Les nombreuses guerres de Doug Sam

Un fils parle de son père, le Canadien d’origine chinoise le plus décoré du pays.

Par Trevor Sam

Mis en ligne le 13 décembre 2015

Au début du mois de juillet 1944, ma grand-mère a appris du gouvernement canadien que son fils Kam Len Douglas Sam, mon père, avait été abattu au-dessus du nord de la France lors d’une mission de bombardement, et qu’il était présumé mort.

Doug Sam était un Canadien d’origine chinoise de troisième génération, né à Victoria en 1918, et sous-lieutenant d’aviation pour l’Aviation royale canadienne. Les services religieux firent son éloge et les journaux de Victoria lui rendirent hommage en le décrivant comme un enfant du quartier chinois ayant fait le sacrifice ultime. Mon arrière-grand-mère, bien que fervente anglicane, se rendit au temple chinois de Victoria et y alluma de l’encens : les bâtons d’encens lui indiquaient cependant que son petit-fils n’était pas mort.

Et les bâtons avaient raison. Sam avait sauté en parachute et atterri à seulement 180 mètres d’une base de la Luftwaffe, d’où il a pu contacter le maquis français.

Sa famille n’a appris que plusieurs mois plus tard qu’il était encore vivant. Les résistants français et le MI9, la section du renseignement militaire britannique chargée d’aider les résistants dans l’Europe sous contrôle nazi, entretinrent la légende selon laquelle mon père était mort dans son bombardier Halifax.

Il avait été refusé dans l’ARC en 1941 parce qu’il n’était pas de type caucasien, mais sera admis un an plus tard, lorsque le gouvernement supprimera la clause raciale dans ses règles d’admission; son ascendance chinoise se révélera d’ailleurs un atout. Il devait rester en France pour coordonner l’évasion d’autres aviateurs alliés. Des résistants lui fournirent des vêtements et de faux papiers l’identifiant comme un étudiant asiatique piégé en France par l’occupation allemande.

Pendant l’été et le début de l’automne 1944, il participe à la résistance dans le nord de la France, bluffant pour échapper à deux rafles de la Gestapo avec le peu de français qu’il a appris au collège à Victoria. Il est témoin des embuscades tendues aux convois de ravitaillement allemands, de l’élimination des agents de la Gestapo et des collaborateurs français, ainsi que des rafles systématiques de Juifs et de Tziganes français et de leur envoi vers les camps de la mort.

En septembre 1944, le commandant d’un char américain entrant dans Reims à la tête de la Troisième Armée américaine est surpris de recevoir des cartes de la ville et du déploiement des forces allemandes des mains d’un Canadien chinois dirigeant, de surcroît, les forces de la résistance. 

Mon père a participé à 28 raids terrifiants sur la Forteresse Europe en 1943 et 1944, dont une mission au-dessus de Nuremberg au cours de laquelle 94 bombardiers alliés seront abattus, et une mission au-dessus de Berlin où 73 bombardiers seront perdus. Une barricade dans une rue de Reims sera cependant son dernier combat de la Seconde Guerre mondiale. Il dira plus tard que c’est la première fois qu’il a eu véritablement peur, car c’était la première fois qu’il se battait au sol. À l’aide d’armes larguées par avion, et avec les membres des forces clandestines, les combattants affrontent les troupes allemandes dans une lutte acharnée et réussissent à repousser trois attaques brutales jusqu’à ce que les troupes américaines entrent dans la ville et forcent l’ennemi à capituler.

Quelques jours plus tard, mon père se retrouve à Londres. Il envoie un télégramme à ma grand-mère pour lui dire qu’il est vivant et en bonne santé. Cette dernière éclate en sanglots, mais n’est pas surprise : les bâtons d’encens n’avaient pas menti. 

La guerre aérienne et la guerre terrestre de la Seconde Guerre mondiale ne seront pas les dernières de mon père. Alors que la guerre de Corée occupe l’esprit de la plupart des Canadiens au début des années 1950, il est détaché auprès de l’Aviation royale canadienne pour servir en tant que spécialiste de la contre-insurrection dans les États Malais. Les Britanniques y mènent une guerre de jungle contre les communistes chinois, malaisiens et indiens.

Mon père interroge plus de 300 prisonniers, faisant bon usage de sa connaissance du cantonais et du mandarin. Il sert sous les ordres de Sir Maurice Oldfield, le défunt maître-espion britannique qui aurait servi de modèle à George Smiley, personnage fictif du romancier John le Carre.

En 1967, après 25 ans de service continu, comprenant des séjours à Londres et à Washington, mon père prend sa retraite de l’ARC avec le grade de chef d’escadron, devenant ainsi le Canadien d’origine chinoise le plus décoré de tous les temps. Il a notamment reçu la Croix de guerre,étoile d’argent, décernée par le gouvernement français.

Sa retraite de l’armée active ne met pas fin à son service public. Entré au ministère de l’Emploi et de l’Immigration en 1967 en tant qu’analyste du renseignement, il gravit les échelons jusqu’à devenir le chef du renseignement en matière d’immigration pour la région de la Colombie-Britannique et du Yukon, à une époque où les gangs de jeunes asiatiques sont de plus en plus présents. Un jour, mon père et quelques inspecteurs locaux se trouvaient dans un restaurant de Vancouver et observaient les agissements bruyants de quelques membres de gangs chinois. Il s’est approché et a discuté tranquillement avec eux. Les membres du gang ont regardé les inspecteurs, bouche bée, puis se sont levés et sont partis précipitamment. 

Lorsque mon père a rejoint son groupe, tous avaient la même question aux lèvres : « Mais, comment as-tu réussi à faire ça? » Sam répondit en riant : « Je leur ai simplement dit qui j’étais et que s’ils ne se calmaient pas, j’allais organiser une réunion d’immigration sur-le-champ, et qu’ils seraient tous expulsés le lendemain à la première heure ».

Kam Len Douglas Sam, l’aîné des neuf enfants nés de M. et Mme Sam Wing Wo, qui ont immigré à Victoria en provenance de Yin Ping, dans les environs de Canton, en Chine, prend sa retraite en 1983. Il décède en 1989, à l’âge de 71 ans.

Lorsqu’il était adolescent à l’école secondaire de Victoria, quelqu’un a inscrit dans son album de fin d’études : « Doug aspire à devenir le Lindbergh chinois ». Je pense que dès qu’il a eu l’âge de voir le ciel bleu, il a voulu le saisir, il a voulu voler. Et c’est ce qu’il a fait.

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Trevor Sam est membre associé de l’Association du 426e Escadron et de l’Association de la Force aérienne du Canada, 801e Escadre (Vancouver). Il est également historien militaire et collectionneur.

Cet article est paru dans le numéro October-November 2005 du The Beaver.

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