Les stratégies militaires françaises et britanniques en Nouvelle-France 1755-1760

Luc Lépine analyse les stratégies et les tactiques utilisées par les Britanniques et les Français durant la guerre de Conquête.

Écrit par Luc Lépine

Mis en ligne le 28 janvier 2020

Le 15 septembre 2009 à Québec a eu lieu un colloque intitulé « La guerre de Sept Ans en Amérique 1755-1760 ». À cette occasion, divers spécialistes québécois, canadiens, français, anglais et américains ont analysé l’événement selon l’historiographie la plus récente dans leur milieu respectif.

Parmi les intervenants, mentionnons que l’auteur a été conseiller pédagogique de 2007 à 2009. Historien militaire de formation, il a fait une intervention sur les forces en présence et apporté des éléments inédits sur les stratégies militaires utilisées durant cette guerre. Il nous a transmis un condensé de sa conférence. Nous l’en remercions.


Le 13 septembre 1759 marque un changement majeur pour la petite colonie française nichée le long du fleuve Saint-Laurent. Après plus de quatre années de guerre meurtrières, les troupes britanniques du général James Wolfe affrontent les troupes françaises du marquis de Montcalm sur les plaines d’Abraham. Cette bataille n’est qu’un des nombreux événements qui ont ponctué la guerre de Sept Ans en Amérique du Nord.

Nous analyserons brièvement les stratégies et les tactiques utilisées par les Britanniques et les Français durant la guerre de Conquête. Partant de la situation politique et militaire en Europe et en Amérique du Nord, nous verrons la stratégie globale envisagée par les deux puissances pour leurs colonies.

Stratégie et tactique

La stratégie est l'art de coordonner l'action de l'ensemble des forces d’un pays pour conduire une guerre ou préserver la paix. La tactique est un enjeu local limité dans le temps (gagner une bataille).

La stratégie possède un objectif global à plus long terme (gagner la guerre). En effet, il appartient à la politique le choix de la paix ou de la guerre et l'attribution des ressources mises en œuvre par des stratégies militaires sur le champ de bataille. Les stratégies militaires se jouent sur trois niveaux :

a) stratégique, ou, aujourd'hui, politico-militaire, au plus haut niveau de l'État, dans un dialogue entre responsables politiques, diplomatiques et militaires;
b) opérationnel, entre le haut commandement militaire et le commandant d'un théâtre d'opérations;
c) tactique, ou local : celui du commandant d'unité engagée dans une action particulière.

La guerre de Sept Ans en Europe

La guerre de Sept Ans trouve son origine en Silésie. Située au nord de l’Autriche, elle constitue une zone sérieuse de tension. Plusieurs pays la convoitent. La Prusse accapare cette région, durant la guerre de Succession d’Autriche (1742-1748) aux dépens de l’Autriche. L’archiduchesse d’Autriche, Marie-Thérèse de Habsbourg, n’accepte pas la perte de cette province. Pour sa part, la France est une alliée de l'Autriche et se doit d’appuyer les revendications autrichiennes.

Les causes de la guerre en Amérique du Nord

En Amérique du Nord, le conflit entre la France et la Grande-Bretagne repose sur quatre points majeurs :

a) L’Ohio convoité par les Français, les Britanniques et les Iroquois.
b) La concurrence dans le commerce des fourrures.
c) La crainte des Britanniques de voir les catholiques de Nouvelle-France influencer les colonies américaines.
d) Les droits de pêche au large de Terre-Neuve, réclamés par les deux pays.

La France est d’abord une puissance européenne continentale, plus que maritime. Avec ses 60 000 habitants, la Nouvelle-France ne représente qu’une très faible partie des 25 millions de Français de l’époque. L’Amérique ne représente qu’une partie du front qu’elle veut et doit défendre. Mais, hors Europe, c’est le plus convoité1. La stratégie française globale se concentre donc principalement en Europe.

La perte éventuelle de la Nouvelle-France durant la guerre pourra être annulée lors de négociation de paix suivant une éventuelle victoire française en Europe. C’est dans cet esprit que la France n’envoie que onze de ses 398 bataillons réguliers d’armée de terre.

Pour sa part, la Grande-Bretagne possède la marine la plus puissante d’Europe. Elle préfère affronter la France et ses Alliés par la mer plutôt que sur le sol européen. Pour elle, la conquête de la Nouvelle-France devient primordiale. Elle commet donc 22 000 de ses 90 000 soldats.

LES FORCES RÉGULIÈRES PRÉSENTES EN AMÉRIQUE DU NORD : LA SITUATION EN 1755

Les Compagnies franches de la Marine

Les Compagnies franches de la Marine adoptent rapidement les techniques de la petite guerre. Selon certains, la meilleure troupe pour la guerre se compose d'officiers canadiens connaissant bien le pays, de quelques soldats d'élite, de plusieurs miliciens canadiens habitués au climat, de quelques canotiers et de quelques Amérindiens alliés.

À la veille de la guerre de Conquête, on retrouve 2400 soldats des Compagnies franches de la Marine en Nouvelle-France et 1100 à Louisbourg. De 1755 à 1760, 2812 hommes seront intégrés dans les Compagnies franches de la Marine en Nouvelle-France et en Acadie2

La guerre en Amérique du Nord : Pierre Rigaud de Vaudreuil et le Baron Dieskau

L’année 1755 constitue une date importante pour le sort de l’Amérique française. Le 1er janvier, Pierre de Rigaud de Vaudreuil de Cavagnial, marquis de Vaudreuil, un Canadien âgé de 56 ans, est nommé gouverneur général de la Nouvelle-France. Après avoir gravi les échelons militaires comme officier dans les troupes de la Marine, il était devenu gouverneur de Trois-Rivières (1733-1742) puis gouverneur de la Louisiane (1742-1753).

Il s’agit du gouverneur idéal pour cette période qui exige des talents et de l’expérience militaire. Au moment de sa nomination, Rigaud séjournait en France depuis deux ans3.

Afin d’assurer la défense de Louisbourg et du Canada contre l’attaque prévisible des Britanniques, le gouvernement français détache, en avril 1755, six bataillons d’infanterie. Le maréchal de camp Jean-Armand de Dieskau, gouverneur de Brest, reçoit le commandement des bataillons de l’armée au Canada. Sa commission, datant du 1er mars 1755, est rédigée méticuleusement de telle façon que tous les bataillons concernés comprennent clairement qu’ils sont sous le commandement suprême du gouverneur général et l’acceptent.

Rigaud planifie la stratégie militaire tandis que Dieskau choisit la tactique pour la mener à bien. Il y a possibilité de conflit entre les deux hommes puisqu’à Dieskau, on demande d’exécuter sans discuter les ordres du gouverneur général alors qu’on attend de celui-ci qu’il consulte Dieskau au moment d’établir sa stratégie.

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LA CAMPAGNE MILITAIRE DE 1755

La bataille de la Monongahela

Le général Edward Braddock, arrivé le 16 février 1755, devient le commandant en chef de l'armée britannique en Amérique. Il compte se saisir facilement de fort Duquesne, prendre d'autres forts et atteindre fort Niagara. George Washington lui sert d’aide de camp volontaire. « Braddock ne doute de rien, surtout pas de lui-même.

Il n’écoute personne, ni Franklin qui le prévient des méthodes de combats utilisées en Amérique, ni les Indiens... qui lui offrent leur aide. »4

L'expédition, qui a quitté le Maryland le 29 mai 1755, se trouve confrontée à un problème de logistique : il faut déplacer une troupe importante avec son équipement, ses provisions et de très lourds canons, à travers une région fortement boisée, sur presque 200 km. Pour accélérer le mouvement, Braddock divise ses forces. Sa colonne de transport se trouve bientôt loin derrière lui.

Au fort Duquesne, la garnison comprend 250 hommes des troupes régulières et de la milice canadienne et 640 Indiens hors du fort. Le commandant, Jean-Daniel Dumas, décide d’éliminer les canons de Braddock en tendant une embuscade à ses troupes. Les alliés indiens le suivent.

Les Britanniques ont traversé la Monongahela sans rencontrer d'opposition. À quinze kilomètres du fort Duquesne, l’avant-garde sous le commandement de Thomas Gage tombe sur les Français et les Indiens qui n’ont pas le temps de tendre leur embuscade.

La colonne de Braddock fait face à moins de 900 Français et Indiens. Il s'ensuit un chaos au sein des troupes britanniques alors que les miliciens canadiens et les Indiens tirent adroitement sur les Britanniques. Les troupes régulières françaises commencent à repousser les Britanniques. Après trois heures de combat intense, Braddock est abattu. La résistance s'effondre.

Au cours de l’été de 1755, le baron Dieskau prend connaissance des plans britanniques concernant l’attaque sur fort Frontenac, fort Niagara et fort Saint-Frédéric, sur le lac Champlain5

Il descend le Richelieu pour affronter la milice coloniale du colonel William Johnson. L’armée française campe à l’emplacement du futur fort Carillon. William Johnson décide d’ériger un fort à l’extrémité nord du lac George.

Dieskau divise ses troupes et marche sur le fort Edward avec 1 500 hommes : 200 réguliers, 600 miliciens et environ 700 Indiens. Il laissa au fort Carillon 1 300 réguliers et 400 miliciens pour défendre le fort en cas d’une attaque. Le 7 septembre, Dieskau aperçoit le fort Edward.

Devant les canons britanniques, les Indiens refusent d’attaquer. Pour garder les troupes amérindiennes, Dieskau décide alors de déplacer ses opérations vers l’extrémité supérieure du lac George, où l’ennemi possède moins de canons. Les Indiens acceptent cette initiative.

Le lendemain, Dieskau tente une embuscade pour capturer les Britanniques. Ceux-ci évitent le piège et partent en déroute. Deux cents soldats français de Dieskau, affaiblis, ne peuvent pas les poursuivre, mais atteignent le fort George. Johnson avait fortifié sa position et installé des canons.

Dieskau passe à l’attaque. Après plusieurs heures, la bataille se termine en impasse. Blessé trois fois à la jambe, Dieskau est adossé à un arbre par son second, Pierre-André de Montreuil. Même au moment de la retraite de ses troupes, il refuse de bouger, en déclarant qu’il était aussi bon de mourir là que dans un lit. C’est ainsi que se termine le court épisode de Dieskau comme commandant des troupes françaises en Amérique du Nord.

L’année 1755 fut donc extrêmement difficile pour les deux commandants militaires. La guerre en Amérique du Nord s’avère différente de la guerre européenne.

Le marquis de Montcalm et l’arrivée de troupes supplémentaires

Vaudreuil aurait préféré ne pas avoir de commandant militaire pour les troupes de terre françaises. Les dirigeants à Versailles en décident autrement et assignent le marquis de Montcalm pour diriger les troupes au Canada.

Montcalm est un officier expérimenté. Tout comme dans le cas de Dieskau, la commission de Montcalm et les instructions qui l’accompagnent spécifient que le gouverneur général possède le commandement de toutes les forces armées de la colonie.

De plus, on l’engage fermement à s’entendre avec Vaudreuil. Ces instructions veulent éliminer toute source de conflit entre les deux militaires constitués en autorité6. Cela n’empêchera pas les altercations entre les deux hommes.

En 1757, pour remplacer Braddock, les autorités britanniques nomment John Campbell quatrième comte de Loudoun (1705-1782)7. À son arrivée, il concentre ses forces militaires à Halifax pour une attaque massive sur Louisbourg8.

La flotte britannique n’arrive que le 9 juillet, permettant à trois escadres françaises de s'assembler en rade de Louisbourg. En l'attendant, les 6300 hommes de Loudoun plantent des légumes à Halifax. Le 4 août 1757, les chances de conquérir Louisbourg dans la saison deviennent impossibles9.

Une grande partie de la tactique militaire repose sur les cadres militaires, et encore plus sur les simples soldats. Grâce à la base de données du Projet Montcalm, il a été possible, pour l’année 1757, de comparer l’expérience des soldats français et des soldats britanniques : 60 % des soldats britanniques possèdent deux ans ou plus d’expérience contre seulement 9,2 % des soldats français. Chez les militaires de dix ans et plus d’expérience, on compte 30 % des soldats français et seulement 19 % des soldats britanniques10.

Carillon

Carillon constitue le lieu de rencontre entre les forces françaises se déplaçant vers le sud par la rivière Richelieu et la vallée du lac Champlain et des forces britanniques remontant vers le nord.

Le 8 juillet 1758, 3600 soldats français affrontent 16 000 Britanniques (6000 réguliers et 10 000 provinciaux) sous les ordres de James Abercromby. Celui-ci avait remplacé Howe, mort durant la marche sur Carillon11. Howe n’avait toutefois pas transmis le plan d’attaque à Abercromby.

À partir de midi, ce dernier lance ses troupes sur la partie la mieux protégée du fort, sans faire usage de son artillerie. Croyant apercevoir un drapeau parlementaire, 300 soldats britanniques s'étaient approchés du retranchement. Ils sont alors foudroyés à bout portant.

Avec 500 morts, 1000 blessés et 20 disparus, les Britanniques se retirent vers le lac du Saint-Sacrement, abandonnant armes, munitions et blessés. Le 42e régiment Royal Highlanders perd la moitié de ses hommes. On attribue cette victoire à la bonne planification de Montcalm qui a su profiter de la désorganisation des troupes britanniques.

Louisbourg

En 1755, le gouverneur Augustin de Boschenry Drucour possède sous ses ordres 3500 soldats, dont les régiments d’Artois et de Bourgogne. Plus tard s’ajoutent les régiments de Cambis et des volontaires étrangers. En 1758, i1 dispose aussi d'un important appui naval : huit vaisseaux de 64 canons au moins et six de moins de 45 canons.

En 1758, les forces britanniques comptent 27 000 hommes. Plus de 13 000 obéissent aux ordres de Jeffery Amherst. Il est appuyé de trois généraux : Lawrence, Whitmore et le jeune James Wolfe. Le support naval consiste en 23 vaisseaux de 50 canons au moins et en 11 petits bâtiments de guerre. L'amiral Edward Boscawen dirige les troupes de la Royal Navy.

Au début de juin, la flotte britannique s’installe devant Louisbourg. Le mauvais temps force les navires à rester six jours au large sous l'étroite surveillance des Français. Le 8 juin 1758, les Britanniques peuvent s’approcher.

Du 9 au 18 juin, comme ils le feraient en Europe, les Britanniques installent leurs camps et assiègent la ville en creusant des tranchées. Les Britanniques s'emparent de la pointe du Phare, où ils construisent une batterie qui leur permet de bombarder celle de l'Isle. Après une semaine de tirs continus, les Français sabordent quatre bâtiments de guerre à l'entrée du port pour tenter d'empêcher les navires ennemis d'y pénétrer12.

À partir de la mi-juillet, les Britanniques intensifient leur attaque. Le 21 juillet, un obus atteint l'un des vaisseaux français, déclenchant un incendie qui détruit rapidement trois autres navires.

Le 25 juillet, les deux derniers navires français sont capturés et les batteries offensives font de grands trous dans les murs. Le lendemain, Louisbourg se rend.

Le colonel Ralph Burton raconte : « J’ai eu le plaisir de voir 2000 hommes déposer leurs armes au sol, retirer leurs accoutrements et faire un quart de tour à droite. »13 En ultime résistance, les soldats français frappent systématiquement leurs armes sur le sol afin de les rendre inutilisables.

La victoire à Louisbourg repose sur une force militaire supérieure combinant marine et armée de terre. Le siège suit les pratiques employées en Europe à l’époque.

Différence de vue entre Montcalm et Vaudreuil

Montcalm n’aime pas la stratégie et les tactiques du gouverneur. Vaudreuil propose d’imposer la guerre aux Britanniques à l’intérieur du continent là où la milice, les Amérindiens et les troupes de la Marine possèdent un avantage certain. Il favorise les attaques sous forme de raids sur les établissements frontaliers anglais afin de couper les communications, détruire les dépôts de munitions et désorganiser l’ennemi.

Montcalm préconise plutôt la stratégie défensive comme seul recours possible contre les troupes régulières britanniques. Il déteste la petite guerre et soutient que la tactique européenne est la seule façon de faire la guerre. Pour lui, les troupes régulières canadiennes ont trop bonne opinion d’elles-mêmes et la milice est un ramassis d’indisciplinés de valeur militaire à peu près nulle14.

Le siège de Québec et la bataille des plaines d’Abraham

En 1758, James Wolfe retourne en Angleterre. Puis, le 12 janvier 1759, on le nomme général responsable de l’attaque contre Québec15.

La flotte quitte Louisbourg le 3 juin 1759 sous le commandement naval de Saunders avec 8948 soldats et 13 500 marins et hommes d'équipage. La Nouvelle-France compte alors 15 000 soldats réguliers, troupes de la marine et miliciens et environ un millier d'Amérindiens.

Le 27 juin, la flotte s’installe devant l’île d’Orléans. Wolfe poste des soldats à Saint-Laurent et au nord de la rivière Montmorency. Quatre régiments britanniques commandés par Robert Monckton campent à la Pointe Lévy pour protéger la flotte et bombarder la ville de Québec.

Le 28 juin 1759, à minuit, Montcalm lance une attaque. Des bateaux et des radeaux chargés de poudre à canon sont enchaînés les uns aux autres et envoyés avec le courant en direction de la flotte britannique.

À bord de chaque bateau, un homme attend le signal pour mettre feu à sa cargaison avant de plonger dans le fleuve. Or, une des charges explose trop tôt, et les hommes, croyant au signal attendu, mettent le feu à leurs canots, supprimant l'effet de surprise16. Il n’y a aucun dommage aux navires britanniques.

Du 29 juin jusqu'au 13 septembre, Wolfe entreprend le siège de Québec. La ville est bombardée quotidiennement par une batterie de cinq canons de 13 livres et de six de 32 livres. Le 24 juillet, plus de 15 000 bombes et boulets de canon sont lancés sur Québec17.

Le 10 septembre, Wolfe annonce à ses brigadiers généraux, sa décision de débarquer à l'Anse-au-Foulon et précise : « Les troupes qui sont à terre, à l'exception de l'infanterie légère et les Américains, doivent être sur le rivage demain matin à cinq heures, prêtes pour l'embarquement; l'infanterie légère et les Américains rembarqueront vers huit heures; le détachement d'artillerie montera à bord d'un sloop armé dès aujourd'hui. »

Le 13 septembre, à une heure du matin, le débarquement s’amorce. Les bateaux chargés de troupes vis-à-vis de Cap-Rouge descendent avec le courant. Vers quatre heures, les frégates ancrées en face de Québec commencent un bombardement ininterrompu.

James Murray et une quarantaine d'hommes débarquent sur la rive de l'Anse-au-Foulon et font signe aux autres barques. On trouve là un sentier suffisamment large pour permettre à deux hommes de le descendre18. Les gardes du rivage sont bernés : ils croient avoir affaire aux bâtiments ravitailleurs français venant de Trois-Rivières. En ville, les soldats français n’ont pas dormi depuis plus de 36 heures à cause du pilonnage de l’armée britannique.

Plusieurs soldats britanniques escaladent la falaise et capturent les canons de la milice. La majorité emprunte la rampe escarpée de l'Anse-au-Foulon. Sur les plaines, Murray et ses hommes s’installent rapidement.

À cinq heures trente, l'alerte est donnée à Québec. Les plaines sont couvertes de soldats britanniques. À six heures, les miliciens canadiens et les autres régiments français sortent de Québec et forment une ligne de bataille.

À Beauport, Montcalm apprend le débarquement des soldats britanniques et ordonne aux régiments français et aux milices du gouvernement de Québec de se rendre au combat. Ils arrivent vers huit heures sur les plaines d'Abraham. Pendant que Wolfe et Montcalm préparent leur armée, des escarmouches impromptues se produisent.

Vers dix heures, les Britanniques s'alignent en ordre de bataille sur deux rangs à la longueur du promontoire. Montcalm hésite à attaquer; la dénivellation des plaines d'Abraham cache une partie de l'armée britannique et l'empêche d'évaluer la force de l'ennemi.

Il espère que Louis-Antoine de Bougainville, son aide de camp, est en route pour lui prêter main-forte, avec tous les grenadiers de l'armée, 200 volontaires, plusieurs piquets de troupes de terre et de troupes de la colonie, des miliciens, un corps de cavalerie; une force de 2000 hommes composant « la fleur de l'armée ». Malheureusement, Bougainville attend les ordres du gouverneur.

Vers dix heures, l'affrontement devient inévitable. Wolfe place 4400 hommes en ligne de combat derrière une hauteur. Sur une ligne, on retrouve les régiments britanniques : Monckton à droite, Townshend à gauche et Murray au centre. Montcalm se place devant ses 4500 combattants. Sur une ligne nord-sud, nous avons les régiments de La Sarre, du Languedoc, du Béarn, de la Guyenne et du Royal Roussillon.

Le régiment de Berry et le régiment de la Reine sont au fort Carillon. Montcalm engage le combat. Les pelotons de Canadiens, incorporés dans les régiments de terre, placés à l'avant, tirent quelques coups, puis se replient.

Ce mouvement crée un désordre. Les Britanniques ne sont plus qu'à environ vingt mètres, soit une demi-portée de fusil. Les Français ouvrent le feu à trois reprises sans subir de riposte. Un genou à terre, la première ligne britannique attend l'ordre de tirer. Chaque soldat met deux balles dans son arme, le feu de cette première ligne fauche la ligne française à la hauteur des épaules.

Chez les Français, c'est la débandade qui commence. La deuxième ligne de soldats britanniques n'a même pas eu à tirer. Les Français se replient vers la ville. Plus de 800 soldats et miliciens se placent en embuscade dans les bois et ralentissent l’avance des Britanniques.

Le siège de douze semaines se termine par une bataille de moins d'une demi-heure. Dans les deux camps, les morts et les blessés sont nombreux. Pendant la bataille, le général Wolfe est atteint une première fois à la main, puis une deuxième fois au poumon droit. Il meurt peu après. Pour sa part, Montcalm est blessé gravement. Il est ramené dans la ville et décède pendant la nuit.

Les Britanniques se tournent alors vers Bougainville, dépassé en nombre et forcé de faire une retraite ordonnée vers Charlesbourg. James Murray remplace Wolfe et assiège Québec en s’appuyant sur la flotte de Saunders. La garnison de Québec se rend le 18 septembre 1759.

Le siège de Québec s’inscrit dans les méthodes de guerre européennes. Ce qui distingue la bataille des Plaines d’Abraham est d’une part l’audace de Wolfe d’escalader la falaise et de surprendre les Français au petit matin. D’autre part, la mort des deux commandants, Wolfe et Montcalm, produit un symbole important de notre histoire.

Conclusion

Les deux puissances ont utilisé des stratégies militaires fort différentes. La France a favorisé une défense de la Nouvelle-France en s’appuyant sur un minimum de troupes et en comptant sur une victoire française en sol européen. Au contraire, la Grande-Bretagne a préconisé une attaque organisée et systématique du territoire en utilisant de nombreuses troupes et un support maritime imposant. Il devenait inévitable d’assister à la conquête de la Nouvelle-France.

Cette guerre nord-américaine ne suit pas les stratégies et les tactiques militaires européennes conventionnelles. « Pour Vaudreuil, le défenseur de la patrie, la guerre n’est pas soumise aux normes de conduite propres à l’armée royale. »19 

Pour sa part, le comte de Loudoun soutenait que le pire ennemi dans cette guerre, c’était les distances immenses qu’il fallait traverser avant d’affronter les soldats français.

Compte tenu des forces en présence, la guerre de Sept Ans en Amérique du Nord peut être qualifiée de guerre asymétrique. Quoique l’armement et les méthodes guerrières fussent assez semblables de part et d’autre, le nombre de soldats impliqués ainsi que l’immense population des colonies anglo-américaines assuraient une victoire certaine de la Grande-Bretagne.

Luc Lépine est historien militaire et a publié des livres et des articles sur la guerre de Conquête et la guerre de 1812.

Cet article est apparu à l'origine dans la revue Enjeux de l’univers social, volume 7, numéro 4, hiver 2011, pages 22 à 26. La revue est publiée par l’Association québécoise pour l’enseignement en univers social (AQEUS).

L’association québécoise pour l’enseignement en univers social est une association qui regroupe au sein du même regroupement autant ceux qui enseignent en univers social (primaire), qu’en histoire, en géographie, en monde contemporain et en éducation financière (secondaire). Elle regroupe autant des enseignants que des conseillers pédagogiques, des enseignants du collégial, des didacticiens universitaires, des retraités et des étudiants universitaires. Elle répond ainsi au vœu d’un grand nombre d’enseignants de retrouver sous la même enseigne les disciplines et les programmes de l’univers social.


1 Raymonde Litalien, « La guerre de Sept Ans, un conflit international », Cap-aux-Diamants, no 99, p. 13.

2 Rénald Lessard, « Les Compagnies franches de la Marine au Canada et à l’île Royale (1750-1760) », Combattre pour la France en Amérique. Les soldats de la guerre de Sept Ans en Nouvelle-France 1755-1760, Société généalogique canadienne-française, Montréal, 2009, p. 110.

3 Dictionnaire biographique du Canada, (DBC) vol. III, Les Presses de l’Université Laval, Québec, 1980.

4 Denis Vaugeois, « French and Indian War », Cap-aux-Diamants, no 99, p. 27.

5 « Biographie de Dieskau », DBC, vol III, Les Presses de l’Université Laval, Québec, 1980.

6 DBC, vol III, Les Presses de l’Université, Laval, Québec, 1980.

7 Nous avons consulté les archives de Loudoun à la bibliothèque Huntington à San Marino, Californie.

8 R. Ernest Dupuy et Trevor N. Dupuy, The Harper Encyclopedia of Military History, 4e édition, Harper Collins Publishers, 1997, p. 772.

9 « Biographie de Loudoun », DBC, vol IV.

10 Luc Lépine, « Bref historique de la guerre de Sept Ans, 1756-1763 », Combattre pour la France en Amérique., op.cit. p. 25.

11 DBC, vol IV.

12 A.J.B. Johnston, Louisbourg, Une ville du XVIIIe siècle, texte manuscrit.

13 Huntington Library, Loudoun Papers, LO 5654, Lettre de Raph Burton à John Colcraft, 18 août 1758 (traduction libre).

14 DBC, vol III.

15 Hélène Quimper, Qui a pris Québec?, Commission des champs de bataille nationaux.

16 Radio-Canada, Une Histoire populaire du Canada, site internet, consulté le 12 décembre 2008.

17 Jacques Lacoursière, « Le champ des batailles », Jacques Mathieu et Eugen Kedl, Les plaines d’Abraham. Le culte de l’idéal, Édition Septentrion, 1993, p. 84.

18 C. P. Stacey, Quebec, 1759. The Siege and the Battle, The MacMillan Company, Toronto, 1959, p. 125.

19 Michael Boire, « Le marquis de Montcalm et la Bataille de Québec, septembre 1759 : une réévalution », Revue militaire canadienne, été 2006, p. 83.

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