Les chiens de la ruée vers l’or

Les chiens de traîneaux valant leur pesant d’or, la NWMP lance un plan ambitieux, mais peu réfléchi, pour ramener les Labradors au Yukon.

Par Ann Chandler

Mis en ligne le 14 mai 2019

L’image est cocasse : une paire de molosses bondissant le long d’un quai couvert de glace à Skagway, en Alaska, qu’un policier en uniforme essaie de contrôler, de peine et de misère. Nous sommes en novembre 1898.

Excités par l’odeur de la terre ferme après avoir passé six semaines à bord du SS Cutch, les chiens sont impatients de se dégourdir les pattes.

« Nous glissions le long du quai comme si on faisait du ski nautique, se souviendra plus tard l’agent Constantine. Certains agents décident de s’asseoir par terre et râpent leur fond de culotte. D’autres encore, s’accrochant désespérément à la rampe, étaient tout emmêlés dans les chaînes retenant les chiens ».

Comme le raconte l’agent Constantin dans ses mémoires, tout cela aurait pu n’être qu’une blague si l’aventure ne s’était pas terminée aussi tragiquement.

Ces chiens n’étaient pas des chiens de traîneaux ordinaires : avec leur pelage chatoyant et leurs larges pattes, tout le monde voyait bien qu’il s’agissait de Labradors de la côte est du Canada, des chiens affectueux et amoureux de l’eau.

Que faisaient-ils donc sur ce territoire où le vigoureux chien de traîneau est roi?

Cette arrivée inattendue de Labradors noirs était en lien direct avec la ruée vers l’or au Yukon.

La population croissante de chercheurs d’or avait contribué à créer un véritable climat d’anarchie, entraînant par le fait même une augmentation massive du nombre d’agents de la police à cheval du Nord-Ouest en poste au Yukon.

En effet, on passera de 19 agents en 1895 à 285 quatre ans plus tard.

Avec le matériel à transporter, le courrier à livrer et des lois à faire appliquer, tout le monde avait besoin d’un attelage de chiens.

La demande en chiens de traîneaux excédait de loin l’offre : ces animaux valaient pratiquement leur poids en or. Un chien fiable et vigoureux pouvait coûter jusqu’à 300 $, une forte somme même à l’époque de la ruée vers l’or.

« Les chiens sont au-dessus de mes moyens. Je dois faire comme si j’en étais un! », écrit un mineur du Yukon, Lynn Smith, dans une lettre à sa famille. Voir un homme tirer un traîneau avec une corde autour du cou n’était pas inhabituel.

Les agents de la police à cheval du Yukon qui en plus de toutes leurs autres fonctions étaient depuis peu chargés de livrer le courrier entre Skagway et Dawson, au Yukon, une course de mille kilomètres, avaient désespérément besoin de chiens.

Après en avoir formulé la demande au quartier général, à Ottawa, le contrôleur de la NWMP, Frederick White, a eu une idée. Pourquoi ne pas acheter les solides chiens noirs du Labrador? Ils sont habitués au temps froid et peuvent tirer un traîneau.

White demandera l’aide d’un agent du ministère de la Marine et des Pêches de Québec, Ignace Hébert Jr., qui connaît bien la côte du Labrador. Hébert accepte, pour la somme de deux dollars par jours, plus le gîte et les dépenses, d’acquérir un grand nombre de chiens du Labrador et de les accompagner au cours de leur long voyage jusqu’au Yukon.

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Après plusieurs essais ratés pour affréter une goélette commerciale, leurs capitaines refusant un chargement de chiens, Hébert réserve un ancien navire de contrebande, le Maggie H. Le 1er septembre 1898, Hébert embarque à bord du Maggie H et met les voiles le long de la côte du Labrador, payant les chiens avec de l’argent comptant et des biens.

Il revient à Québec sept semaines plus tard avec 142 chiens. Bon nombre d’entre eux souffrent du mal de mer et ont la diarrhée. Huit seront projetés par-dessus bord lors d’une violente tempête.

Après un arrêt d’une semaine à Québec, les chiens et leur « maître » embarquent à bord de deux wagons du Canadien Pacifique et se rendent à Ottawa, où on les accueille avec enthousiasme. Plusieurs des chiens sont inspectés par Frederick White et d’autres ministres du cabinet se disent très satisfaits de ces nouvelles acquisitions canines.

Tout l’équipage reprend place dans le train et commence son long voyage vers la côte ouest. L’inspecteur et vétérinaire-chirurgien de la NWMP, John F. Burnett, avec un groupe d’agents, accueille les chiens à leur arrivée à Vancouver, le 13 novembre.

Ils sont sales, mais en assez bonne santé. Les chiens sont installés dans un entrepôt pendant quatre jours avant d’entreprendre la dernière partie du voyage vers le Yukon, en bateau à vapeur.

Le SS Cutch sort du port de Vancouver le 17 novembre en route pour Skagway, mais le voyage est ardu. Les chiens sont encore malades. Seize d’entre eux meurent en route, certains ayant mangé de la mort-aux-rats et d’autres, succombant à une congestion pulmonaire et hépatique.

L’agent Constantine, qui accompagne les chiens, se souvient de leur arrivée à Skagway dans ses mémoires de 1958, intitulées I Was a Mountie : « Nous voilà donc, avec nos bottes cirées, devant le quai d’un mille de longueur, couvert de glace. Nous devions prendre deux chiens chacun attachés avec une chaîne et les amener vers le parc construit en ville.

C’étaient de vrais molosses qui avaient été confinés sur un bateau pendant six semaines… et ils reniflaient leur première bouffée d’air sur la terre ferme. »

Glissant du quai, tout le monde se retrouve emmêlé dans plusieurs pieds de neige.

« On aurait dit qu’une avalanche avait emporté une meute de chiens enragés, ensevelissant la moitié des agents, écrit Constantine. Et pour ajouter l’insulte à l’injure, une jeune femme de l’Armée du Salut passant par là nous pria, au nom de Dieu, de ne pas jurer! Plusieurs des chiens se sauvèrent dans la mêlée et ne furent jamais retrouvés ».  

Mais ils ne seront pas au bout de leurs peines. En effet, de nombreux chiens contractent une pneumonie. « Depuis notre arrivée, nous avons perdu 40 chiens, la congestion pulmonaire et hépatique les emporte comme des moutons, le climat étant favorable à ces deux maladies, soit une combinaison de froid et de pluie », écrit d’inspecteur Burnett, le vétérinaire.

Espérant qu’un climat plus sec et les hauteurs soient bénéfiques pour la santé des chiens, Burnett envoie soixante des chiens restants dans le campement de Bennett, au Yukon, les soumettant à un voyage épuisant de soixante kilomètres en terrain montagneux.

Burnett rapporte à ses supérieurs, le 27 novembre 1898, que seulement 43 des 60 chiens arrivent à Bennett.

Ceux qu’on laisse à Skagway sous la surveillance attentive de Burnett et Hébert continuent de dépérir. Plus tard en décembre, le rapport officiel de Burnett énonce ce qui suit : « Les chiens continuent de mourir, on en a perdu plus de cent ». En janvier 1899, il ne reste plus que 21 des 142 chiens d’origine.

White s’était trompé sur la capacité des Labradors de s’acclimater au Nord. Les chiens vigoureux au tempérament égal, proches parents des chiens Terre-Neuve et descendants du chien d’eau de St. John’s, étaient plus habitués à tirer des filets de pêche de l’eau que des traîneaux sur la neige et la glace.

En fait, le long voyage, la promiscuité des bêtes et les températures glaciales avaient eu raison d’eux.

Même si l’aventure éprouvante vers le Nord s’est révélée difficile pour les Labradors, et que ces chiens n’étaient pas de la trempe des chiens de traîneau du Yukon, une poignée des plus forts survivent et forment de solides attelages. On retrouve peut-être encore aujourd’hui quelques-uns de leurs descendants batifolant dans la neige.

Les chiens de traîneau à travers l’histoire

Les Autochtones du Yukon avaient leurs propres chiens de travail, une race vigoureuse et brave pouvant endurer le froid et la faim, capable de filer sur de grandes distances de neige et de glace.

Élevé pour transporter des ballots l’été et tirer des traîneaux l’hiver, le petit chien « siwash », tel qu’il était appelé localement, était renommé pour son tempérament parfois agressif.

La race que l’on appelle aujourd’hui Malamute sera aussi fréquemment utilisée comme chien de traîneau dans le Nord. On dit que son nom vient d’un peuple inuit installé à l’embouchure du fleuve Yukon.

Pendant la ruée vers l’or, à la population de chiens du Yukon s’ajoutent des chiens provenant de l’extérieur, comme les Labradors noirs de la NWMP, ainsi que des chiens importés par les mineurs, dont le mastiff St-Bernard, une autre grande race transportée au Yukon depuis Seattle.

Mais certains des mineurs de la première heure trouvent ces chiens trop faibles et peu endurants, et plus coûteux à nourrir.

Ann Chandler est une autrice pigiste et éditrice de Vancouver.

Cet article est paru dans le numéro août/septembre 2009 du magazine The Beaver.

Et Cetera

I Was a Mountie par C.P. Constantine. Exposition Press, New York, 1958.

A Dog-Puncher on the Yukon, par Arthur Treadwell Walden. Houghton Mifflin, Boston, New York, 1928.

The Postal History of Yukon Territory Canada, par Robert G. Woodall. Quarterman Publications, Massachusetts, 1976.

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