L’informatique pendant la guerre froide

Les habitants des rives du lac Ontario étaient habitués à voir des navires de guerre depuis le milieu du 18e siècle. Pendant la guerre de Sept Ans, de 1756 à 1763, quelques navires britanniques et français ont manœuvré et combattu sur les eaux du lac — même si, comme l’a fait remarquer plus tard un historien, il s’agissait davantage de manœuvres que de combats réels. Après la Seconde Guerre mondiale, la présence militaire se limite à des exercices d’entraînement réguliers de la Marine royale canadienne (MRC) qui impliquent parfois le largage de grenades sous-marines, ainsi qu’à des apparitions publiques lors de salons et d’expositions.
Imaginez alors la surprise des archivistes lorsqu’ils ont découvert des documents « très secrets » sur un convoi de navires de guerre rôdant sur le lac, équipés d’ordinateurs qui communiquaient par un réseau numérique sans fil à une époque où de tels réseaux n’existaient nulle part ailleurs dans le monde, et où les rares ordinateurs existants étaient trop volumineux et trop fragiles pour être déplacés, sans parler de l’impossibilité de les utiliser sur des navires ballottés par les vagues.
Mais en 1953, un convoi de ce type, rempli d’équipements informatiques de pointe fabriqués au Canada, a bel et bien navigué sur les eaux du lac Ontario dans le cadre d’une démonstration très secrète d’un système informatisé appelé DATAR (Digital Automatic Tracking and Remoting). Ce système a été pensé par le lieutenant (plus tard commandant) James Louis Belyea, de la Marine royale canadienne, qui l’avait conçu pour aider le commandement naval dans des situations de guerre complexes. Une série de documents récemment donnés au Musée de l’informatique de l’Université York à Toronto révèle que le DATAR était l’une des initiatives les plus innovantes, les plus audacieuses et pourtant les moins connues de l’industrie naissante de l’électronique numérique canadienne au début des années 1950.
En tant que conservateur du Musée de l’informatique de l’Université York, j’ai archivé, étudié et rédigé des articles sur plusieurs collections importantes données au musée au fil des ans. Elles comprenaient généralement des rapports techniques et d’entreprise, ainsi que toutes sortes de documents promotionnels. Il est rare que les archives recueillies sur les réalisations d’entreprises et les avancées technologiques révèlent une dimension humaine. Mais les archives DATAR sont différentes, non pas par la quantité d’informations qu’elles contiennent, mais par la richesse des témoignages personnels sur le développement du DATAR laissés par Belyea dans ses mémoires manuscrites, ses notes techniques, ses lettres et ses comptes rendus de visites, de réunions et d’autres événements. Ces documents révèlent que le DATAR n’est pas né d’une idée de génie, mais d’un processus graduel résultant de problèmes opérationnels dans la lutte anti-sous-marine observés par Belyea alors qu’il était officier chargé des opérations radar de la force d’escorte de l’Atlantique Ouest pendant les dernières années de la Seconde Guerre mondiale.


Pendant la Bataille de l’Atlantique, la flotte sous-marine allemande a lancé des attaques dévastatrices contre les navires marchands étrangers dont dépendait entièrement la survie de la Grande-Bretagne. Afin de minimiser les dommages causés par ces attaques, les navires alliés ont été organisés en convois, protégés par des navires de guerre et des avions. Les informations sur les sous-marins allemands recueillies par les opérateurs radar et sonar des convois étaient transmises verbalement aux centres d’information sur les opérations des cuirassés, où elles étaient utilisées pour mettre à jour manuellement les cartes ou les tracés du champ de bataille. Ces cartes étaient ensuite utilisées par le commandement pour analyser la situation et donner les ordres appropriés. Des communications radio entre les navires et des signaux par pavillons étaient également utilisés pour coordonner les efforts de défense au sein d’un convoi en transmettant l’information et en relayant les ordres. La lenteur et le manque de fiabilité inhérents aux liens humains sur lesquels reposait ce processus faisaient en sorte qu’il était très difficile de mettre en place une défense efficace contre les sous-marins, et les convois subissaient de lourdes pertes aux mains des meutes de sous-marins allemands.
C’est à ce moment-là que Belyea a compris que les escortes anti-sous-marines des convois seraient sans doute confrontées à des cibles ennemies beaucoup plus concentrées, rapides et performantes lors de futurs conflits. La complexité même de la collecte de données précises sur ces cibles, ainsi que du tri et de la présentation de ces données sous une forme immédiatement compréhensible, rendait les méthodes disponibles totalement inadéquates pour assurer une coordination efficace de la défense des convois. Les opérateurs humains des centres d’information opérationnelle étaient incapables de fournir en continu et rapidement une image complète du champ de bataille. Il concluait dans l’un de ses rapports qu’« une nouvelle approche semble nécessaire pour résoudre ce problème assez grave ».
Mais ce n’est que lorsque Belyea est transféré du service d’escorte de convoi à celui d’officier d’entraînement radar en mer à bord du HMCS Somers Isles, aux Bermudes, que ses idées, qui allaient finalement aboutir au concept DATAR, commencent à germer. Pour être efficaces, les centres d’information opérationnelle devaient s’appuyer sur un nouveau système semi-automatique de collecte, de traitement, de présentation et de transmission des données, fondé sur des principes et des technologies qui restaient encore à étudier et à développer. Comme il l’a expliqué plus tard dans l’un de ses rapports de 1950, « un tel système viendrait renforcer les pouvoirs d’un commandement intelligent et agressif (tant au niveau du groupe que de l’individu) et fournir un outil tactique efficace pour une coopération étroite, une compréhension rapide et une action instantanée dans le cadre de tactiques conjointes, surpassant de loin les installations actuelles des centres d’information opérationnelle. »
Belyea s’est également rendu compte qu’avec les nouvelles solutions adoptées, la formation des officiers de marine nécessiterait des dispositifs automatisés avancés d’entraînement au combat, équipements que nous appellerions aujourd’hui des simulateurs de combat assistés par ordinateur. La recherche et la mise en œuvre de solutions efficaces à ces problèmes allaient définir l’essentiel de sa carrière dans la MRC.
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Après la guerre, Belyea rejoint le quartier général de la Marine à Ottawa et met ses idées de l’avant. Dans l’un de ses rapports de 1945, il souligne « la nécessité d’améliorer les techniques d’affichage radar en utilisant le suivi automatique des cibles à partir de radars à balayage continu, de moyens de traçage automatique des cibles, de la transmission à distance et filtrée vers les positions des utilisateurs, de l’asservissement automatique des directeurs de tir sur les cibles [en d’autres termes, la direction automatique des canons vers les cibles à l’aide de servomoteurs] et de liaisons radio automatiques pour afficher les cibles suivies sur d’autres navires ». Si ce projet de DATAR ne remporte pas un succès instantané auprès des décideurs de la Marine, sa proposition de simulateurs de combat automatisés est rapidement approuvée. Tout bien considéré, cela se révèle une chance, car le DATAR et les simulateurs reposent tous deux sur des solutions similaires. Ainsi, la conception des simulateurs laissait espérer, parallèlement, le lancement des premiers travaux sur le DATAR.
Belyea, qui dispose alors de son propre laboratoire d’électronique établi au quartier général de la Marine et d’une petite équipe d’ingénieurs et de techniciens, peut se concentrer sur les solutions techniques. Au cours des mois suivants, il visite des centres d’informatique et de génie électrique américains et britanniques, recueillant de l’information et élargissant son expertise en ingénierie à de nouveaux domaines. (Il était déjà titulaire d’un diplôme en génie électrique de l’Université du Nouveau-Brunswick.)
Belyea rencontre des ingénieurs, des scientifiques et des pionniers de l’informatique de renom, notamment Alan Turing (mathématicien britannique surtout connu pour ses contributions exceptionnelles à la cryptographie pendant la Seconde Guerre mondiale et pour ses travaux novateurs sur les mathématiques de l’informatique et l’intelligence artificielle); John von Neumann (immigrant hongrois aux États-Unis et l’un des mathématiciens, physiciens et pionniers de l’informatique les plus influents); Jay Forrester (professeur américain en génie électrique au Massachusetts Institute of Technology) et Sir Frederic Williams (professeur britannique à l’Université de Manchester, reconnu pour ses travaux sur le premier ordinateur numérique à programme enregistré au monde, le Manchester Baby, et sur les premiers dispositifs de mémoire informatique). Belyea remplit des carnets entiers de notes et de commentaires détaillés, d’évaluations techniques et de croquis.

Cependant, malgré sa persévérance et ses efforts (qui, comme il l’admet lui-même, lui valent autant d’ennemis que d’amis), tout ne se passe pas sans heurts. Le DATAR ne parvient pas à décoller et les membres de son équipe quittent son laboratoire pour des emplois plus stimulants. Dans une lettre adressée à W.H.G. Roger, ingénieur en chef de la MRC, Belyea écrit : « Je maintiens fermement que ce pays peut égaler ou surpasser n’importe quelle autre nation dans n’importe quel domaine scientifique ou technique, s’il s’y emploie sérieusement, et que la Marine et cette section devraient parvenir à le prouver pour le moral des troupes. Dans le domaine du génie électrique, je vois un vaste champ pour des avancées révolutionnaires au cours du prochain demi-siècle, et un avantage tactique certain pour les forces armées les plus promptes à promouvoir et à utiliser ces avancées. »
Au début de l’année 1948, Belyea a suffisamment avancé dans sa réflexion et sa conception pour solliciter à nouveau un soutien en faveur du DATAR. « En bref, écrit Belyea, le DATAR fonctionnerait essentiellement comme un système d’échange automatique de données, recevant des informations provenant à la fois de sources locales situées dans le navire [de l’utilisateur] et de sources distantes situées dans des navires et des avions compagnons, interreliant, affinant, classant et stockant toutes les données, puis distribuant l’information aux utilisateurs dans [leur] propre navire et intégrant tous leurs ajouts aux connaissances des utilisateurs des navires distants. L’idée selon laquelle il faut gagner du temps partout où cela est possible et que l’information présentée à tous les utilisateurs doit être simple, claire, précise et complète est au cœur de la philosophie du DATAR... Conformément à cette philosophie, le DATAR doit être aussi automatique que possible, dans les limites de la sécurité des marges décisionnelles, tout en étant facile à comprendre et à maintenir. » Pour la première fois, il place les technologies numériques naissantes au centre de la philosophie et de la structure de son système. « Il est désormais certain que la transmission numérique des données est un élément essentiel du système DATAR proposé, que le stockage numérique est la clé de la poursuite du programme et que les systèmes de traitement et d’affichage des données numériques sont très prometteurs. »
Par rapport aux solutions analogiques utilisées dans les équipements de la MRC, les techniques numériques offrent des avantages en termes de flexibilité, de fiabilité, de performance, de miniaturisation et de maintenance. Il souligne que l’ordinateur numérique offre des capacités inégalées en utilisant directement des données numériques, en les stockant automatiquement, puis en les traitant et en les diffusant à d’autres ordinateurs en réseau. En bref, un système DATAR offrirait un système fiable et performant pour la collecte, le traitement, l’affichage et le partage automatiques et en temps réel de données de combat à l’aide d’ordinateurs numériques communiquant au moyen d’une liaison radio numérique.
Belyea comprend également que les systèmes de type DATAR pourraient être utilisés dans d’autres applications militaires et civiles, notamment le contrôle du trafic aérien et maritime, car ces opérations deviennent de plus en plus complexes et soumises à la surveillance électronique. Rien de tel n’avait jamais été proposé auparavant.
Avec la technologie actuelle, il suffirait de construire un système DATAR autour d’ordinateurs renforcés conçus pour fonctionner de manière fiable en mer ou dans d’autres environnements difficiles. Les ordinateurs communiqueraient entre eux par un réseau sans fil sécurisé afin de recueillir, d’analyser et d’afficher des informations sur les cibles ennemies. Cependant, à la fin des années 1940, il n’existait aucun ordinateur numérique au Canada, ni aucun réseau informatique dans le monde. Les travaux sur ARPANET, le précurseur de l’Internet, ne seront lancés qu’au milieu des années 1960.
Pour rendre la situation encore plus complexe, ni la MRC, ni aucune entreprise canadienne ne disposait de l’expertise en électronique numérique ou des compétences en fabrication nécessaires pour mener à bien des projets d’une telle complexité. Pour construire les simulateurs de combat et le DATAR, Belyea avait donc besoin de partenaires industriels canadiens prêts à créer des divisions de recherche en électronique numérique capables de travailler sur des technologies et des équipements novateurs dans les domaines de l’informatique, du stockage, de la transmission et de l’affichage numériques. Il a finalement joué un rôle déterminant dans la création de la première entreprise informatique du Canada, Computing Devices of Canada, à Ottawa, et d’une division de recherche électronique chez Ferranti Electric Canada, à Toronto, en négociant des contrats de démarrage avec ces deux entreprises.
Mais ce n’est qu’en 1950 que le projet DATAR passe finalement de la phase théorique à la phase pratique. Au début de cette année-là, le laboratoire d’électronique de la MRC expose les avantages de la technologie numérique au ministre de la Défense nationale, Brooke Claxton, et à plusieurs fonctionnaires du ministère de la Défense nationale.
Au cours de la démonstration, un champ de bataille naval simulé composé de diverses cibles mobiles (navires et aéronefs) est généré par des équipements numériques dans l’usine Ferranti de Toronto. Les informations relatives à ces cibles, telles que leur type, leur position, leur vitesse et leur direction, sont transmises automatiquement et en continu au laboratoire d’électronique d’Ottawa au moyen d’une liaison radio numérique unique. Les responsables qui observaient la démonstration à Ottawa pouvaient voir les mouvements des cibles sur un prototype d’écran mis au point par Computing Devices of Canada. Bien que la démonstration ne peut pas encore illustrer pleinement le potentiel opérationnel du DATAR, « elle s’est révélée suffisante pour susciter l’enthousiasme des experts opérationnels et techniques » présents, écrit M. Belyea dans son rapport du 28 janvier 1950 intitulé « DATAR : A New Canadian Development » (DATAR : une nouvelle technologie canadienne).
Peu après, le projet DATAR est approuvé, placé sous l’égide du Conseil de recherches pour la défense et entièrement financé. Dans une lettre datée du 11 février 1950 et signée par W.H.G. Roger, M. Belyea reçoit les éloges suivants : « En référence à la récente démonstration et présentation du "Datar" à ce jour, nous sommes très heureux de vous informer que le Conseil naval vous félicite pour votre travail dans ce domaine et demande que cette mention soit versée à votre dossier. »
À la mi-1953, un système DATAR expérimental est prêt pour des essais sur le lac Ontario. En août de cette année-là, deux dragueurs de mines de classe Bangor de la MRC, le HMCS Granby et le HMCS Digby, participent à l’Exposition nationale canadienne (ENC) à Toronto. Les navires sont ancrés au large, à une distance qui offre une bonne visibilité aux milliers de spectateurs qui se rassemblent chaque soir pour assister à un spectacle lumineux. Les navires restent dans le noir jusqu’à ce qu’un signal soit donné, puis déclenchent un feu d’artifice permettant de distinguer leur silhouette. Comme on le rapportera par la suite, en raison d’« engagements opérationnels », les dragueurs ne participent plus au spectacle au-delà des deux premières nuits de l’exposition. Ces engagements visent en fait à préparer une démonstration très secrète de l’une des technologies de pointe les plus importantes de l’histoire canadienne d’après-guerre.
Sous le couvert de l’ENC, le Granby et le Digby sont équipés d’un prototype du système DATAR et préparés pour des démonstrations d’escorte d’un convoi de trois navires à la recherche de sous-marins. Le troisième « navire » du convoi est simulé dans une station côtière située dans un ancien site d’essai radar qui avait été converti en laboratoire de développement du DATAR sur les falaises de Scarborough Bluffs, surplombant le lac. Au cœur du système DATAR expérimental se trouvent trois ordinateurs numériques spéciaux construits et installés sur les navires par Ferranti. Les officiers de marine canadiens, américains et britanniques qui observent la démonstration depuis la station DATAR à terre sont impressionnés par les performances et le potentiel du système. Selon Arthur Porter, qui était dans les années 1950 directeur de la recherche à la division électronique de Ferranti, le DATAR est « le système le plus avancé de ce type au monde ».
Finalement, contrairement à ce qu’espérait la MRC, les marines britannique et américaine n’adopteront pas le système d’information sur le champ de bataille DATAR, préférant développer leurs propres systèmes. Un rapport secret de la MRC datant de septembre 1956, aujourd’hui déclassifié et conservé à Bibliothèque et Archives Canada, confirme que, trois ans après la démonstration du DATAR, la marine américaine (USN) a commencé à développer un « système de données tactiques navales » (NTDS), décrit dans le rapport comme « un système numérique de traitement automatique des données extrêmement similaire au projet DATAR de la MRC dans son concept général ». Le document mentionne également que « la conception du programme NTDS repose fortement sur le DATAR ».
En 1959, la perspective d’une mise en œuvre complète du DATAR paraît sombre. Stanley F. Knights, qui a été chargé en 1952 par Belyea de superviser les développements futurs du DATAR, note dans un rapport confidentiel daté de mai 1959 que « compte tenu des politiques actuelles du gouvernement canadien, l’avenir d’un système de traitement des données développé localement pour la MRC semble compromis; et si un tel équipement venait à être fourni à la MRC, il serait très probablement de conception et de fabrication américaines ». À la fin des années 1950, les travaux sur le système DATAR à grande échelle seront abandonnés. Belyea se retrouve de nouveau en mer, en route vers une promotion. L’équipement DATAR d’origine a très probablement été cannibalisé pour d’autres projets électroniques de la MRC. Il n’en reste que quelques photographies.

Quelle est donc l’importance historique et l’influence du DATAR? Elle se résume à quatre réalisations principales. Premièrement, le projet mettait de l’avant un nouveau paradigme informatique. Au lieu d’un seul ordinateur traitant des données pour obtenir une solution, plusieurs ordinateurs en réseau pouvaient résoudre le problème en partageant des données et des ressources. Il a sorti les ordinateurs des sous-sols pour résoudre des problèmes dans des environnements mobiles très dynamiques. Si les ordinateurs peuvent fonctionner sur des navires, ils pourront un jour trouver leur place dans les avions, rendant les vols plus sécuritaires.
Deuxièmement, le projet avait beaucoup à offrir en termes de solutions numériques novatrices, à commencer par son réseau informatique sans fil et ses écrans spécialisés. Selon Belyea, bien que les marines américaine et britannique n’aient pas adopté le système DATAR, l’essai DATAR de 1953 a donné l’impulsion nécessaire à la mise au point de systèmes de contrôle informatisés à grande échelle.
Troisièmement, le DATAR a conduit à la création des premières entreprises informatiques canadiennes et centres de recherche en électronique au sein d’autres entreprises canadiennes. Ferranti a mis à profit l’expertise numérique acquise dans le cadre du projet pour réaliser certaines des premières réalisations du monde informatique. En 1956, l’entreprise a mis au point un système informatisé de tri du courrier pour Postes Canada. Deux ans plus tard, elle a installé son système informatisé de tri des chèques à la Federal Reserve Bank de New York. En 1961, elle a construit le premier système informatisé de réservation de billets d’avion au monde, ResrVec, pour les Lignes aériennes Trans-Canada, et en 1962, elle a commercialisé le premier ordinateur polyvalent conçu au Canada, le FP6000. Enfin, le projet DATAR a donné naissance à la première génération d’ingénieurs en électronique numérique du pays.
Rétrospectivement, les années 1950 ont été une période étonnamment fertile pour la recherche et le développement informatiques dans le monde entier, et le DATAR illustre bien ces progrès rapides au Canada. Pourquoi alors l’invention de Belyea est-elle encore si peu connue? Pour répondre à cette question, il faut se rappeler que les années 1950 ont également été marquées par des tensions géopolitiques extrêmes causées par la guerre froide qui a débuté peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cette situation a contraint la MRC à classer secrets ou confidentiels la plupart de ses projets destinés à des applications navales, y compris le DATAR. Par conséquent, aucune information à leur sujet n’a été divulguée au grand public.

Selon une déclaration du bureau des affaires publiques de la Marine royale canadienne, « la MRC n’a connaissance d’aucun document relatif au DATAR qui ait été détruit ». Il est donc intrigant que, sur les centaines de documents liés au DATAR produits par ou pour la MRC, seule une douzaine de dossiers aient été déposés à Bibliothèque et Archives Canada, où sont conservés les dossiers des années 1950. Selon M. Belyea, après l’abandon du DATAR, les dossiers ont été scellés pendant plusieurs années, puis finalement détruits, « à l’exception de quelques exemplaires épars en possession des personnes les plus étroitement concernées, qui ne pouvaient être partagés ou publiés avant la levée de la classification, si jamais elle avait lieu ». Il ajoute : « comme j’avais l’habitude de travailler la nuit et le week-end loin du bureau et que j’avais donc un coffre fermé à clé chez moi, il me restait quelques documents de référence classifiés que j’ai pour la plupart détruits, mais j’ai conservé quelques exemples par nostalgie jusqu’à l’expiration de la classification ». Ce qui restait a été remis au Musée de l’informatique de l’Université York par la succession Belyea.
Au moins, la collection de documents de Belyea, ainsi que les documents DATAR déclassifiés conservés à Bibliothèque et Archives Canada, offrent un aperçu de la création et du développement du DATAR. Elle dresse le portrait d’un pionnier canadien de la technologie numérique, de l’initiateur, du concepteur et du promoteur de l’une des réalisations technologiques les plus importantes du Canada, de la technologie numérique novatrice du DATAR, des obstacles à son développement, de ses difficultés de financement et de la preuve ultime de sa valeur.
Belyea a pris sa retraite de la MRC en 1974. Il a passé ses dernières années de service au quartier général de la Défense nationale en tant que responsable de la conception des simulateurs d’entraînement pour les trois branches des forces armées. « En tant qu’officier de marine, Jim devait passer du temps en mer », se souvient son fils, Eric Belyea. Je sais qu’il aimait la mer, mais son cœur était dans le travail d’ingénierie qui, aujourd’hui, serait probablement classé comme un croisement entre l’informatique et la technologie des jeux vidéo... Son travail peut être considéré comme précurseur des nombreux jeux de combat et de stratégie populaires auprès des joueurs sur ordinateur. »
Le lieutenant-commandant James Belyea est décédé à Victoria en novembre 2013.
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