Transcription Denise LeBlanc

Mon projet c'est difficile à décrire. C'est un projet de 10 mois qui s’est étalé sur toute une année. Puis au départ n'avait pas été anticipé. C'est un projet qui est venu de l'intérêt des élèves par rapport à la Deuxième Guerre mondiale.

Alors je m'explique. À chaque année, en début d'année — je l'ai apporté parce que sans ce livre le projet n'aurait pas vu le jour. Alors le livre s'appelle L'agneau qui ne voulait pas être un mouton. C'est Jean Didier et ZAD qui ont écrit cet album-là. Puis cet album a été inspiré, les auteurs se sont inspirés, d'un poème qui avait été écrit par un Allemand, un pasteur allemand, au cours de la Deuxième Guerre mondiale.

Ce pasteur-là avait servi l'Allemagne lors de la Première Guerre mondiale, mais après, devant les injustices qu'il voyait avec le régime nazi et tout ça, il s’est dissocié carrément. Il a créé un mouvement des pasteurs. Et lui, il s'est porté à la défense des Juifs. Il a écrit un poème qui est connu beaucoup dans la communauté juive.

J'aimerais vous en faire la lecture et vous pourrez comprendre par après pourquoi cet album-là a pu susciter l'intérêt chez mes élèves. Alors son poème se lit comme suit. Quand ils sont venus chercher les Juifs, je n'ai rien dit, car je n'étais pas juif. Quand ils sont venus chercher les communistes, je n'ai rien dit, car je n'étais pas communiste. 

Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n'ai rien dit, car je n'étais pas syndicaliste. Quand ils sont venus chercher les catholiques, je n'ai rien dit, car je n'étais pas catholique. Et quand ils sont venus me chercher, il n'existait plus personne qui aurait voulu ou pu protester. Et moi mon intention, c'était un appel à la solidarité. Lorsque je présente cet album-là aux élèves à chaque début d'année… Je suis aussi une enseignante au départ à la base au secondaire, je m'en servais aussi au secondaire.

J'enseignais le français. Parce que je trouve important de créer un climat de classe qui est propice à l'apprentissage, où il y a du respect, de l'entraide, de l'empathie entre les élèves. Puis je trouve que cet album-là m'aide beaucoup à susciter la discussion en classe pour mener à bien ce désir de solidarité là au sein de mon groupe. Et la quatrième de couverture, je la lis aussi parce que j’en ai besoin pour m'exprimer.

Depuis toujours, les moutons sont se font dévorer par le loup. Tout le monde est d'accord là-dessus. Alors quand le loup a emporté le mouton malade, on n'a rien dit parce qu'on n’était pas malade. Quand le loup s'est attaqué au mouton noir, on n’a rien dit parce qu'on n’était pas noir. Mais quand le loup a englouti le bélier, on s'est dit que notre tour allait bientôt arriver. Alors lorsque je raconte cette histoire-là, les élèves comprennent que seul on va plus vite, mais ensemble on va plus loin.

Alors on travaille en groupe. C'est bien, parce que dans cette histoire, c'est le petit mouton le plus jeune du troupeau qui réussit à dire : il en faut qu'on s'occupe de nous parce qu'on va tous se faire manger un par un. Il fait un appel à la solidarité. Les élèves ont trouvé ingénieux que les auteurs s’étaient inspirés d'un poème qui avait été écrit au cours de la Deuxième Guerre mondiale.

Et là, je suis allé sur la ligne du temps. Ils ont voulu comprendre qu'est-ce qui s'était passé. Ils criaient à l'injustice. Ça n'a pas de bon sens ! Et là, comme de façon je dirais inouïe, le musée de Holocauste Montréal présentait un atelier pour accompagner les enseignants dans l'enseignement de l’Holocauste au troisième cycle du primaire.

Alors immédiatement je me suis greffée au musée. J'ai travaillé avec eux autres. Dans le sens où ils m’ont beaucoup aidé à apporter ce sujet sensible là dans ma classe et à travailler d'une façon, je vous dirais, en ayant un respect de l'histoire. On est parti d'un objet historique qui s'appelle le Cœur d’Auschwitz qui a été créé dans un camp de concentration.

C'est une dame, Zlatka Pitluk, qui a décidé de faire ce cœur-là, clandestinement, pour une autre résidente qui elle c'était son anniversaire. Donc c'est un cœur qui se déploie (la forme un peu de l'origami). Elle a fait écrire dix-neuf résidentes. Dix-neuf résidentes ont écrit dans le cœur, en quatre langues différentes. Les élèves ont voulu comprendre.

Puis partir d’un artéfact pour dire que dans un moment trouble on réussit à avoir encore un geste de bienveillance, des gestes d’empathie alors que l’humain dans un camp de concentration, ce n’est pas ce qui prédomine a intéressé beaucoup mes élèves. C’est de faire le lien aussi avec aujourd’hui, malheureusement avec des gestes d’oppression qui sont encore présents.

Aussi cette page d’histoire là nous fait comprendre tout ce qui a été mis en place par rapport à la démocratie. Comprendre que les droits de la personne ça n’a pas toujours existé. Des fois, c’est la bêtise humaine qui fait qu’on n’a pas le choix de mettre des règles en place. On a travaillé la différence, l’accueil de l’autre. Les liens se font quotidiennement avec tout ce qui se passe dans l'actualité.

Alors c'est facile pour moi de faire des liens et d'intéresser mes élèves parce que moi-même ça m'intéresse. Il n’y a pas de sujet trop difficile pour les jeunes. Ça dépend toujours comment on l'amène en classe. Comment par respect on le déploie ?

Nous avons été en contact avec une — c'est le musée de l’Holocauste Montréal qui nous a soutenus dans ça — avec une survivante de l'Holocauste. Au départ, le projet s'est déployé dans plusieurs classes au Québec. J'en faisais partie. Mais nous, on s'est attaché à madame Myers qui est une survivante de l'Holocauste.

On s'est attaché à elle cette dame-là — elle avait environ 90 ans — qui avec une générosité nous contait sa vie. Elle a écrit ses mémoires, dans un recueil de mémoire. Puis comme je faisais partie du projet, avec la Fondation Azrieli qui elle cette fondation-là écrit et publie les mémoires de survivants de l’Holocauste — ils se sont donné un devoir de mémoire — donc madame Myers est publiée dans avec cette maison d'édition. J'avais droit à 24 exemplaires gratuits.

C'est devenu pour moi un matériel didactique. On a lu chapitre par chapitre. J'ai accompagné les élèves. Les premiers chapitres, c'est moi qui les lisais pour mettre historiquement, les positionner où est-ce que ça se passe, avec la carte géographique. C'est important. Puis après ça, individuellement, chaque élève lisait un chapitre et en cercle de lecture, en groupe de quatre, ils discutaient, puis ils échangeaient. On faisait un retour en classe après.

C'est toujours comme ça. Quand on avait une visio avec madame Myers, je savais qu'ils étaient virés un peu. C’était les émotions à fleur de peau. On faisait un retour effectif, parfois à l'écrit, parce que je sentais que l'émotion était trop présente. Donc il y a eu beaucoup de retours réflexifs écrits, et d'autres qu'on partageait à l’oral après.

Ça a été toujours un aller-retour d’accompagner les élèves dans leurs sentiments. Mais quand on travaille, on présente l’Holocauste, mais avec un regard empathique — parce qu'il y a eu beaucoup de gestes d'empathie au cours de la Deuxième Guerre mondiale, puis les gens comme Anne Frank on les a cachés.

Puis madame Myers, c'est un village entier, en France, qui a caché sa famille. Les gens savaient qu'ils étaient juifs. Ils les ont protégés. Donc il y a eu de beaux gestes. Alors moi, mon rôle c'est de dire, mais malgré la noirceur qu'on voit tout le temps, encore aujourd'hui, on ne se le cachera pas, on peut nommer des noirceurs.

Mais l'humain est toujours présent quand même. Puis c'est ce message d'espoir de croire à un monde meilleur, que je trouve important.

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