Relevez votre manche!
Note de la rédaction : Cet article a été initialement publié dans le numéro Hiver 2025. Au moment de mettre sous presse, à la mi-octobre, le Canada avait toujours son statut de pays ayant éliminé la rougeole. Depuis, le pays a perdu cette désignation, mais cette mise à jour n’apparaît pas dans l’article.
En avril 2025, Morgan Birch, de Fort Saskatchewan, en Alberta, est réveillée au milieu de la nuit par les cris de sa fille de quatre mois.
La petite Kimie fait de la fièvre depuis environ cinq jours, un symptôme qui, selon les professionnels de la santé, est probablement un effet secondaire des vaccins de routine reçus juste avant de tomber malade. Mais cette nuit-là, une éruption cutanée apparaît sur le torse du bébé, visiblement très mal en point.
« J’avais peur, se souvient Mme Birch. Au début, les médecins pensaient qu’il s’agissait d’une éruption cutanée due à la fièvre, puis l’éruption s’est propagée à son visage. Ses yeux étaient presque fermés à cause du gonflement et elle ne mangeait pas. »
Cependant, Kimie fait partie des plus de 5 000 Canadiens infectés par la rougeole en 2025 au début du mois d’octobre; tragiquement, cette statistique comprend deux prématurés, un en Alberta et un en Ontario, décédés après avoir contracté la rougeole in utero; ce dernier souffrait d’autres complications médicales graves. Mais nous avons également franchi une autre étape terrifiante : depuis le 1er janvier 2025, notre pays affiche le taux d’incidence de la rougeole par million d’habitants le plus élevé en Amérique du Nord. À la fin du mois de juillet, le taux d’incidence de la rougeole au Canada atteignait environ 100 cas par million d’habitants, contre une moyenne de 2,2 cas par million d’habitants entre 2015 et 2019. Et ce ne sont que les cas signalés. « Nous ne les recensons pas tous, loin de là », explique la Dre Marina Salvadori, spécialiste en maladies infectieuses pédiatriques et conseillère médicale principale à l’Agence de la santé publique du Canada.
De telles statistiques auraient été impensables il n’y a pas si longtemps, car la maladie a été déclarée éradiquée au Canada en 1998. Une maladie contagieuse est considérée éradiquée si elle est presque entièrement évitable, généralement par la vaccination, et « ne circule pas dans votre région pendant plus de 12 mois », explique Mme Salvadori. Dans le cas de la rougeole, qui est l’une des maladies humaines les plus contagieuses jamais connues, environ 95 % de la population doit être entièrement vaccinée pour empêcher sa propagation à l’ensemble de la communauté si une personne est occasionnellement infectée par la maladie.
Avant le début de la vaccination systématique contre la rougeole en 1970, la maladie était si courante que pratiquement tout le monde la contractait pendant l’enfance. Avant la vaccination, le Canada comptait en moyenne 54 584 cas par année; en 1972, le nombre de cas était tombé à seulement 14. D’autres maladies infantiles ont connu une réduction similaire après l’adoption de la vaccination systématique : les cas de coqueluche ont diminué de 87 %, les cas d’oreillons de 98 %, de diphtérie et de rubéole de plus de 99 % et de poliomyélite de 100 %.
« Nous avons fait un excellent travail avec les vaccins, qui sont probablement, après l’eau potable, la meilleure intervention de santé publique et celle qui a eu le plus d’impact », note la Dre Shelly Bolotin, directrice du centre pour les maladies évitables par la vaccination de l’école de santé publique Dalla Lana de l’Université de Toronto.
Bien que le Canada mérite des félicitations pour ses contributions avant-gardistes au développement des vaccins et pour ses efforts de vaccination souvent méconnus, une mauvaise compréhension de l’histoire des vaccins et de la protection qu’ils offrent menace ce succès.
« Les jeunes parents sont submergés d’information et ne disposent pas d’un contexte réel leur permettant de comprendre ce que chacune de ces maladies signifie pour eux et leurs enfants. »
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Trop efficace?
Seule une petite partie de la population, qui ne cesse de diminuer, se souvient des épidémies de maladies infantiles. « Nous comptons maintenant au moins trois générations de personnes qui ont reçu le vaccin contre la rougeole », explique Heather MacDougall, titulaire d’un doctorat et professeure agrégée émérite d’histoire à l’Université de Waterloo, en Ontario, et experte en histoire de la vaccination contre la rougeole au Canada.
« Certaines personnes pensent que cela n’arrivera pas ici ou que cela n’arrivera pas à leur enfant », explique le Dr Manish Sadarangani, directeur du centre d’évaluation des vaccins à l’Institut de recherche de l’hôpital pour enfants de la Colombie-Britannique à Vancouver. Cette façon de penser est loin d’être nouvelle. En avril 1946, par exemple, une chronique intitulée « Homemaker » publiée dans le Globe and Mail exhorte ses lecteurs à ne pas être complaisants face à la menace de la diphtérie, longtemps après l’introduction de la vaccination systématique en 1930. « Ne laissez pas aux autres mères le soin d’assurer la sécurité de votre enfant », avertissait l’auteur anonyme.
Christopher Rutty, titulaire d’un doctorat, historien de la santé publique et professeur adjoint à l’école de santé publique Dalla Lana de l’Université de Toronto, convient que les vaccins sont victimes de leur propre succès. « Les jeunes parents sont submergés d’information et ne disposent pas d’un contexte réel sur ce que chacune de ces maladies signifie pour eux et leurs enfants, c’est pourquoi l’histoire est si importante », explique-t-il. Même pour ceux d’entre nous qui sont assez âgés pour se souvenir d’un enfant du quartier mort de la rougeole pendant notre enfance, il est presque impossible d’imaginer à quoi ressemblait la vie avant l’existence de la plupart des vaccins.
Grave, mais à quel point?
Le premier vaccin au Canada arrive en 1800 — il s’agissait d’un vaccin contre la variole. L’une des maladies les plus mortelles connues de l’humanité, la variole est apparue pour la première fois en Nouvelle-France en 1616. Des épidémies périodiques causent la mort et la dévastation pendant plusieurs décennies, touchant de manière disproportionnée les communautés autochtones, qui n’avaient aucune immunité naturelle contre cette maladie introduite en Amérique du Nord par les colons. Dans certaines de ces communautés des Premières Nations, plus de 75 % de la population sera décimée par la variole.
Cette maladie virale commence par des symptômes semblables à ceux de la grippe. Elle provoque ensuite des éruptions cutanées et des cloques à l’intérieur de la bouche et sur la peau, qui se remplissent de pus et éclatent. La variole était généralement mortelle dans au moins 30 % des cas. Elle pouvait également entraîner des complications graves, telles que la cécité.
Mais bien avant la Confédération, en 1765, le Québec alors sous domination britannique adopte la variolisation, précurseure de la vaccination, pour protéger les populations. L’adoption de la variolisation, puis de la vaccination contre la variole, reste cependant limitée et inégale à l’échelle nationale, bien que certaines administrations aient rendu cette dernière obligatoire, comme la province du Canada et l’Île-du-Prince-Édouard dans les années 1860, et le Québec en 1875. Mais le taux d’adhésion n’était pas uniforme.
Les mouvements contre la vaccination ne sont pas un phénomène récent. Par exemple, alors que la variolisation était assez bien acceptée dans ce qui constitue aujourd’hui le Canada, certaines colonies de l’Amérique prérévolutionnaire adoptèrent des lois contre cette pratique. Les motivations de cette résistance vous seront sans doute familières : liberté de religion et méfiance envers les autorités.
Il y avait également une opposition locale à la vaccination obligatoire. En 1885, plusieurs facteurs se conjuguent, créant les conditions idéales pour que la maladie surnommée « le monstre tacheté » se propage à Montréal. Comme de nombreux employeurs anglophones faisaient pression pour imposer la vaccination, une partie de la main-d’œuvre majoritairement francophone y voyait une arme contre les Canadiens français. Un lot de vaccins contaminés, qui entraînera la suspension du premier programme de vaccination de la ville, érode encore davantage la confiance. Avec seulement un habitant sur six protégé par la vaccination, la maladie se propage rapidement après l’arrivée de deux personnes infectées en provenance de Chicago. La maladie fera rage à Montréal et dans le reste du Québec, infectant 19 905 personnes (dont 3 154 à Montréal) et tuant près de 6 000 personnes.
En 1900, les principales causes de décès aux États-Unis (et, vraisemblablement, au Canada) étaient la pneumonie, la tuberculose, la diarrhée et les infections intestinales, ainsi que la diphtérie, qui, ensemble, représentaient un tiers de tous les décès. Parmi les personnes décédées de ces causes, 40 % étaient des enfants de moins de cinq ans.
À l’époque, la coqueluche, également appelée « toux des 100 jours », tuait 5 enfants canadiens sur 1 000 avant leur cinquième anniversaire, la plupart avant l’âge d’un an. Les cas graves pouvaient également entraîner des lésions pulmonaires permanentes, des hernies, des lésions cérébrales et la cécité. Survivre à la maladie était une épreuve pour tous les membres du foyer : des familles entières devaient être mises en quarantaine pendant des semaines, ce qui pouvait entraîner des pertes de salaire et d’emploi. Un article du Toronto Star de décembre 1934 cite les propos d’un parent d’un enfant de 18 mois atteint de coqueluche : « Toutes les quelques minutes, surtout vers minuit ou deux heures du matin, il est secoué et déchiré par d’effroyables quintes de toux douloureuses, réveillant et terrifiant toute la maisonnée. » Même en 1943, environ 15 000 enfants par année souffraient encore de la coqueluche au Canada.
Jusqu’au milieu des années 1920, la diphtérie, alors communément appelée « l’étrangleuse », était la principale cause de décès chez les enfants canadiens. Cette infection bactérienne tire son surnom de la membrane épaisse et grise qui se forme sur la gorge et les voies nasales, finissant par bloquer les voies respiratoires. Les familles touchées pouvaient perdre plusieurs enfants, comme le raconte un article publié le jour de Noël 1901 dans le Globe and Mail, au sujet d’une famille de London, en Ontario : « En l’espace d’un mois, M. et Mme George Constable [...] ont perdu quatre enfants à cause de la diphtérie. »
Des années 1910 jusqu’au milieu des années 1950, des épidémies de poliomyélite (également connue à l’époque sous le nom de paralysie infantile) éclatent régulièrement, avec quelques éclosions périodiques. Une vague de grandes épidémies de poliomyélite frappera le Manitoba, puis la Saskatchewan et l’Ontario entre 1936 et 1937. Cette dernière année, près de 4 000 Canadiens contracteront la maladie.
Infectant initialement le tractus gastro-intestinal, le poliovirus peut parfois pénétrer dans le sang et attaquer les motoneurones de la moelle épinière, ce qui empêche les impulsions nerveuses d’atteindre certains muscles. Résultat : 0,5 % des personnes infectées développent une faiblesse et, dans certains cas, une paralysie si grave que la personne atteinte ne peut plus respirer. En 1934, la poliomyélite était responsable de près de la moitié des cas d’invalidité au Canada. En 1930, l’hôpital pour enfants malades de Toronto fait l’acquisition du premier poumon d’acier du pays, une machine capable de gonfler mécaniquement les poumons des personnes atteintes; en 1937, l’hôpital assemble 26 autres appareils de ce type en l’espace de six semaines.
« Aucun enfant ne jouait dans les rues de la ville », se souvient un article du Toronto Star de septembre 1987 décrivant la vie dans la ville à cette époque. Les enfants en bonne santé étaient confinés dans leur jardin et ne retournaient pas à l’école avant l’Action de grâce. Les enfants malades restaient alités pendant six mois à un an. » Henry Ford, un survivant de la polio alors âgé de 60 ans, déclarait dans cet article que l’expérience d’être malade et incapable de voir ses parents pendant son séjour à l’hôpital était « terrifiante ».
La pire vague d’éclosions de poliomyélite a eu lieu entre 1949 et 1954, paralysant 11 000 Canadiens. La maladie a atteint son pic ici en 1953, infectant 9 000 personnes et en tuant 500. Le taux de cas graves était exceptionnellement élevé chez les jeunes adultes, certaines femmes enceintes ayant même accouché alors qu’elles étaient confinées dans un poumon d’acier.
Des innovations qui se multiplient
À la suite de la terrible épidémie de variole qui frappe le Québec en 1885, l’Ontario Vaccine Farm de Palmerston, en Ontario, fondée par un médecin local, le Dr Alexander Stewart, commence à produire un vaccin contre la variole. Tout d’abord, Stewart introduit un parent de la bactérie de la variole chez des veaux. Des instruments appelés « points » étaient recouverts d’un liquide provenant des cloques qui se formaient sur la peau des animaux. La vaccination consistait à gratter la peau d’une personne avec un point traité. L’Ontario Vaccine Farm vendait de grandes quantités de son produit aux conseils de services de santé locaux. Stewart se joindra ensuite au département de santé publique de l’Université de Toronto, où, en 1913, il commencera à produire le premier vaccin fabriqué au Canada pour traiter la rage.
Pendant la Première Guerre mondiale, le laboratoire à but non lucratif Antitoxin Laboratory se charge de la production canadienne de vaccins contre la variole en raison de la demande accrue de l’armée. Le laboratoire est fondé par le médecin torontois John G. FitzGerald, qui est le premier à produire au Canada l’anatoxine diphtérique, un traitement contre la diphtérie avant l’ère des vaccins. L’Antitoxin Laboratory sera le précurseur de Connaught Laboratories (plus tard, Connaught Medical Research Laboratories) et le premier établissement du pays à produire en masse une version plus sûre du vaccin, avec une durée de conservation plus longue.
Les pires épidémies de poliomyélite ont eu lieu entre 1949 et 1954, paralysant 11 000 Canadiens.
En 1918, le département de la santé de la ville de New York fournit un vaccin expérimental contre la grippe à Connaught afin d’endiguer la propagation de cette maladie mortelle qui balaie la planète. Connaught travaille sans relâche pour produire un approvisionnement gratuit destiné à des organisations partout au Canada, dans plusieurs États américains et en Grande-Bretagne. L’année suivante, Connaught commence à fabriquer au pays des doses d’une première version du vaccin contre la coqueluche. Dans les années 1920, Connaught et le Canada s’illustreront sur la scène internationale dans la lutte contre la diphtérie lorsque le Dr Peter Moloney, l’expert en toxine diphtérique du laboratoire, commence à préparer une nouvelle anatoxine basée sur les découvertes d’un chercheur de l’Institut Pasteur à Paris.
En 1929, des projets de recherche à grande échelle impliquant environ 36 000 enfants démontrent que trois doses d’anatoxine réduisent l’incidence de la diphtérie d’au moins 90 %. Il s’agissait de « la première démonstration statistique de l’efficacité d’un vaccin inactivé dans la prévention d’une maladie spécifique », écrivent Christopher Rutty et Sue C. Sullivan dans This Is Public Health: A Canadian History.
Selon l’exposition en ligne du Musée des soins de santé (Museum of Health Care) intitulée Vaccines & Immunization: Epidemics, Prevention & Canadian Innovation (vaccins et immunisation : épidémies, prévention et innovation canadienne), « l’anatoxine diphtérique a été le premier vaccin moderne, le premier vaccin pédiatrique, et a jeté les bases des programmes de vaccination publique au Canada et ailleurs dans le monde ». Au cours des années 1940, Connaught jouera un rôle déterminant dans la mise au point de vaccins combinés qui protègent contre la diphtérie, la coqueluche et le tétanos en une seule injection.
Le Canada apporte également une contribution essentielle au développement et à l’essai du vaccin contre la polio. « Il n’existerait pas sans nous, affirme M. Rutty. Une base nutritive synthétique, appelée Medium 199, créée par les scientifiques de Connaught sous la direction des Drs Raymond Parker et Joseph Morgan, permet de cultiver efficacement le type de cellules nécessaires à la production d’un vaccin. « Grâce au Medium 199, [Jonas] Salk a pu tester son vaccin sur ses enfants, sur lui-même, puis sur des personnes qui avaient déjà contracté la polio, explique Rutty. Ce fut une avancée majeure. »
Le problème était maintenant de savoir comment produire une quantité énorme de vaccin. La réponse? Une innovation baptisée « la méthode de Toronto », mise au point une décennie plus tôt par le Dr Leone Farrell, scientifique chez Connaught, pour le vaccin contre la coqueluche. « Le Dr Farrell a adapté cette technologie pour cultiver le poliovirus à grande échelle », explique Rutty. La technique est si efficace que Connaught parvient à fournir suffisamment de liquide contenant le virus de la poliomyélite pour fabriquer tous les vaccins utilisés dans le cadre d’un essai historique mené en 1954 sur 1,8 million de personnes. En avril 1955, les résultats de cette étude sont finalement publiés : le vaccin est efficace de 60 à 90 % pour protéger contre l’infection par la poliomyélite, selon la souche du virus.
Depuis ce moment décisif, les scientifiques canadiens continuent de contribuer à des inventions saluées parmi les plus grandes réalisations de l’humanité. Parmi ces innovations, notons la mise au point de plusieurs vaccins combinés qui protègent contre la polio et de nombreuses autres infections, le développement d’un vaccin contre Ebola et la création des nanoparticules lipidiques utilisées dans certains vaccins contre la COVID-19.
Pourquoi refuser le vaccin?
Comment un pays qui a fait des progrès aussi incroyables dans le domaine de la science des vaccins et de la santé publique peut-il se retrouver en proie à une épidémie de rougeole près de 30 ans après son élimination? D’une part, certains problèmes liés au système de santé contribuent à retarder ou à rendre plus difficile l’accès aux vaccins. Les restrictions relatives à la COVID-19 ont entraîné un retard dans les rendez-vous médicaux manqués ou reportés, retard que nous n’avons toujours pas rattrapé. Notre système de vaccination des enfants a été créé à une époque où les enfants n’étaient vaccinés que contre six maladies, alors que le calendrier actuel est beaucoup plus complexe. Parallèlement, l’arme la plus puissante contre la réticence à la vaccination est un fournisseur de soins de santé de confiance, mais un Canadien sur cinq n’a pas de médecin de famille ou d’infirmière praticienne attitré.
Il faut également tenir compte du fait que certaines communautés ont des raisons légitimes de se méfier du milieu médical et du gouvernement, ce qui peut entraîner une réticence à la vaccination. Par exemple, le Canada a soumis certains peuples autochtones à des expériences et à des procédures à leur insu et sans leur consentement. Les essais cliniques d’un vaccin contre la tuberculose, alors controversé, menés sur des nourrissons des Premières Nations en Saskatchewan dans les années 1930 et 1940 en sont un exemple.
Certaines communautés ont des raisons légitimes de se méfier du système médical.
Catherine Carstairs, professeure d’histoire à l’université de Guelph, souligne également des changements dans la réflexion des parents. « En effet, les besoins individuels de notre enfant en matière de santé doivent être notre principale préoccupation, explique-t-elle. Par exemple, si mon enfant a de la fièvre, quelles répercussions cela peut-il avoir? » Comme la vaccination a réussi à éloigner les maladies évitables et que la plupart des personnes hors du domaine médical ont beaucoup de mal à évaluer l’ampleur des avantages de la vaccination par rapport aux risques potentiels, « il est très facile pour les parents de ne se concentrer que sur les risques potentiels du vaccin », explique Mme Carstairs.
Cependant, l’une des influences négatives les plus puissantes sur la réticence à la vaccination est sans doute ce que certains experts décrivent comme une crise de la désinformation et de la mésinformation favorisée par Internet et les réseaux sociaux. Selon Mme Carstairs, le mouvement anti-vaccination moderne au Canada a vu le jour dans les années 1980, mais aujourd’hui, la résistance à la vaccination est beaucoup plus complexe. Les influenceurs dans le domaine du bien-être et autres personnes qui vendent des produits sans fondement scientifique, les baladodiffuseurs qui font la promotion des théories du complot et les politiciens qui utilisent l’opposition à la vaccination comme un étendard idéologique ne sont que quelques-unes des sources de la rhétorique anti-vaccination.
Dans une entrevue accordée à CBC Radio en juin 2025, le Dr Mark Joffe, ancien médecin hygiéniste en chef de l’Alberta, soulignait que la désinformation et la diffusion de fausses informations par ces sources était l’un des principaux facteurs à l’origine du déclin des taux de vaccination des enfants depuis une dizaine d’années. « La population est confuse. Elle ne sait pas où trouver de l’information. Elle ne sait pas à quoi se fier », a-t-il déclaré. Grâce au succès passé du Canada dans l’élimination de la rougeole, « [les gens] ne comprennent pas ce qu’est la rougeole... alors [ils] l’ont oubliée ».
Résultat? En 2024, seulement 68 % des enfants de deux ans de l’Alberta avaient reçu les deux doses nécessaires du vaccin contre la rougeole, les oreillons et la rubéole.
Les experts s’attendent à ce que l’épidémie actuelle de rougeole finisse par s’atténuer à mesure que l’immunisation s’étendra, soit par la vaccination, soit par l’infection. En attendant, « l’une de mes plus grandes craintes est que nous continuions à avoir un grand nombre d’enfants et d’adultes infectés... et que nous assistions à l’apparition des complications de la rougeole que nous connaissons bien », a fait remarquer M. Joffe.
Cependant, le plus inquiétant dans la résurgence de la rougeole est ce qu’elle pourrait présager pour l’avenir. « Ma mentore, la Dre Natasha Crowcroft, qualifie la rougeole de canari dans la mine », explique la Dre Shelly Bolotin de l’Université de Toronto. Quand les systèmes s’effondrent, c’est la première maladie que l’on observe, en raison de son caractère hautement contagieux. Mais si l’on recense autant de cas de rougeole, on est en droit de se demander à quelles autres maladies les gens ne sont pas immunisés? »
Une maladie potentiellement dévastatrice
Même avec les meilleurs soins médicaux modernes, la rougeole peut avoir de graves conséquences, les enfants de moins de cinq ans étant touchés de manière disproportionnée. L’une des conséquences de la maladie est ce qu’on appelle « l’amnésie immunitaire », où le virus provoque une forte baisse de la capacité du système immunitaire à combattre les infections. Cela signifie que « dans les deux à trois mois qui suivent, vous pouvez contracter des infections bactériennes », explique la Dre Marina Salvadori, conseillère médicale principale à l’Agence de la santé publique du Canada.
Parmi les autres risques :
un cas sur 10 d’infection de l’oreille, avec un risque de perte auditive;
un cas sur 20 de pneumonie (la cause la plus fréquente de décès lié à la rougeole);
un cas sur 1 000 d’œdème cérébral (pouvant entraîner une invalidité permanente);
une complication rare et toujours mortelle appelée panencéphalite subaiguë sclérosante (PSS), qui peut survenir sept à dix ans après la guérison d’un enfant atteint de la rougeole. La PSS touche entre quatre et onze enfants infectés sur 100 000, le plus souvent parmi ceux qui ont contracté la rougeole avant l’âge d’un an, et provoque des symptômes similaires à ceux de la démence avant que l’enfant ne décède tragiquement.
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