La langue des maisons du peuple Métis

La maison de Ron Bazylak est l’une des deux dernières maisons métisses encore habitées en Saskatchewan.

Écrit par Graham Chandler

Mis en ligne le 17 octobre 2016
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Il y a sept ans, lorsque Ron Bazylak a acheté sa maison du 216 First Street de Duck Lake, en Saskatchewan, il ne savait pas quelle aventure l’attendait. Pendant sa jeunesse, il livrait l’épicerie de l’ancien combattant qui habitait cette demeure, mais il ne savait rien de la place qu’occupait cette maison dans l’histoire du Canada jusqu’au moment où il a tenté de retirer un crampon du mur du salon.

« On a utilisé un arrache-clou et une barre à clous pour tenter de le retirer, se souvient-il, sans succès! » Sous les panneaux jaunes se trouvaient de solides billots, dressés à la hache par des vétérans de la Rébellion menée par Louis Riel en 1885, dont les premiers coups de feu ont été tirés près d’ici.

La maison de Ron Bazylak est l’une des deux dernières maisons métisses encore habitées. Ces constructions de rondins du district St. Laurent de Grandin, sur la rivière Saskatchewan Sud, sont différentes des autres habitations de bois rond que l’on voit se dégrader lentement dans la prairie.

Les extérieurs sont résolument de type Georgien, avec un toit à pignon à inclinaison moyenne et une porte centrale, flanquée de deux fenêtres symétriques. Mais une fois à l’intérieur, les grands espaces communs rappellent davantage le tipi des Indiens des Plaines qu’une résidence géorgienne.

Cette combinaison de caractéristiques n’est pas le fruit du hasard. Comme l’a expliqué le professeur d’archéologie de l’Université Simon Fraser, David Burley, dans le journal Historic Archaeology, les Métis ont intégré des éléments provenant de différents milieux culturels : les traits anglais, français, écossais, cris, ojibways et assiniboines se sont fusionnés dans ce processus de créolisation, unis par une langue commune, dérivée du français et du cri des Plaines, appelée Michif.

À l’instar de la grammaire michif, qui repose sur les langues des différents peuples fondateurs, les maisons métisses rassemblent des caractéristiques reflétant ces cultures multiples. La culture métisse s’est réellement développée dans le contexte du commerce de la fourrure de l’Ouest canadien.

Vers le milieu du 19e siècle, les Métis formaient un groupe ethnique distinct et reconnaissable, notamment par une architecture qui lui était propre et des techniques de boucherie avec outils de pierre qui sont devenues, avec le temps, leur marque de commerce. En plus de s’adonner au commerce de la fourrure, les Métis, durant la première moitié des années 1800, ont participé aux grandes chasses au bison des rivières Rouge et Assiniboine du Manitoba.

Mais lorsque les colons et les homesteaders jetèrent également leur dévolu sur les troupeaux en déclin, après 1860, de nombreux Métis furent obligés d’abandonner la chasse et de se déplacer vers l’ouest. En 1880, les Métis étaient en pleine transition, d’un peuple de chasseur à un peuple d’agriculteurs, et bon nombre d’entre eux s’installèrent dans la région des prairies de la Saskatchewan.

Ils s’établirent dans la jolie paroisse boisée de St. Laurent de Grandin, sur la rivière Saskatchewan Sud, à 90 kilomètres au nord de la ville actuelle de Saskatoon. Ils y ont construit leurs fermes et leurs villages, le plus connu étant celui de Batoche, qui sera au cœur de la Rébellion des Métis de 1885.

Leur style architectural était non seulement unique au Canada, mais s’éloignait du style de structure de la rivière Rouge, qu’ils avaient laissé derrière eux. Des universitaires l’ont appelé le style St. Laurent.

Les maisons de style St. Laurent, construites de 1870 à 1940, étaient somme toute assez semblables. La plupart faisaient un étage à un étage et demi et étaient coiffées d’un toit à pignon à inclinaison moyenne. En outre, on y trouvait une grande aire ouverte au rez-de-chaussée, la seule division étant celle délimitant l’appentis adossé à un mur à l’arrière de la maison, bâti après la construction initiale, et qui servait de cuisine d’été ou de remise.

Un escalier simple menant aux chambres était toujours adossé contre un mur. Des poêles de fonte, plutôt qu’un foyer, servaient au chauffage et le cellier était creusé sous le plancher de la pièce principale.

Comme pour la plupart des premiers colons des Prairies, les Métis adaptèrent les matériaux locaux avec succès. Naturellement, on se servit des pierres plates de la rivière pour les fondations. Les ouvrages étaient faits de rondins de peuplier blanc ou noir, de mélèze ou d’épinette, équarris ou dressés à la hache, et fixés aux coins à l’aide d’un assemblage ajusté à queue d’aronde.

« La queue d’aronde était une technique plus rapide et plus solide que celle employée dans les maisons de la rivière Rouge », explique l’aîné métis, Ed Bruce.

(Le style traditionnel de la rivière Rouge reposait généralement sur un assemblage à tenons et rainures, où des rondins équarris à l’horizontale étaient taillés de façon à s’imbriquer dans les rainures d’un rondin vertical).

Le recours à des méthodes de construction plus durables révélait également le désir d’une installation plus permanente. Ed Bruce explique que les rondins des murs étaient souvent redressés par un chevillage placé verticalement dans le rondin même. Plus tard, on a eu recours au remplissage des murs extérieurs : des plâtres et argiles locaux étaient tenus en place par un réseau de branches de saule.

Ce style aurait été influencé par les Ukrainiens qui se sont installés dans la région au début des années 1900. Les toits étaient recouverts de bardeaux de bois local.

La façade avant, qui distingue le style St. Laurent de celui des autres maisons de rondins, est particulièrement frappante. La porte centrale était flanquée de deux fenêtres symétriques.

« La symétrie de la façade donnait à ces demeures l’apparence du style georgien, un rapprochement plutôt étonnant pour ce peuple qui, jusqu’à tout récemment, était encore composé de chasseurs de bison », écrit M. Burley, qui a mené une étude et établi un répertoire des maisons traditionnelles en 1986.

D’autres universitaires croient que cette caractéristique aurait été inspirée par les loyalistes de l’Empire-Uni, qui appliquaient ces principes de la symétrie géorgienne. En effet, après 1870, la migration des Canadiens de l’Est dans la région s’intensifiera.

À l’intérieur, on observe d’autres caractéristiques qui distinguent les demeures métisses de celles des autres colons des Prairies, essentiellement, l’aire ouverte. M. Burley relie ce détail à un aspect unique de la culture métisse : sa vision du monde.

Les données qu’il a recueillies montrent que les Métis forment une société « organique, informelle, sans frontière et ouverte, dont les traits se révèlent également dans leurs relations avec la nature et avec leurs pairs. »

Même après la transition des Métis, devenus un peuple d’agriculteurs après avoir vécu de la chasse, les principes structurants de cette vision du monde continuent d’influencer leur relation avec la terre, les biens matériels, l’organisation spatiale et les relations sociales.

« Lorsque l’on entrait dans une maison de la rivière Saskatchewan Sud, on entrait de plain-pied dans l’univers domestique des Métis, un univers dépourvu de portes, ouvert à tous et marqué par la simplicité, écrit-il. L’intérieur de la maison reflète l’absence de frontières, un principe qui met en évidence le sens de la communauté, du consensualisme et de l’équité propre aux Métis. »

Ainsi, dans cette pièce principale se déroulaient toutes les tâches du ménage : cuisine, repas et échanges. Lorsque les appentis furent ajoutés, un peu plus tard, ce modèle se transforma légèrement. Les petits ajouts à l’arrière de la maison devenaient des cuisines, laissant la pièce principale servir de lieu de rencontre et de réjouissances.

Le deuxième étage, que l’on atteignait par un escalier adossé au mur du fond, servait toujours au repos. Les invités étaient généralement conviés à passer la nuit dans la pièce principale du rez-de-chaussée.

M. Burley compare les diverses caractéristiques culturelles intégrées à ces constructions à la langue michif :

« Ces éléments correspondent aux mots qui composent cette langue, explique-t-il. Il y a des "mots" qui ont inspiré la construction de ces maisons… et le système qui relie ensemble tous ces éléments est la grammaire. »

Ces maisons traditionnelles ont peuplé la vallée jusqu’au début des années 1930, où les communications accrues avec le monde extérieur influencèrent la culture locale. Les voitures, l’électricité et la radio changèrent la vie des paroissiens de St. Laurent. Vint ensuite le bois des scieries, qui accéléra l’abandon des assemblages à queue d’aronde au profit des charpentes de bois.

L’équipe de M. Burley a consigné 24 maisons dans le style St. Laurent construites entre 1882 et 1940 qui sont toujours debout; aujourd’hui, il n’en reste que huit. Six de ces maisons se dressent, seules, au milieu d’un champ, vidées de leurs meubles ou remplies de foin, rappels poignants du riche héritage métis de la Saskatchewan.

Une de ces maisons a été préservée au lieu historique national de Batoche et l’autre, celle de Ron Bazylak, reste encore sur pied, avec son crampon dans le mur.

Graham Chandler est un auteur de Calgary.

L’article est paru pour la première fois dans le numéro d’août-septembre 2003 du magazine The Beaver.

Cet article est aussi offert en anglais.

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