Un cadeau venu du passé

Un jeune garçon, dans les années 1930, ne sait pas quoi offrir à sa famille pour Noël.

Texte par Jean Mills; Illustration par Rachel Curtis

Mis en ligne le 7 décembre 2014
Grandma holds up a green sweater for Davy.

— David ! Dépêche-toi ! C’est ce matin qu’on répète le concert de Noël ! cria Emma. Et mets-toi quelque chose de chaud, ajouta-t-elle sur le ton autoritaire qu’elle prenait toujours avec son petit frère.

David Haworth soupira. Il repassait dans sa tête le match de hockey diffusé à la radio le samedi précédent, à mille lieues de penser à l’école ou aux vêtements chauds.

À dix ans, David n’avait plus aucun vêtement à sa taille, mais sa mère avait annoncé qu’ils ne pouvaient rien acheter de neuf d’ici à la fin de l’hiver, et peut-être même pas après.

Les dernières années, marquées par la sécheresse et les tempêtes de poussière, avaient été dures pour les fermiers de la Saskatchewan. Certains voisins avaient même abandonné leurs fermes pour aller s’installer en ville. Mais les Haworth pouvaient compter sur les conserves de légumes du jardin pour subsister pendant l’hiver, et aussi sur les quelques animaux décharnés que le père de David possédait toujours.

— David, dit sa mère, ta grand-mère aurait peut-être quelque chose de chaud pour toi. Va voir.

Quand David entra dans la chambre de sa grand-mère, à côté de la cuisine, la vieille dame était déjà en train de fouiller dans son coffre.

— J’ai exactement ce qu’il te faut ! s’écria-t-elle en se tournant vers lui, un chandail vert à la main.

David hésitait. Le chandail sem-blait beaucoup trop grand pour lui.

— Prends-le, David, ordonna sa grand-mère. Je ne laisserai jamais un membre de ma famille sortir dans le rude hiver des Prairies sans des vêtements chauds et un ventre plein. Et personne ne pourrait t’offrir un chandail plus chaud… même pas le premier ministre Bennett, avec son programme de secours !

David se passa le chandail par-dessus la tête. Comme prévu, ses mains disparurent dans les manches.

— Viens ici, dit sa grand-mère.  Elle lui attrapa une manche et entreprit de la rouler.

— Je l’ai tricoté pour ton oncle Frank, tu sais.

David jeta un coup d’oeil vers la photographie encadrée d’un jeune soldat, sur la table de chevet. L’oncle Frank était allé se battre en France pendant la Grande Guerre, mais il n’était jamais revenu.

— C’est bien que tu aies des souvenirs de lui, dit David en baissant les yeux sur le chandail.

— Oui, mais sa voix me manque encore, surtout quand il chantait. Il n’y a pas un chandail au monde qui puisse remplacer ça, dit sa grand-mère. Bon, maintenant, vite, à l’école !

* * *

— Qu’est-ce que tu donnes à grand-maman pour Noël ? demanda David à Emma tout en marchant vers la petite école du rang.

— C’est un secret, répondit Emma.

— À maman et papa, alors ? — C’est un secret aussi. — Et à moi, qu’est-ce que tu me donnes ?

— Bien essayé ! fit Emma en riant.  David savait bien quel genre de cadeaux de Noël il allait recevoir cette année. Des vêtements tricotés, des gâteries faites à la maison, des objets bricolés. Pas question de commander des articles du catalogue de chez Eaton. C’était bien trop cher !  

— Allez, Emma, dis-le-moi, plaida-t-il. J’ai besoin d’idées.  

— Bon, d’accord, soupira Emma. Mais ne le dis à personne ! Je fais de beaux dessins pour tout le monde, comme ceux qu’on trouve sur la couverture des magazines.

« Quelle bonne idée ! se dit David. Je pourrais peut-être faire ça, moi aussi. » Mais il se rappela aussitôt qu’il n’était pas très doué pour le dessin.  

Pour quoi était-il doué, d’ailleurs ? Pour patiner et jouer au hockey. Pour traire les vaches. Son père disait qu’il était bon avec les animaux parce qu’il avait une voix douce.  

Sa voix !... Une idée se mit à germer dans sa tête…  

— Bonjour, les jeunes ! Vous voulez monter ?  

David et Emma se retournèrent et aperçurent leur voisin, M. Thomas, qui arrivait dans son « jumper ». C’était une sorte de petite cabane montée sur des patins et tirée par un cheval.  

— Bien sûr, merci ! s’écrièrent les enfants.  

Ils montèrent dans le drôle de véhicule et s’installèrent aux côtés de leurs amis Sarah et Mike, confortablement installés près d’un petit poêle au charbon.

— On va être bien réchauffés pour la répétition, dit Mike. Mais ça ne m’aidera pas beaucoup à mieux chanter !

Ils se mirent tous à rire, et Emma dit :

— Ce n’est pas grave, Mike. Tout le monde adore ce concert, même si on ne chante pas bien. C’est une tradition !

— M. Templeton dit qu’il ne pourra pas revenir l’an prochain s’il ne monte pas un bon spectacle cette année, dit Sarah. Il dit que les gens comptent sur lui.

— Alors, il faut donner un bon spectacle, déclara Emma, parce que je trouve que c’est un très bon professeur.

David était bien d’accord. Pendant le reste du trajet vers l’école, il se répéta en silence ce qu’il allait dire à M. Templeton pour que celui-ci l’aide à préparer son cadeau de Noël.

* * *

Le soir du concert, il faisait plus froid que jamais.

— Ça devrait suffire, dit le père de David pendant que tous se munissaient de couvertures pour se garder au chaud dans la voiture. Celle-ci était maintenant tirée par les deux boeufs que possédait encore la famille. Comme beaucoup de fermiers trop pauvres pour se payer de l’essence, M. Haworth avait enlevé le moteur de sa voiture et avait transformé celle-ci en « Bennett Buggy » – d’après le nom du premier ministre.

— Ça va, David ? lui demanda sa grand-mère une fois qu’ils furent installés sur la banquette arrière. Tu es tout pâle.

— Ça va, marmonna David.

En réalité, il ne se sentait pas très bien. Il avait à peine mangé au souper. Il espérait trouver M. Templeton avant que le concert commence, pour lui dire qu’il avait changé d’idée.

Mais il n’en eut pas le temps. Le concert était sur le point de commencer. Il y eut des chants traditionnels en français et en anglais, une saynète sur un match de curling qui durait toute la nuit de Noël et un numéro de danse folklorique exécuté par des élèves ukrainiens. Puis, enfin, M. Templeton fit signe à David.

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Davy stands at the front of the classroom.

— Chers parents, chers amis, chers élèves, dit-il tandis que David venait le rejoindre à l’avant de la classe. Nous sommes sûrement tous d’accord pour dire que l’année 1933 a été très difficile. Mais les soirées comme celle-ci nous aident à apprécier ce que nous avons et à oublier ce que nous n’avons pas. Merci d’être venus, et bonne saison des fêtes. Je laisse maintenant le dernier mot à David Haworth.

David jeta un coup d’oeil vers Emma, Mike et Sarah, qui le regardaient d’un air étonné

Il se tourna ensuite vers le reste de l’auditoire. Tous les habitants du village de Wilkie étaient là, en famille, suspendus à ses lèvres. Il s’éclaircit la gorge.  

— Je ne savais pas quoi offrir à ma famille cette année. Je n’ai pas d’argent, et je ne sais pas tricoter, ni faire la cuisine.  

Tout le monde se mit à rire, mais David vit que les spectateurs se regardaient en hochant la tête. Une fois le silence revenu, il continua.  

— Alors, voici mon cadeau pour vous tous, et en particulier pour ma grand-maman.  

Il se mit à chanter, et à sa grande surprise, tous les spectateurs se joignirent bientôt à lui.  

— Oh, nuit de paix, Sainte nuit…  

* * *  

— Eh bien, je ne savais pas que tu pouvais chanter comme ça ! s’exclama Emma pendant que toute la famille s’entassait dans la voiture pour rentrer à la maison.  

— On aurait cru entendre Frank, n’est-ce pas, maman ? demanda le père de David.  

— Eh bien, David, ajouta sa mère en riant, on dirait que tu n’as pas hérité seulement du chandail de ton oncle.  

David se tourna vers sa grand-mère. Elle murmura quelque chose qu’il fut le seul à entendre.  

— David Frank Haworth, merci pour le plus beau cadeau de Noël de ma vie !


La Grande Crise

Pour la plupart des Canadiens, les années 1930 ont été marquées par de graves difficultés économiques. C’était l’époque de la Grande Crise, qui a duré de 1929 à 1939. Dans tout le pays, une foule de gens ont été touchés par la pauvreté et le chômage.

Les fermiers de la Saskatchewan ont été particulièrement éprouvés. Des sécheresses prolongées et de terribles tempêtes de poussière ont anéanti une bonne partie de leurs récoltes de blé. Et le peu de blé qu’ils réussissaient à faire pousser se vendait difficilement.

Beaucoup de familles ont abandonné leurs fermes. Celles qui sont restées ont appris à se débrouiller tant bien que mal. Pendant la saison des fêtes, ces gens ont du trouver des façons simples de célébrer.

Cet article a été publié à l’origine dans le November-December 2008 issue du Kayak : Navigue dans l’histoire du Canada.

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