Le premier parc historique du Canada

Il y a 100 ans, le gouvernement fédéral protégeait un fort en Nouvelle-Écosse et inaugurait du même coup le réseau des lieux historiques nationaux du Canada.

Écrit par Kate Jaimet

Mis en ligne le 30 mai 2017

Vers la fin du 19e siècle, le quartier des officiers du fort Anne, une des plus vieilles structures militaires du Canada, tombait en ruine.

La garnison, bâtie sur le site d’un ancien fort français près d’Annapolis Royal, en NouvelleÉcosse, avait été abandonnée par l’armée britannique en 1854. Depuis ce temps, l’entretien des bâtiments et du terrain a été confié à une série de locataires privés, dont les efforts étaient pour le moins inégaux.

En 1881, le locataire, voyant l’état de dégradation avancé du fortin et constatant que les billes feraient un excellent bois de chauffage, décida de détruire la structure de bois qui avait été construite pour défendre l’Amérique du Nord britannique pendant la guerre de l'Indépendance américaine (1775–1782).

L’incident choqua la communauté et incita les citoyens d’Annapolis Royal à former une commission locale chargée d’entretenir le site. En 1889, la ville demandait officiellement au gouvernement du Dominion de restaurer le fort et de transformer les lieux en parc public.

Il faudra attendre encore 28 ans avant qu’Ottawa n’acquiesce à cette demande. Mais le 24 janvier 1917, le gouvernement adopta un décret autorisant le fort Anne à être « restauré et entretenu en tant que parc historique du Dominion ». Il s’agira du premier lieu historique national du Canada, un titre qui s’applique aujourd’hui à plus de 981 installations partout au pays, incluant les 171 lieux administrés ou opérés par Parcs Canada.

« Les citoyens finirent par obtenir gain de cause, en plein milieu de la Première Guerre mondiale, explique Anne Marie Lane Jonah, historienne de Parcs Canada. Le stress de la guerre poussait les populations à vouloir sauvegarder des lieux jugés sacrés, où d’importants sacrifices avaient été consentis, des lieux rappelant les luttes du passé. Et le fort Anne était sans conteste un lieu qui avait vu son lot de combats ».

La vallée Annapolis, où se trouve le fort Anne, était habitée par les Micmacs depuis plus de 3 000 ans avant l’arrivée des premiers colons français en 1605, qui nommèrent leur colonie Port-Royal. À partir de 1702, les soldats français construisirent un fort en forme d’étoile entouré d’une douve, et dont le terrassement forme la base du site historique actuel.

Les Britanniques prirent le fort en 1710, mais les Français et les Micmacs lancèrent de nombreuses incursions lors des décennies suivantes. Le conflit prit fin avec la déportation des Acadiens, la ratification du Traité de paix et d'amitié entre les Britanniques et les Micmacs en 1760-1761 (signé à Halifax et basé sur un traité signé en 1726 à fort Anne) et, finalement, le Traité de Paris en 1763, dans lequel la France cède presque tous ses territoires d’Amérique du Nord à la Grande-Bretagne.

Le fort sert ensuite à défendre l’Amérique du Nord britannique contre un nouvel ennemi, les révolutionnaires américains. Il résiste à une attaque des corsaires américains en 1781 et sert ensuite d’avant-poste militaire pendant la guerre de 1812.

Cependant, vers le milieu du 19e siècle, le fort Anne n’est plus un bâtiment militaire stratégique, comme de nombreux autres forts ailleurs au pays. Après le retrait de l’armée britannique, l’entretien des lieux incombe aux communautés locales, qui manquent de ressources.

La Confédération canadienne de 1867 relance une réflexion sur la nécessité de protéger les lieux culturels et historiques d’importance pour ce nouveau pays. Les premiers lieux à bénéficier de la protection du gouvernement du Dominion étaient des sites naturels et non culturels.

L’établissement de plusieurs parcs et réserves dans la région des montagnes Rocheuses a mèné à la création de la Direction des parcs du Dominion en 1911, qui deviendra plus tard Parcs Canada. Le commissaire de Parcs Canada, James Bernard Harkin, pensait que son service pouvait étendre sa protection aux sites historiques. Le fort trouva un ardent défenseur en la personne de Loftus Morton Fortier, un haut fonctionnaire du ministère de l’Immigration, établi à Annapolis Royal.

À la demande de Fortier, Harkin envoya en décembre 1916 un délégué chargé d’inspecter le fort Anne. Le mois suivant, le fort obtient la désignation officielle de « premier parc historique du Canada ». Peu après, en 1919, la Commission des lieux et monuments historiques du Canada voit le jour et a pour mandat de désigner les sites à protéger partout au pays.

« L’inauguration du fort Anne lança véritablement le travail de la Commission », explique Mme Lane Jonah. « Dans sa première année, la Commission met essentiellement l’accent sur les forts et sur les postes de traite. Les communautés du pays proposent de nombreux sites et lieux dont elles veulent assurer la survie et qui font partie intégrante de l’histoire du Canada ».

Cet article est paru dans le numéro juin-juillet 2017 du magazine Histoire Canada.

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