’amène à constater qu’un emplacement favorable et original se trouve sous ses yeux, sur l’île Sainte-Hélène, l’île Ronde et tous les terrains vagues en bordure de la Voie maritime du Saint-Laurent, inaugurée quelques années auparavant.

Ses associés dans la firme, les architectes Charles-Émile Charbonneau et Jacques-Yves Langlois se laissent convaincre rapidement de l’intérêt d’un tel emplacement.

Lors de sa visite à Bruxelles en 1958, Bruno Bédard avait remarqué que le site de l’exposition ne bénéficiait d’aucun plan d’eau naturel et d’aucune vue sur la ville.

Il mettra à profit ses observations dans la conception du site des îles qui repose sur trois concepts : faire de l‘exposition une vitrine sur Montréal grâce à une vue imprenable à partir du fleuve, maximiser la présence de l’eau comme élément dynamique (l’île Notre-Dame, dans le projet initial, est fractionnée en plusieurs îlots) et intégrer les berges de la rive sud (aspect qui sera abandonné) afin d’offrir une porte d’entrée attrayante aux visiteurs qui arriveront très majoritairement par le sud (Proposition p. 9).

De plus, ce site présente un avantage appréciable (et qui se révélera sans doute décisif) puisqu’il n’y aura presque aucun terrain à exproprier, ce qui permettra d’économiser des fonds publics et de gagner du temps en délais légaux d’expropriation. L’idée du site des îles pour la tenue de l’exposition universelle de Montréal de 1967 est donc apparue concrètement pour la première fois au cours de l’été 1962.

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Élaboration du projet et préparation du dossier

L’idée du site des îles pour la tenue de l’exposition universelle de  Montréal  de  1967  a  été  étudiée concrètement pour la première fois au cours de l’été de 1962.

Deux mois après le désistement de Moscou, soit de juin à août 1962, et avant même la nouvelle mise en candidature de la ville de Montréal, la firme d’architectes Bédard, Charbonneau et Langlois se met au travail afin de préparer un dossier précis du projet dans l’éventualité d’une relance de la candidature de Montréal.

Dans un premier temps, des photos de l’emplacement envisagé pour le futur site sont prises par Jean-Paul Bédard, frère de Bruno. Consciente de la circulation des navires aux alentours du site et de la nécessité de travaux de remblayage pour surélever les terres basses, la firme d’architectes obtient du gouvernement fédéral les plans de la Voie maritime et des fonds marins.

L’île Sainte-Hélène est un élément important autour duquel s’articule le développement du projet, et comme le terrain est insuffisant, les architectes imaginent de remplir les espaces entre l’île Ronde et l’île Verte, ils prévoient aussi créer une île (qui deviendra l’île Notre-Dame), ou un archipel où seraient aménagés plusieurs canaux, par la récupération des terres partiellement inondées, surtout au printemps, qui bordent le côté nord de l’entrée de la Voie maritime, et d’intégrer une partie de la rive sud du fleuve.

Les architectes sont conscients que l’acquisition des lieux sera simplifiée du fait que l’île Sainte-Hélène et la jetée McKay appartiennent à la Ville de Montréal, tandis que les berges de la rive sud appartiennent au gouvernement fédéral. Avec le concours de la firme d’ingénieurs Lalonde, Girouard et Letendre, la firme d’architectes réalise une étude de faisabilité du  site des îles.

Les architectes en viennent à la conclusion que le site constitue un choix idéal pour la tenue de l’exposition. Dans cette étude datée du 15 août 1962 et intitulée « Site proposé pour l’exposition universelle et internationale de 1967 », les architectes Bédard, Charbonneau et Langlois font état des avantages que recèle le site des îles et exposent leur projet autant dans ses volets de localisation, de dimensions et de voies d’accès, que sous ses aspects économique, touristique et esthétique.

En conclusion, ils affirment « qu’aucun autre site de la région métropolitaine ne rivalise avec celui proposé ». (Proposition p. 10)

Le 27 septembre 1962, au moment de l’annonce officielle de la remise en candidature de la ville de Montréal, l’étude de faisabilité des architectes Bédard, Charbonneau, Langlois est envoyée par courrier  recommandé au ministre fédéral Pierre Sévigny et au maire Jean Drapeau. Le même jour, les architectes rencontrent Valmore Gratton, directeur de l’Office de l’expansion économique de Montréal.

L’étude est aussi remise en mains propres au député de Saint-Hubert, Pierre Laporte. Le projet est soumis aux pouvoirs publics de façon confidentielle afin d’éviter tout mouvement spéculatif. Il ne sera dévoilé aux médias que quatre mois plus tard.

Le ministre Sévigny accuse réception du projet, mais curieusement l’administration du maire Jean Drapeau ne répond pas à la demande des architectes d’une rencontre pour leur permettre d’en préciser le bien-fondé et les détails.

Au cours de l’automne, les architectes rencontrent les maires de la Rive-Sud, Pierre Laporte de Saint-Hubert, Paul Pratt de Longueuil et B.T. Kerr de Saint-Lambert.

Devant l’absence de réaction de la Ville de Montréal, les architectes décident de présenter leur projet au congrès de l’Association des architectes de la province de Québec (AAPQ), le 26 janvier 1963, à Lac-Beauport, dont le thème porte justement sur le site de l’Expo 67. Il est à noter que depuis le début, l’administration Drapeau privilégie le site de Pointe-Saint-Charles.

Elle a même présenté une maquette de ce site au BIE en novembre 1962 avec la candidature de Montréal !

Dans son numéro de janvier 1963, la revue Architecture-Bâtiment- Construction (p. 22-27) publie un exposé complet du projet avec cartes à l’appui. Malgré un certain consensus autour du site de Pointe-Saint-Charles, des journalistes présents au congrès rapportent la présentation du projet de la firme de Saint-Bruno-de-Montarville.

Le 28 janvier 1963, un article sur le projet des îles parait dans La Presse sous la signature de Jacques Guay, et un autre dans le quotidien The Gazette. Le 8 février, la firme convoque une conférence de presse afin de faire connaître son projet au grand public.

Fait à noter, parmi les cinq ou six projets proposés jusque-là, seul celui des îles est l’œuvre d’architectes et a fait l’objet d’une étude technique détaillée. En février et en mars, c’est au tour du Devoir, de l’Echo des Monts et de l’Écho de la Rive Sud, et même de Cité Libre où Jean Cimon, président de l’Association des urbanistes, se prononce en faveur du projet.

Le 12 février, Bruno Bédard est interviewé par Charles Dussault à l’émission Métro-Magazine sur les ondes de Radio-Canada et il relate comment l’idée du site des îles lui est venue [ici.radio-canada.ca « Expo 67 : On a créé une île »]. Le 16 février 1963, les deux premiers commissaires de la Compagnie de l’Expo, Paul Bienvenu et Cecil Frank Carsley, indiquent quatre sites qui sont privilégiés pour la tenue de l’Expo 67: Pointe Saint- Charles, Ville La Salle, le parc Maisonneuve et le Nord- Est de Montréal.

Le site des îles semble être écarté par les autorités. Dans les semaines qui suivent, l’architecte Bruno Bédard est amené à défendre son projet à la radio et à la télévision. En mars, une série d’entrevues a lieu à la radio et à la télévision, à l’émission Aujourd’hui de Radio-Canada (canal 2) avec Pierre Nadeau, puis à Télé-Métropole (canal 10) à l’émission 3,000,000,000 d’hommes et vous animée par Alban Flamand.

Annonce officielle de l’emplacement du site de l’Expo 67

Le projet des îles fait alors beaucoup parler de lui et la rumeur veut que ce projet soit peut-être retenu par l’administration Drapeau. Le quotidien La Presse en fait même la une de son édition du samedi 23 mars 1963.

Le 28 mars, Bruno Bédard est à la station de radio CKAC, à l’émission hebdomadaire Expo 67, en compagnie du journaliste Roland Racine pour présenter le projet des îles et en discuter. À la fin de l’entrevue, l’animateur invite Bruno Bédard à l’accompagner à la conférence de presse à l’Hôtel de ville de Montréal pour assister à l’annonce officielle du choix du site de l’Expo 67.

À cette occasion, l’animateur présente M. Bédard à Lucien Saulnier, président du comité exécutif de la Ville et à Guy Beaudet, directeur du port de Montréal. Ce dernier lui demande alors comment il connait si bien le port de Montréal. M. Bédard lui répond que sa firme d’architectes avait obtenu les plans de la Voie maritime du gouvernement fédéral.

Puis l’annonce est faite et, contre toute attente, ce n’est pas à Pointe-Saint-Charles mais sur des îles dans le fleuve Saint-Laurent que se tiendra l’Expo 67. Le maire affirme que c’est au cours d’une promenade en bateau dans le port de Montréal en compagnie de Guy Beaudet que ce dernier l’avait convaincu de la beauté du site des îles.

Guy Beaudet, qui avait vraisemblablement consulté les plans de la firme d’architectes déposés en septembre 1962 à l’Hôtel de ville de Montréal, n’intervient pas pour attribuer la paternité du site à ses concepteurs.

Plusieurs des personnes présentes connaissent les réels concepteurs du site, mais personne n’ose se manifester publiquement pour rectifier les « faits alternatifs » (comme on le dirait aujourd’hui) de l’administration municipale. Il ne faut pas gâcher la fête !

Un participant ira même jusqu’à conseiller à M. Bédard et à la firme d’architectes de ne pas trop faire de bruit avec cette affaire afin de ne pas se mettre à dos des personnalités importantes. Le lendemain de l’annonce  officielle,  le 29 mars, Jean Drapeau sur les ondes de Radio-Canada lors d’une entrevue menée par le journaliste Charles Dussault, réaffirme que la paternité du site revient à Guy Beaudet [ici.radio-canada.ca « Expo 67 : On a créé une île »].

À ce point du récit, la firme d’architectes, dont les efforts de conception et de promotion du projet ont  été largement médiatisés, disparaît des écrans radar. Désormais commence le mythe.

Déçus de la tournure des événements, les architectes se rendent quelques jours plus tard, à l’Hôtel de ville de Montréal pour récupérer les documents de leur projet, en leur remettant les documents le secrétaire du maire leur mentionne que le maire et le président du Conseil exécutif avaient examiné avec attention leur plan.

Les architectes entreprennent alors des démarches officielles dans l’espoir de faire partie de l’équipe mandatée pour préparer les plans d’ensemble ou, du moins, obtenir d’éventuels contrats de travaux pour la construction d’infrastructures ou de pavillons à l’Expo.

Le nouveau directeur général de l’Expo 67, Pierre Dupuy, s’empresse de nommer l‘architecte Claude Robillard responsable de la supervision de l’ensemble du projet. La firme à l’origine du site est écartée sans aucune explication. Au final, les architectes de la firme de Saint-Bruno-de-Montarville, en dépit de tous leurs efforts, n’auront participé en aucune façon à l’aménagement du site qu’ils avaient eux-mêmes conçu !

Difficile reconnaissance et persistance du mythe

En 1965, deux ans avant la tenue de l’exposition, le journaliste Raymond Grenier publie, aux Éditions de l’Homme, le livre Regards sur l’expo 67 qui relate  la naissance mouvementée du projet de l’exposition universelle à Montréal.

Dans cet ouvrage, la conception du site des îles par la firme Bédard, Charbonneau et Langlois est clairement évoquée : « Ce projet était l’œuvre du bureau des architectes Bédard, Charbonneau et Langlois, de Saint-Bruno, et il avait été soumis à l’attention des lecteurs de la Revue d’architecture avant même que se réunisse, au Lac Beauport, près de Québec, à la fin de janvier 1963, le congrès de l’Association des architectes de la province de Québec. » (Grenier p. 56).

Avec  le  temps, et malgré  l’évidente paternité de la conception du site des îles par la firme de Saint- Bruno-de-Montarville, l’erreur persiste et refait surface sporadiquement au fil des commémorations de l’Expo 67. Ainsi en avril 1992, le journaliste Guy Pinard de La Presse publie un article pour souligner les 25 ans de l’Expo 67 en réutilisant les faits erronés.

En réaction à cet article et afin de rétablir les faits, Bruno Bédard écrit une lettre qui sera publiée dans La Presse et auquel le journaliste répond en reconnaissant n’avoir pas eu malheureusement connaissance de cette paternité.

Malgré notre travail de pionnier et notre ardent désir de participer à la réalisation de ces îles inventées, projet unique dans une vie, notre bureau fut complètement écarté de tout travail de conception ou même d’exécution de projet sur le site; ce n’est qu’après avoir acheté notre billet à l’entrée que nous avons pu admirer les oeuvres créées par d’autres architectes sur un site enchanteur que nous avions travaillé d’arrache-pied à concevoir et à promouvoir. 

(Extrait d’une lettre de Bruno Bédard publiée dans La Presse en avril 1992)

Au printemps 1997, pour souligner les 30 ans de l’Expo 67, paraît le livre d’Yves Jasmin La petite histoire d’Expo 67 publié chez Québec Amérique, qui attribue à nouveau à tort l’idée du site à Guy Beaudet du port de Montréal.

Seuls deux courts passages mentionnent le travail préliminaire d’architectes, un premier où il fait mention du livre de Grenier qui affirme « […] qu’une firme d’architectes avait proposée [le  site]  au  début de 1963. » (Jasmin p. 53) et un autre où il mentionne « L’idée de Guy Beaudet avait été proposée au ministre Pierre Sévigny, responsable des affaires du Québec et donc de l’Expo, avant par l’architecte Charbonneau. » (Jasmin p. 54). En avril 1997, le journaliste Serge Truffaut du journal Le Devoir rétablit enfin les faits sur la réelle paternité du site de l’Expo 67 à partir d’une entrevue avec Bruno Bédard.

Mais rien n’y fait, la légende est tenace et aura assurément la vie longue puisque le site de l’encyclopédie libre Wikipédia perpétue l’erreur historique avec l’affirmation suivante : « Afin de combler le problème d’espace pour accueillir les différents exposants, le maire de Montréal de l’époque, Jean Drapeau, développe une idée qui semble au départ saugrenue (pour certains): élargir une île déjà existante et créer de toute pièce une autre île sur le fleuve Saint-Laurent. » Encyclopédie libre Wikipédia [en ligne]. Une demande de rétablissement des faits est en cours d’étude.

Une carrière qui s’est poursuivie

Malgré le fait que la firme de Saint-Bruno-de-Montarville n’ait jamais reçu aucune reconnaissance officielle pour son rôle vital dans la genèse du site de l’Expo 67, les architectes Bédard, Charbonneau et Langlois ont par ailleurs connu une carrière riche en grandes réalisations.

C’est le cas de Bruno Bédard qui, au sein de cette firme ou avec d’autres associés, a réalisé de nombreux projets institutionnels tels que l’Hôpital Saint-Michel, plusieurs écoles primaires et secondaires dont l’une des premières en 1968 à Saint-Hubert sur la Rive-Sud de Montréal, l’école polyvalente Macdonald-Cartier, le complexe sportif Claude-Robillard  pour  les  Jeux  olympiques de 1976, la station de métro Fabre (en collaboration avec Raimondo Averna en 1986) et même un centre communautaire autochtone dans le Grand Nord.

Espérons que cet article permettra de remettre les pendules à l’heure quant aux faits historiques concernant la réelle paternité de la conception du site de l’Expo 67.

Il faut bien comprendre que sans ces architectes visionnaires, à l’origine d’un des lieux emblématiques de la ville de Montréal, l’Expo 67 n’aurait pas eu lieu dans le site enchanteur dont tout le monde a vanté les mérites. Ces trois architectes méritent d’être reconnus pour leur contribution majeure à l’histoire de l’Exposition universelle de Montréal de 1967.

Les premières expositions universelles

La première exposition universelle se tient à Londres en 1851 et, avec son Palais de Crystal, elle laisse une impression forte d’un monde en pleine transformation.

Elle déclenche aussi un mouvement d’expositions dans les capitales européennes telles Paris, Bruxelles et Vienne ainsi que dans de nombreuses villes américaines afin d’attirer les touristes et les dignitaires du monde. Au tournant du XXe siècle, l’augmentation rapide du nombre d’expositions, sans réel contrôle sur leur qualité et leur pertinence, amène les exposants et les gouvernements à demander une réglementation.

En 1928, on assiste à la signature de la Convention internationale des expositions qui crée par la même occasion le Bureau international des expositions (BEI) à Paris. Cet organisme, toujours en fonction, limitera la fréquence des expositions et amènera les pays et les villes à présenter leur candidature à un comité de sélection (Schroeder-Gudehus p. 15-20).

Variantes par rapport au projet original

L’île Sainte-Hélène et l’île Ronde ont été reliées comme dans le projet initial, mais les îles ont été agrandies considérablement à l’aide des déblais d’excavation en provenance de la construction du métro.

La portion prévue sur les rives de Longueuil ne sera pas retenue par les architectes engagés par l’administration de la Ville de Montréal.

Une section La cité du Havre située à l’est de la Pointe-Saint-Charles sera ajoutée au projet et pourra, grâce au futur pont de la Concorde, rejoindre l’île Sainte-Hélène puis l’île Notre-Dame créée de toutes pièces et prévue dans le projet de la firme Bédard, Charbonneau et Langlois.

Sources

Grenier, Raymond, Regards sur l’expo 67, Montréal, Éditions de l’Homme, 1965.

Jasmin, Yves. La petite histoire d’Expo 67, Montréal, Éditions Québec/Amérique, 1997.

Schroeder-Gudehus, Brigitte, « Progrès et fierté : les ex- positions universelles », Bulletin d’histoire politique, vol. 17, no.1, Montréal, Lux, 2008.

Vanlaethem, France. « Architecture et urbanisme : la contri- bution d’Expo 67 à la modernisation de Montréal » Bulletin d’histoire politique, vol. 17, no.1, Montréal, Lux, 2008.

Bédard, Claude. « La genèse du site de l’Expo 67 », Be- dardtraducteur.ca, [en ligne].

Expo 67, guide officiel, Canada, les Éditions Maclean-Hunter, 1967.

Ici.radio-Canada.ca, Première Plus - Ici Radio-Canada Pre- mière, « Expo 67 : On a créé une île » [en ligne].

Entrevue avec Bruno Bédard réalisée par Claude Bédard en juillet 1996.

Dossier documentaire compilé par Claude Bédard.

Revue Architecture-bâtiment-construction, Montréal, éditions Eugène Charbonneau & fils, vol.18, no. 201 janvier 1963.

Wikipédia l’encyclopédie libre, « Expo 67 », [en ligne], (5 avril 2017).

Raymond Bédard est un enseignant d’histoire de 4e secondaire et le président de la Société des professeurs d’histoire du Québec. Il est également lauréat du Prix d’histoire du Gouverneur général pour l’excellence en enseignement de 2011.

Cet article est paru à l’origine dans la revue Traces, volume 55, numéro 3, étè 2017, pages 39 à 44. La revue est publiée par la Société des professeurs d’histoire du Québec (SPHQ).

La SPHQ a pour mission de promouvoir l’enseignement de l’histoire au Québec sous tous ses aspects, auprès de ses membres et de la population en général et de contribuer à assurer la transmission de l’information et le développement des professionnels de l’enseignement.

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