Une période de transition ? État et société civile au Québec de 1980 à nos jours

Selon StĂ©phane Savard, l’Ă©tude des annĂ©es 1980 Ă  2000 permet de comprendre pourquoi le QuĂ©bec constitue toujours une sociĂ©tĂ© distincte par rapport au reste du Canada et pourquoi la RĂ©volution tranquille nous touche encore autant aujourd’hui.

Écrit par StĂ©phane Savard

Mis en ligne le 14 avril 2023

L’étude des annĂ©es 1980 Ă  nos jours

La période de 1980 à nos jours constitue la dernière couche historique qui s’est déposée de façon significative sur la trame que représente la société québécoise. Il s’agit de la première période historique vers laquelle on se tourne spontanément pour comprendre les principaux enjeux qui façonnent notre société, comme la question identitaire et le rapport à l’Autre, les défis énergétiques, la protection de l’environnement, la justice sociale, etc.

Près de quarante ans se sont Ă©coulĂ©s depuis le dĂ©but des annĂ©es 1980. Je considère donc que l’historien possède le recul nĂ©cessaire pour analyser scientifiquement les annĂ©es 1980, du moins jusqu’au dĂ©but des annĂ©es 2000. En ce qui concerne les dix ou quinze dernières annĂ©es, il peut et doit assurĂ©ment en parler puisque celles-ci assurent la continuitĂ© entre le passĂ© rĂ©volu et le prĂ©sent. Il ne dispose toutefois pas des outils nĂ©cessaires pour proposer une interprĂ©tation pleinement dĂ©tachĂ©e de l’actualitĂ©.

Il existe deux manières d’aborder l’histoire des annĂ©es 1980. La première consiste Ă  percevoir cette pĂ©riode comme le chainon manquant entre cette pĂ©riode phare de l’histoire du QuĂ©bec que constitue la RĂ©volution tranquille (RT) des annĂ©es 1960 et 1970 et le temps prĂ©sent, celui dans lequel s’inscrit l’expĂ©rience de vie des Ă©tudiants du secondaire et de tous les citoyens.

Il s’agit ici de comprendre les grands phénomènes qui ont bouleversé la société québécoise de nos parents et de nos grands-parents, pourquoi ils sont survenus et, enfin, ce qui a changé depuis la RT.

On peut Ă©galement partir d’enjeux contemporains tirĂ©s de l’actualitĂ© (mouvement #MeToo, contestations autochtones, excuses du premier ministre du Canada, Justin Trudeau, envers les homosexuels, les lesbiennes et les transgenres, etc.) et remonter dans le temps pour les historiciser. La pĂ©riode des annĂ©es 1980 Ă  nos jours s’avère souvent riche en Ă©vènements susceptibles d’expliquer l’origine ou du moins les derniers dĂ©veloppements en lien avec ces enjeux.

Trois grands enjeux de sociĂ©tĂ© 

Parmi les grands enjeux qui ont agitĂ© la sociĂ©tĂ© quĂ©bĂ©coise depuis les annĂ©es 1980, trois retiennent particulièrement mon attention : la question nationale, la place et le rĂ´le de l’État dans la sociĂ©tĂ©, et enfin les nouveaux mouvements sociaux et les revendications de la sociĂ©tĂ© civile.

La question nationale

Ayant contribuĂ© Ă  modifier la culture politique quĂ©bĂ©coise Ă  partir des annĂ©es 1960, la question nationale se caractĂ©rise par les conflits constitutionnels, les dĂ©bats linguistiques, la question identitaire.

Pour faire court, de très nombreux Canadiens français du QuĂ©bec qui se disent progressivement des QuĂ©bĂ©cois adoptent un nouveau nationalisme revendicateur et considèrent appartenir Ă  une nation majoritaire au sein des frontières du QuĂ©bec : c’est la question identitaire. Ils travaillent Ă  la crĂ©ation d’un État quĂ©bĂ©cois fort et interventionniste et souhaitent une nouvelle place pour le QuĂ©bec au sein du Canada.

Cette situation engendre des conflits constitutionnels incessants avec Ottawa, que ce soit du côté des fédéralistes qui souhaitent un statut particulier pour le Québec ou encore du côté des souverainistes qui réclament la création d’un État québécois indépendant, mais économiquement connecté avec son voisin canadien.

Marginal au dĂ©but des annĂ©es 1960, le mouvement souverainiste prend de l’ampleur au fur et Ă  mesure que progresse la dĂ©cennie, en particulier grâce Ă  trois personnages charismatiques : Pierre Bourgault et RenĂ© LĂ©vesque pour les souverainistes, et Pierre-Elliott Trudeau avec sa vision d’un Canada uni et d’un État central fort. Enfin, plusieurs nationalistes quĂ©bĂ©cois, fĂ©dĂ©ralistes comme souverainistes, souhaitent que le QuĂ©bec lĂ©gifère en matière linguistique afin de protĂ©ger la langue française : c’est la question linguistique qui mène Ă  l’adoption de la Charte de la langue française en 1977.

Malgré la tenue de deux référendums sur la souveraineté, celui de 1980 et celui de 1995 qui passe près d’aboutir à l’indépendance du Québec, et malgré de nombreuses négociations avec les principaux acteurs politiques du Canada, qui mènent d’abord à l’accord du lac Meech (1987-1990), puis à celui de Charlottetown (1991-1992), la question nationale n’est toujours pas résolue.

Le nationalisme québécois semble même en veilleuse actuellement, du moins je ne perçois pas de leadeurs souverainistes proactifs et de fervents fédéralistes qui veulent renouveler la place du Québec dans le Canada comme autrefois. Étant donné le temps dont je dispose pour cette conférence, je ne préciserai pas davantage ces questions.1 Je préfère me concentrer sur la place et le rôle de l’État dans la société, de même que sur les nouveaux mouvements sociaux et les transformations de la société civile.

Place et rĂ´le de l’État quĂ©bĂ©cois dans la sociĂ©tĂ© : une Ă©tonnante continuitĂ©

Ă€ la fin des annĂ©es 1970 et au dĂ©but des annĂ©es 1980, on assiste Ă  la montĂ©e des forces et des politiques nĂ©olibĂ©rales au Canada et ailleurs dans le monde occidental. Les responsables politiques quĂ©bĂ©cois abandonnent comme objectif premier la mise en place d’un État-providence garant du bien commun, comme Ă  l’époque de la RT.

C’est le gouvernement Lévesque, aux prises avec des problèmes budgétaires en raison de la crise économique de 1981-1982, qui met un frein à l’expansion de l’État-providence, se détournant d’ailleurs des acteurs sociopolitiques qui lui étaient pourtant favorables, comme les syndicats.2

Cela Ă©tant dit, j’avance la thèse suivante : l’État quĂ©bĂ©cois est restĂ© un vĂ©ritable État-providence malgrĂ© le vent nĂ©olibĂ©ral qui souffle en AmĂ©rique et en Occident ; il se permet mĂŞme, Ă  partir de la deuxième moitiĂ© des annĂ©es 1990, de mettre sur pied de nouvelles politiques sociales (de nouveaux programmes sociaux) comme nous le verrons plus tard.

Ce phĂ©nomène explique en partie, Ă  mon avis, le caractère « distinct », particulier, du QuĂ©bec dans le contexte nord-amĂ©ricain. Cette thèse reste Ă  mon avis valable jusqu’au dĂ©but des annĂ©es 2000 et s’amenuise sous les gouvernements Charest et surtout Couillard.

Un néolibéralisme triomphant

Pour comprendre ces phénomènes d’État-providence et de néolibéralisme, il faut remonter à la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

Dans le contexte Ă©conomique nord-amĂ©ricain et occidental, les chercheurs ont intitulĂ© la pĂ©riode 1945 Ă  1973 « les Trente Glorieuses ». Ă€ cette Ă©poque d’abondance, on assiste alors Ă  une remarquable croissance Ă©conomique avec des taux annuels moyens de 5 % — vous pouvez les comparer avec les taux actuels de 1 Ă  2 % pour comprendre l’ampleur de la croissance !

Dans la plupart de sociétés occidentales, y compris les États-Unis, l’État interventionniste — à des degrés divers ! — est perçu comme un outil permettant de réduire les inégalités sociales et d’assurer une certaine stabilité économique.

Deux phĂ©nomènes Ă©conomiques mettent fin Ă  ces annĂ©es fastes. D’abord la crise du pĂ©trole en 1973-1974 fait grimper le cout de l’énergie et, par consĂ©quent, des biens et services. Elle est suivie Ă  la fin des annĂ©es 1970, d’une pĂ©riode d’inflation, additionnĂ©e, paradoxalement, d’une augmentation graduelle du taux de chĂ´mage ; il s’agit d’un nouveau phĂ©nomène que les Ă©conomistes nomment « stagflation ».

Il s’ensuit une dĂ©tĂ©rioration de l’équilibre budgĂ©taire des États, ce qui contribue en partie aux problèmes Ă©conomiques qui surviennent. La première crise Ă©conomique depuis les annĂ©es 1930 survient en 1981-1982 avec un taux de chĂ´mage très Ă©levĂ© de plus de 12 % au Canada (comparativement aux 5 % actuellement) et des taux d’intĂ©rĂŞt très Ă©levĂ©s de près de 20 % (pensez aux hypothèques actuelles Ă  2-3 %).

Puis la pĂ©riode 1991-1993 correspond Ă  la pire crise Ă©conomique depuis les annĂ©es 1930 avec un taux de chĂ´mage de plus de 13 %. Le niveau de vie stagne alors qu’il avait grimpĂ© en flèche durant les Trente Glorieuses.

Ă€ la fin des annĂ©es 1970, les problèmes de l’économie amènent une nouvelle gĂ©nĂ©ration d’économistes Ă  renouer avec une forme de libĂ©ralisme centrĂ© sur le laissez-faire : le nĂ©olibĂ©ralisme. Margaret Thatcher en Grande-Bretagne et Ronald Reagan aux États-Unis seront les principaux chantres de ce nĂ©oconservatisme dans le monde occidental.

On prône une redéfinition des rapports sociaux entre les individus et l’État sur le plan de la libre concurrence et des choix individuels. On veut que l’État régule le moins possible les affaires ; on souhaite une dérèglementation la plus large possible afin de favoriser au maximum l’entreprise privée, comme durant la période d’avant 1930.

On souhaite la privatisation des entreprises d’État et on dénonce toute forme de capitalisme d’État. Le discours économique et financier est centré sur la performance, l’efficacité, la productivité, la compétitivité, la commercialisation et la maximisation des profits. Toutefois, ce laissez-faire économique d’avant 1930 se jouait seulement à l’intérieur des frontières des États-nations. Désormais, il se joue sur le plan mondial où l’on voudrait effacer autant que possible les frontières politiques au profit de logiques purement économiques du libre marché.

On peut alors parler du phĂ©nomène de mondialisation. Remarquez qu’il ne s’agit pas d’un phĂ©nomène propre aux annĂ©es 1980. Il est possible d’en parler dès qu’il y a recherche de produits et de main-d’œuvre Ă  travers des continents. Il y a mondialisation avec la colonisation de continents Ă  la suite des « dĂ©couvertes » europĂ©ennes du 16e siècle, ou encore avec la RĂ©volution industrielle au 19e siècle et tout au long du 20e siècle.

Or, le phĂ©nomène s’est aujourd’hui fortement accĂ©lĂ©rĂ©. Il touche Ă  la fois aux capitaux grâce aux investissements amĂ©ricains, mais aussi europĂ©ens et asiatiques, de mĂŞme que les Ă©changes commerciaux par des accords sur les tarifs douaniers. Enfin et surtout, l’avènement des multinationales permet la dĂ©localisation de la production vers les pays Ă  bas salaires : on parle alors de la mondialisation de la production industrielle et postindustrielle.

Les manifestations du néolibéralisme au Canada

Entre 1980 et 2000, les gouvernements à Ottawa entrent dans la danse du néolibéralisme.3 Le premier ministre progressiste-conservateur Brian Mulroney entreprend de vastes réformes fiscales. Il diminue à la fois le nombre de paliers d’imposition et le taux d’impôt. De plus, il instaure une taxe sur les produits et services (TPS).

Celle-ci remplace la taxe de vente fĂ©dĂ©rale de 1924. Ce changement reflète bien la philosophie fiscale conservatrice qui prĂ©fère une taxation gĂ©nĂ©rale centrĂ©e sur la consommation individuelle de biens et services plutĂ´t qu’une taxation gĂ©nĂ©rale axĂ©e sur l’impĂ´t sur le revenu. Il en profite Ă©galement pour rĂ©duire les dĂ©ficits fĂ©dĂ©raux et la dette. De fait, entre 1985 et 1988, le dĂ©ficit passe de 31 milliards $ Ă  19 milliards $. Enfin, il privatise les compagnies Canadair en 1986 et Air Canada en 1989, ce qui permet de nouvelles entrĂ©es de fonds.

Au pouvoir Ă  partir de 1993, Jean ChrĂ©tien poursuit sur cette lancĂ©e. Il dresse un plan de retour Ă  l’équilibre budgĂ©taire en 1995 avec son ministre des finances Paul Martin. Grâce Ă  de sĂ©vères coupures dans les dĂ©penses, le dĂ©ficit de 42 milliards $ en 1995 s’efface et devient un surplus de 3,5 milliards $ en 1998. Les privatisations se poursuivent : entre autres le Canadien National (CN) en 1995, et TĂ©lĂ©globe, en 2000.

Enfin, sous la pression des milieux d’affaires, on dérèglemente en partie les secteurs des télécommunications, des transports, des finances. Même le pétrole y passe.

Pour se prĂ©server d’une crise pĂ©trolière dans les annĂ©es 1970, le gouvernement Trudeau avait nationalisĂ© une compagnie pĂ©trolière et créé PĂ©tro-Canada, faisant ainsi de cette entreprise publique un vaisseau amiral de sa politique Ă©nergĂ©tique. Le contexte Ă©conomique difficile pour l’industrie pĂ©trolière dans les annĂ©es 1980 et 1990 permet au gouvernement Mulroney de privatiser partiellement cette dernière en 1991 et 1995. L’entreprise sera dĂ©finitivement privatisĂ©e en 2004.

Toujours sous la pression des milieux économiques, les gouvernements entreprennent des accords de libre-échange. Le premier est amorcé par le premier ministre Mulroney avec le président américain Ronald Reagan. Il est signé en 1988 et entre en vigueur en 1989. S’ajoute ensuite le Mexique ; ce nouvel accord devient l’ALÉNA en 1992 et entre en vigueur en 1994.

Le gouvernement négocie des accords semblables avec le Chili en 1997 et le Costa Rica en 2001. Des négociations similaires ont abouti récemment avec l’Union européenne et il existe bien un Partenariat transpacifique (PTP).

Tout cela a pour consĂ©quence de dĂ©placer la production de plusieurs biens vers les pays oĂą le cout de la main-d’œuvre est moins Ă©levĂ©. Pensons Ă  Bombardier avec des usines au Mexique ou au Maroc. Cela est d’autant plus vrai pour l’industrie lĂ©gère comme l’alimentation, les vĂŞtements, le textile. Ce phĂ©nomène provoque des ressacs dans les pays signataires, car si certains secteurs gagnent des parts de marchĂ©, d’autres en perdent.

Sans compter sur la misère des travailleurs des vieux secteurs industriels, comme le Rust Belt aux États-Unis. Cela expliquerait en partie peut-être le Brexit en Grande-Bretagne ou les batailles économiques de Trump aux États-Unis pour la renégociation de l’ALÉNA ; on oscille entre libre-échange et protectionnisme.

Le cas particulier du Québec

Entre 1981 et 1996-1997, le QuĂ©bec connait lui aussi deux rĂ©cessions Ă©conomiques qui influencent les responsables politiques dans leur volontĂ© de donner un coup de frein Ă  l’expansion de l’État-providence. On ne peut ici parler de rĂ©gression comme lors de la crise Ă©conomique de 1929 alors que le chĂ´mage avait grimpĂ© Ă  plus de 25 %, et ce sans aucun filet social.

On sent toutefois l’influence très grande des politiques de nĂ©olibĂ©ralisme : les mouvements sociaux et les groupes de pression pourront difficilement proposer leurs propres conceptions du bien commun et dĂ©fendre l’État-providence en fonction de leurs valeurs et intĂ©rĂŞts.

Une première crise grave des finances publiques survient en 1981-1982. Le gouvernement LĂ©vesque rĂ©duit de 20 % les salaires des fonctionnaires quĂ©bĂ©cois dans les premiers mois de l’annĂ©e 1982 et suspend les droits de grève.4 Les syndicats, pourtant alliĂ©s traditionnels du PQ, en gardent une rancĹ“ur tenace. Il s’agit bel et bien de la fin de la RT.

D’ailleurs de nouveaux enjeux sociaux vont apparaitre (diversités ethnique, culturelle ou sexuelle par exemple) dans lesquels ils se sentent moins concernés et qui font qu’ils occuperont moins le devant de la scène. De même, confrontés au contexte de mondialisation, ils vont surtout concentrer leurs luttes au maintien des emplois qu’on menace de délocaliser qu’à multiplier les revendications.

De son cĂ´tĂ©, sitĂ´t arrivĂ© au pouvoir, le nouveau gouvernement de Robert Bourassa adopte certaines politiques nĂ©olibĂ©rales. Il souffle le chaud et le froid sur l’idĂ©e de privatisation. Des rumeurs inquiĂ©tantes circulent au sujet d’Hydro-QuĂ©bec ou de la SAQ, comme cela se fait ailleurs au Canada, par exemple la vente partielle d’Hydro-Ontario dans les annĂ©es 1990.

Il se contente toutefois de vendre des entreprises mineures comme Québecair, la raffinerie de sucre de Saint-Hilaire, Madelipêche et Donohue.

Le tout va culminer avec le gouvernement Bouchard. Alors que l’économie canadienne et quĂ©bĂ©coise tire de l’aile dans le milieu des annĂ©es 1990, Jean ChrĂ©tien au Canada et Mike Harris en Ontario coupent drastiquement dans les dĂ©penses. Quant Ă  lui, le nouveau premier ministre Lucien Bouchard, arrivĂ© en poste Ă  la suite de l’échec rĂ©fĂ©rendaire et de la dĂ©mission de Jacques Parizeau, annonce que le QuĂ©bec n’a plus les moyens de ses ambitions.

Pour le gouvernement Bouchard, l’assainissement des finances publiques passe par la lutte au déficit zéro. Cela faisait partie de ses stratégies gagnantes en vue d’un éventuel référendum.

Paradoxalement, contrairement Ă  l’Ontario de Mike Harris, le QuĂ©bec va prendre un chemin diffĂ©rent après les coupures draconiennes. Lucien Bouchard souhaite en effet relancer l’économie en s’appuyant notamment sur une politique familiale basĂ©e sur la crĂ©ation de nouveaux services sociaux payĂ©s par l’État, et non les moindres. On assiste vĂ©ritablement Ă  un retour de l’État-providence Ă  la fin des annĂ©es 1990 et dans les annĂ©es 2000, qui fait partie de ce qu’on appelle le modèle quĂ©bĂ©cois.

Naissent alors le rĂ©seau des Centres de la petite enfance (CPE) ainsi que le programme des congĂ©s parentaux. On parlait dĂ©jĂ  des garderies dès les annĂ©es 1970 ; Ă  la suite de la Loi sur les services de garde de 1979 et du rapport de Camil Bouchard, Un QuĂ©bec fou de ses enfants, la ministre Pauline Marois crĂ©e les CPE en 1997.

Puis, afin de freiner le déclin de la natalité, le gouvernement Bouchard annonce un régime québécois d’assurance parentale d’un an qui devient complet en janvier 2006. Sa structure le rend distinct et différent de celui de l’État canadien, comme aux beaux jours de la RT. Il est perçu comme une « innovation sociale majeure » selon le Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES).

Le nĂ©olibĂ©ralisme a donc attaquĂ© l’État-providence au Canada, aux États-Unis, au QuĂ©bec et ailleurs. Toutefois, le modèle quĂ©bĂ©cois de la fin des annĂ©es 1990 Ă  nos jours a su mettre sur pied de nouveaux programmes sociaux et sauvegarder ceux existant depuis la RT (rĂ©gime des rentes, allocations familiales, aide sociale, Ă©ducation, etc.).

Il s’agit d’un contraste marquant avec les choix de l’Ontario. Dans le reste du Canada, certains critiquent en partie ce modèle. Dans l’Ouest, par exemple, on accuse le QuĂ©bec de financer ses programmes sociaux avec les fonds provenant du système de pĂ©rĂ©quation, alimentĂ© en grande partie par la richesse des provinces pĂ©trolières. Par contre, pour des chercheurs comme StĂ©phane Paquin, le modèle quĂ©bĂ©cois en est un qui s’apparente Ă  la « social-dĂ©mocratie 2.0 » que les pays scandinaves ont mise de l’avant dans les annĂ©es 1990.5

Même si on assiste à des tentatives de retour au néolibéralisme, entre autres sous Jean Charest avec sa « réingénierie de l’État » après la campagne électorale de 2003, de nombreux groupes de pression dénoncent rapidement ce plan qui débouche en fait sur des coupures de services. Ils protestent et pressent Jean Charest de poursuivre les dépenses pour les programmes sociaux.

Leur mobilisation citoyenne rĂ©ussit Ă  avoir gain de cause dans bien des cas, et parfois mĂŞme ils rĂ©ussissent Ă  en ajouter : l’épisode de la gratuitĂ© de la procrĂ©ation assistĂ©e en est un bon exemple. Les revendications deviennent toutefois plus difficiles sous le gouvernement de Philippe Couillard avec ses budgets d’austĂ©ritĂ© qui affectent le QuĂ©bec pendant plus de deux annĂ©es.

Les premiers pas du gouvernement Legault montrent toutefois que l’idée d’un interventionnisme étatique issu de la RT n’est pas morte et enterrée, loin de là.

Les transformations de la société civile au Québec

Définissons d’abord ce que j’entends par « société civile ». La société civile se compose de « corps intermédiaires » organisés qui représentent une zone tampon entre l’État et ses institutions, d’une part, et les citoyens, d’autre part. Elle est composée des familles, des institutions locales, des associations, des groupes religieux ou d’intérêt de toutes sortes ; tous ces acteurs sont susceptibles, à un moment ou à un autre, d’entrer en relation avec l’État et de se transformer en groupes de pression pour promouvoir des valeurs ou des intérêts particuliers, en vue de définir le bien commun.

Comme le rappelle le sociologue Gary Caldwell, « Sans une société civile dense et vivante, peu de citoyens pourraient se sentir libres à l’égard des dictats de l’État et des lois du marché.6 » La société civile représente donc un terreau de militantisme pour plusieurs citoyens.

Pour comprendre ce qui se passe dans les annĂ©es 1980 Ă  2000, il faut remonter Ă  la RT et mĂŞme avant celle-ci. Dans les annĂ©es 1950, l’Église catholique, dĂ©jĂ  omniprĂ©sente en Ă©ducation et dans les hĂ´pitaux conserve Ă©galement un droit de regard sur plusieurs organisations sociales comme des syndicats, des associations fĂ©minines, des sociĂ©tĂ©s secrètes ou des mouvements de jeunes.

Toutefois, son influence diminue Ă  la fin des annĂ©es 1950 et s’affaiblit considĂ©rablement pendant les annĂ©es 1960, alors que la sociĂ©tĂ© civile entre en Ă©bullition et permet l’émergence de mouvements revendiquant des changements sociaux, politiques et culturels. Dans la deuxième moitiĂ© des annĂ©es 1960 et tout au long des annĂ©es 1970, le QuĂ©bec passe d’une culture politique de l’informel Ă  une culture politique du militantisme et de la prise de parole publique.7

Il s’agit lĂ  d’un second souffle donnĂ© Ă  la RT : celle de la première moitiĂ© des annĂ©es 1960 avait donnĂ© lieu Ă  des rĂ©formes en grande partie initiĂ©es par les responsables politiques, donc par le haut (top-down) ; les rĂ©formes des annĂ©es 1970 ont Ă©tĂ© entreprises par le bas (bottom-up), grâce entre autres aux revendications de groupes fĂ©ministes, environnementalistes, nationalistes, etc.

Cette prise de parole citoyenne dĂ©bouche par la suite en Occident sur la montĂ©e de groupes qui revendiquent non seulement des droits et des rĂ©formes, mais aussi la reconnaissance d’identitĂ©s particulières.8 Il s’agit de groupes religieux, des communautĂ©s LGBT, de groupes ethniques, etc. Ces groupes identitaires se multiplient, et peuvent parfois entrer en contradiction les uns avec les autres.

Ils militent pour la reconnaissance de droits spécifiques. Au Canada et au Québec, ils s’appuient sur la Charte québécoise des droits et libertés de la personne de 1975 et sur la Charte des droits et libertés du Canada enchâssée dans la Constitution rapatriée de 1982. Leur affirmation identitaire et leurs revendications sociopolitiques font souvent appel à des interprétations du passé qui troublent l’ordre établi et la mémoire collective du groupe majoritaire.

On entre alors dans ce que les philosophes Tzvetan Todorov et Janna Thompson définissent comme étant les luttes pour la reconnaissance des torts causés à ces groupes dans un passé plus ou moins lointain.9 Elles mènent souvent à des tentatives d’obtenir des réparations politiques (excuses), monétaires (dédommagement) ou judiciaires (lois, chartes, etc.).10

Ces luttes mémorielles débouchent parfois sur des excuses officielles de la part de l’État. On pense au gouvernement de Brian Mulroney qui, en 1988, reconnait les torts causés aux Canadiens d’origine japonaise durant la Deuxième Guerre mondiale. Plus récemment, le gouvernement de Justin Trudeau a formulé des excuses officielles, dont l’une envers les anciens élèves des pensionnats autochtones à Terre-Neuve-et-Labrador, et une autre envers la communauté LGBT pour la « persécution et les injustices » qu’ils ont subies dans le passé.

Un dernier exemple, la reconnaissance par l’État fĂ©dĂ©ral et l’État quĂ©bĂ©cois du Mois de l’histoire des Noirs : elle traduit la volontĂ© de combattre la discrimination ethnique et le racisme et, par la mĂŞme occasion, de mettre de l’avant l’histoire parfois difficile vĂ©cue par les communautĂ©s noires, notamment l’esclavage.

Une sociĂ©tĂ© civile en action : perspectives historiques

Parmi les principaux dossiers qui font actuellement partie de l’actualitĂ©, j’en retiens trois au fort potentiel de mobilisation citoyenne : la question environnementale, la place des Premières Nations et les revendications fĂ©ministes. Je les aborderai successivement.

La question environnementale

Depuis les annĂ©es 1970, des centaines de groupes environnementalistes se sont formĂ©s, dont plusieurs, telle la SociĂ©tĂ© pour vaincre la pollution, se sont institutionnalisĂ©s grâce entre autres Ă  des subventions de l’État.11 De son cĂ´tĂ©, celui-ci met notamment en place le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) chargĂ© d’étudier les problèmes Ă  caractère environnemental et de recevoir les avis des diffĂ©rents groupes de pression.

De très nombreux enjeux environnementaux ont fait l’objet de débats publics dans les dernières décennies au Québec. En matière de développement énergétique12, les groupes environnementaux ont contesté les projets de barrages hydroélectriques dans le Nord québécois, la production d’énergie nucléaire (finalement abandonnée par la première ministre Marois en 2014), le choix des différents tracés des lignes à haute tension, les projets de fracturation du gaz de schiste et de son exploitation, l’emplacement ou la pertinence de certains parcs éoliens, la construction d’une centrale au gaz naturel à Suroit, ou encore l’exploitation pétrolière et gazière à l’ile d’Anticosti, etc.

Dans le domaine de l’aménagement urbain, ils sont intervenus de plus en plus au sujet de la protection des milieux humides, de la gestion des déchets ou du développement des transports collectifs.

D’autres groupes se sont assurĂ©s de veiller au grain pour assurer un dĂ©veloppement harmonieux des richesses naturelles, qu’il s’agisse de projets miniers, de gestion des ressources forestières, de qualitĂ© de l’eau. D’autres enfin se sont penchĂ©s sur le Plan Nord, qu’il s’agisse des versions 1.0 de Jean Charest, 2.0 de Pauline Marois ou 3.0 sous Philippe Couillard. Les prĂ©occupations environnementales s’étendent maintenant Ă  la protection de la planète entière : pluies acides, gaz Ă  effet de serre, changements climatiques, pollution des ocĂ©ans, etc.

Au cours des annĂ©es 1990 nait la notion de dĂ©veloppement durable. Elle promeut la protection des Ă©cosystèmes, de la qualitĂ© des milieux de vie et de la biodiversitĂ©. Les groupes environnementalistes, de concert avec d’autres intervenants de la sociĂ©tĂ© civile, cherchent Ă  Ă©quilibrer dĂ©veloppement Ă©conomique et protection de l’environnement, des Ă©cosystèmes et des milieux de vie.

Cela suppose une meilleure relation entre les communautés locales et l’État ou les agents du développement, ce qui mène aujourd’hui à la notion d’acceptabilité sociale si chère — et pourtant parfois vide de sens — dans la bouche des élus.

La place des Premières Nations

C’est Ă  partir des annĂ©es 1960 qu’on assiste au rĂ©veil autochtone avec la naissance d’associations organisĂ©es. Au QuĂ©bec, les revendications dĂ©butent par la contestation judiciaire du projet de la Baie-James par les Cris et les Inuits. MĂŞme si le jugement Malouf est cassĂ©, l’État quĂ©bĂ©cois poursuit les discussions.

Elles aboutissent à la Convention de la Baie-James et du Nord québécois en 1975, puis à la Convention du Nord-Est québécois en 1978, signée avec les Cris, les Inuits et les Naskapis. Celles-ci sont toutefois rapidement critiquées par les autres groupes autochtones qui jugent que les compensations financières reçues en échange de l’extinction de leurs droits territoriaux ne font que poursuivre l’approche colonialiste issue du 19e siècle.

MĂŞme les groupes signataires de ces traitĂ©s jugeront dans les annĂ©es 1980 qu’il s’agit au fond de mauvaises ententes.13 Des tentatives de rĂ©flexion s’amorcent sur leurs relations avec le QuĂ©bec et le Canada, mais elles s’amoindrissent avec le rapatriement de la Constitution de 1982. La Charte des droits et libertĂ©s ne fait que maintenir leurs droits existants, alors que la Loi constitutionnelle Ă©voque la possibilitĂ© de nouveaux pouvoirs ou droits aux Autochtones, mais celle-ci doit faire l’objet de nĂ©gociations ultĂ©rieures.

En 1983, le gouvernement Lévesque envisage une reconnaissance politique partielle ; il présente 15 principes « reconnaissant aux Autochtones du Québec les droits contenus dans la nouvelle constitution canadienne ». Il propose une démarche hors des cadres de la Loi constitutionnelle de 1982. Cela concerne entre autres la création d’un troisième ordre de gouvernement, l’autonomie gouvernementale et le droit de propriété des terres.

En 1985, il fait voter par l’Assemblée nationale une motion de reconnaissance de ces droits et l’existence de manière officielle des onze nations autochtones vivant sur le territoire québécois. La motion n’est toutefois pas votée à l’unanimité et demeure au niveau des vagues intentions.

Sur le plan canadien, les négociations pour définir les droits autochtones reconnus par la Loi constitutionnelle se poursuivent entre 1983 et 1987, mais n’aboutissent pas. Bien plus, lors des négociations de l’Accord du lac Meech, les revendications autochtones sont tout simplement écartées. Après l’échec de Meech en 1990, dans les négociations qui mènent à l’Accord de Charlottetown en 1992, leurs droits sont intégrés, tout comme ceux des femmes, mais cet accord tombe à l’eau à son tour.

Les crises soulevĂ©es par les revendications autochtones sont particulièrement nombreuses et fortes au QuĂ©bec. La Cour suprĂŞme du Canada et les autres cours de justice sont amenĂ©es, Ă  partir des annĂ©es 1960, Ă  Ă©mettre plusieurs jugements relativement Ă  leurs droits ancestraux. Cette judiciarisation est encouragĂ©e par les Chartes.

Ă€ ces contestations judiciaires s’ajoutent des contestations politiques oĂą le QuĂ©bec est Ă©corchĂ© jusqu’au plan international. Pensons Ă  la crise d’Oka en 1990 oĂą les images du conflit font le tour du monde.14 Pensons Ă©galement Ă  la crise du projet Grande-Baleine en 1990-1991 : Ă  l’aide de divers groupes Ă©cologistes, les Cris publient dans le New York Times une pleine page de publicitĂ© prĂ©sentant le QuĂ©bec comme le pire destructeur environnemental en AmĂ©rique du Nord.

Pensons enfin à la question du racisme « systémique » dans les relations entre les policiers et les Autochtones, du sort des femmes autochtones, des pensionnats, etc.

Ă€ partir de la fin des annĂ©es 1990, il y a volontĂ© de la part de l’État quĂ©bĂ©cois Ă  adopter une approche plus « d’égal Ă  Ă©gal ». Cela conduit notamment Ă  la Paix des Braves en 2002 signĂ©e par les Cris. Une telle entente ne concerne pas l’ensemble des nations ou des communautĂ©s : cela dĂ©pend de leur capacitĂ© Ă  dĂ©ployer un rapport de force relativement Ă©quitable. Par ailleurs, le projet d’Approche commune prĂ©sentĂ© aux Innus en 2004 Ă©choue, faute d’entente entre les diverses communautĂ©s.

Le mouvement fĂ©ministe : vers un Ă©clatement

Ce que certains ont appelĂ© le « fĂ©minisme de la deuxième vague », pour le diffĂ©rencier du fĂ©minisme suffragiste du dĂ©but du 20e siècle, Ă©merge Ă  la fin des annĂ©es 1960 et prend de l’ampleur tout au long des annĂ©es 1970 partout en Occident. Il se divise en deux branches, les « rĂ©formistes » qui visent surtout Ă  faire changer les lois pour rendre les femmes Ă©gales aux hommes, et les « radicales » qui dĂ©noncent le patriarcat et la domination du corps des femmes par les hommes.

Au QuĂ©bec, les femmes font des gains tangibles.15 En Ă©ducation, elles passent du tiers des effectifs Ă©tudiants universitaires dans les annĂ©es 1960 Ă  la majoritĂ© Ă  la fin des annĂ©es 1980. En mĂ©decine et en droit, elles en forment plus de la moitiĂ© Ă  la fin des annĂ©es 1980, et près de 50 % en administration, en architecture, en pharmacie, etc.

Dans le monde du travail, elles rĂ©clament l’équitĂ© salariale dès les annĂ©es 1970. L’état fĂ©dĂ©ral le leur reconnait en 1972 et l’État quĂ©bĂ©cois fait de mĂŞme en 1975. Ă€ travail Ă©gal, leur salaire passe de 60 % de celui des hommes en 1975, Ă  66 % en 1986 et Ă  environ 90 % aujourd’hui. Elles atteignent l’égalitĂ© juridique dès 1964, l’autoritĂ© parentale en 1977 avec l’abolition de la prĂ©pondĂ©rance paternelle et la pleine Ă©galitĂ© des conjoints en 1981 alors que la femme garde maintenant son nom Ă  la naissance.

En quelques années, les femmes apprennent à se réapproprier leur corps, grâce aux moyens de contraception (dont la pilule contraceptive), au droit à l’avortement et avec la libération sexuelle. Tous ces gains font prendre conscience de l’omniprésence passée de la société patriarcale.

Cette révolution féministe entre 1966 et 1989, pour reprendre la chronologie de Denyse Baillargeon, n’a pas tout réussi, loin de là. Des inégalités persistent. Ainsi, l’équité salariale, malgré la bonne volonté des différents gouvernements, existe encore. Le plafond de verre n’est toujours pas complètement défoncé en politique et dans le domaine économique. L’inclusion des femmes reste problématique, due aux effets de la mondialisation et des politiques néolibérales dans nos sociétés capitalistes.

En ce sens, la marche « Du pain et des roses », organisĂ©e par la FĂ©dĂ©ration des femmes du QuĂ©bec, regroupe des milliers de personnes du 26 mai au 4 juin 1995. Elle veut protester contre les effets pervers de la crise Ă©conomique, des politiques gouvernementales engendrant la pauvretĂ© et l’exclusion des femmes.

Cette rĂ©silience d’inĂ©galitĂ©s et d’oppressions fait en sorte que les groupes fĂ©ministes ne se sont pas « dissouts ».  Ă€ mon avis, il y a mĂŞme rĂ©surgence, depuis certainement une dĂ©cennie, de revendications fĂ©ministes plus radicales et contestataires chez certains groupes universitaires ou autres ; celles-ci n’ont au fond jamais cessĂ©, mais empruntent de nouveaux chemins. Une vague sans prĂ©cĂ©dent dĂ©ferle pour dĂ©noncer les abus, violences, non-consentements ou harcèlements sexuels envers les femmes.

Que ce soit dans les réseaux sociaux, comme le mouvement « #MeToo », et les médias ou devant la justice, ces actions ne font pas l’unanimité, même dans une société où les rapports hommes/femmes ne sont pas égaux. À cela, il faut ajouter la question plutôt nouvelle des droits des femmes minorisées ou racisées, qui divise encore plus le mouvement féministe ; certaines militantes vont interpréter le port de signes religieux ostentatoires des femmes comme un symbole de leur soumission, d’autres n’y verront pas d’obstacle et vont plutôt encourager leur inclusion dans la société.

Il ne s’agit plus nécessairement d’une division entre radicales et réformistes, mais aussi d’une division générationnelle et culturelle.

Ă€ l’opposĂ©, on note un ressac antifĂ©ministe chez certains groupes d’hommes qui avancent un discours masculiniste, voire machiste. La tuerie de l’École Polytechnique Ă  MontrĂ©al en 1989 illustre le plus fortement ce phĂ©nomène. 

Conclusion

Bref, l’étude des annĂ©es 1980 Ă  2000 permet de comprendre pourquoi le QuĂ©bec constitue toujours une sociĂ©tĂ© distincte par rapport au reste du Canada et pourquoi la RĂ©volution tranquille, malgrĂ© le fait qu’elle ait bientĂ´t 60 ans, nous touche encore autant aujourd’hui.

Pas que les citoyens québécois veulent nécessairement en sortir, mais force est de constater qu’ils sont toujours héritiers de celle-ci, et qu’ils cherchent toujours le moyen de concilier son héritage avec les nouveaux défis qui se posent à eux.

NDLR : Dans le cadre des confĂ©rences du RÉCITUS, cet article rĂ©sume la confĂ©rence de StĂ©phane Savard donnĂ©e le 21 mars 2018 Ă  l’ÉcomusĂ©e du fier monde devant des enseignants des CS de MontrĂ©al, de la Pointe-de-l’ĂŽle, Marguerite-Bourgeoys et de la Seigneurie-des-Mille-ĂŽles. Les questions Ă©manant de la salle Ă  la fin de la confĂ©rence ont Ă©tĂ© intĂ©grĂ©es dans l’article. Transcription : Jacques Robitaille.


StĂ©phane Savard est professeur au DĂ©partement d’histoire de l’UniversitĂ© du QuĂ©bec Ă  MontrĂ©al.

Cet article est apparu Ă  l'origine dans la revue Enjeux de l’univers social, volume 15, numĂ©ro 2, automne-hiver 2019-2020, p. 20-25. La revue est publiĂ©e par l’Association quĂ©bĂ©coise pour l’enseignement en univers social (AQEUS).

L’association quĂ©bĂ©coise pour l’enseignement en univers social est une association qui regroupe au sein du mĂŞme regroupement autant ceux qui enseignent en univers social (primaire), qu’en histoire, en gĂ©ographie, en monde contemporain et en Ă©ducation financière (secondaire). Elle regroupe autant des enseignants que des conseillers pĂ©dagogiques, des enseignants du collĂ©gial, des didacticiens universitaires, des retraitĂ©s et des Ă©tudiants universitaires. Elle rĂ©pond ainsi au vĹ“u d’un grand nombre d’enseignants de retrouver sous la mĂŞme enseigne les disciplines et les programmes de l’univers social.


Notes

1.   Je vous invite plutĂ´t Ă  lire mon article intitulĂ© « L’affaiblissement de la question nationale au QuĂ©bec » publiĂ© dans le Bulletin d’histoire politique, vol. 25, no 2, 2017, p. 7-13, en ligne : https://www.erudit.org/fr/revues/bhp/2017-v25-n2-bhp02916/1038789ar/

2.   Au sujet du gouvernement LĂ©vesque et des difficultĂ©s budgĂ©taires qu’il rencontre dès la fin des annĂ©es 1970, voir Jean-Charles Panneton, Le gouvernement LĂ©vesque. Tome 2 : du temps des rĂ©formes au rĂ©fĂ©rendum de 1980, QuĂ©bec, Septentrion, 2017.

3.   Au sujet des politiques Ă©conomiques d’Ottawa dans les annĂ©es 1980 et 1990, voir Kenneth Norrie, Douglas Owram et J.C. Herbert Emery, A History of the Canadian Economy, Quatrième Ă©dition, Toronto, Nelson College, 2007.

4.   Ă€ ce sujet, voir le rĂ©cent livre de Martin Petitclerc et Martin Robert, Grève et paix. Une histoire des lois spĂ©ciales au QuĂ©bec, MontrĂ©al, Lux Ă©diteur, 2018.

5.   Pour Paquin, le contexte nord-amĂ©ricain rend difficile pour le QuĂ©bec de rĂ©pliquer adĂ©quatement le modèle social-dĂ©mocrate scandinave. Voir StĂ©phane Paquin et Pier-Luc LĂ©vesque (dir.),  Social-dĂ©mocratie 2.0. Le QuĂ©bec comparĂ© aux pays scandinaves, MontrĂ©al, Les Presses de l’UniversitĂ© de MontrĂ©al, 2014.

6.   Gary Caldwell, « Le dĂ©veloppement social et la sociĂ©tĂ© civile dans le QuĂ©bec contemporain », EncyclopĂ©die de l’Agora, 1er avril 2012, en ligne : http://agora.qc.ca/documents/societe_civile--le_developpement_social_et_la_societe_civile_dans_le_quebec_contemporain_par_gary_caldwell

7.   Comme le constatent Marcel Martel et Martin Pâquet dans Langue et politique au Canada et au QuĂ©bec. Une synthèse historique, MontrĂ©al, BorĂ©al, 2010.

8.   Comme l’a bien montrĂ© Jacques Beauchemin dans La sociĂ©tĂ© des identitĂ©s. Éthique et politique dans le monde contemporain. Deuxième Ă©dition, revue et augmentĂ©e, MontrĂ©al, AthĂ©na Ă©dition, 2007.

9.   Janna Thomson, Taking Responsability for the Past : Reparation and Historical Justice, Cambridge (Angleterre), Polity Press, 2002 ; Tzvetan Todorov, MĂ©moire du mal, tentation du bien : enquĂŞte sur le siècle, Paris, Robert Laffont, 2000, p. 127-132.

10.   Pour des exemples quĂ©bĂ©cois et canadiens, voir l’ouvrage collectif dirigĂ© par Martin Pâquet (dir.), Faute et rĂ©paration au Canada et au QuĂ©bec contemporains. Études historiques, MontrĂ©al, Éditions Nota Bene, 2006.

11.   Sur l’histoire de l’Ă©mergence des groupes environnementalistes, voir entre autres la courte synthèse rĂ©alisĂ©e par Jean-Guy Vaillancourt, « Le mouvement vert au QuĂ©bec : une perspective historique et sociologique », Bulletin d’histoire politique, vol. 23, no 2, 2015, p. 113-132.

12.   Pour une histoire d’Hydro-QuĂ©bec et de sa relation avec l’État quĂ©bĂ©cois, entre autres en matière d’environnement et de dĂ©veloppement du territoire, voir StĂ©phane Savard, Hydro-QuĂ©bec et l’État quĂ©bĂ©cois, 1944-2005, QuĂ©bec, Septentrion, 2013.

13.   StĂ©phane Savard, « Les communautĂ©s autochtones du QuĂ©bec et le dĂ©veloppement hydroĂ©lectrique. Un rapport de force avec l’État, de 1944 Ă  aujourd’hui », Recherches amĂ©rindiennes au QuĂ©bec, vol. 39, no 1-2, 2009, p. 47-60.

14.   Sur la Crise d’Oka, voir Émilie Guilbeault-Cayer, La Crise d’Oka : au-delĂ  des barricades, QuĂ©bec, Septentrion, 2013.

15.   Pour de plus amples dĂ©tails, voir Denyse Baillargeon, Brève histoire des femmes au QuĂ©bec, MontrĂ©al, BorĂ©al, 2012.

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