Jacques Lacoursière et l'écriture de l'histoire populaire au Québec

Jacques Lacoursière était l’un des historiens les plus lus et les plus populaires de sa génération au Québec.

Écrit par Brian Young

Mis en ligne le 11 août 2021

Les lecteurs de Canada’s History se souviendront sans doute que Jacques Lacoursière a été le co-rédacteur-en-chef du numéro spécial Quebec at 400/Québec a 400 ans. Membre de l’Ordre du Canada et membre du conseil d’administration de la Société Histoire Canada, il a été le premier francophone à remporter le Prix Pierre-Berton pour sa façon exceptionnelle d’aborder l’histoire du Canada et de susciter la curiosité des lecteurs. Même s’il est peu connu au Canada anglais, au Québec, il est l’un des historiens les plus lus et les plus reconnus de sa génération : il est mort en juin 2021.

Son œuvre rend hommage à des thèmes qui sont chers à la Société Histoire Canada parmi lesquels la popularisation de l’histoire nationale; les historiens, leurs publics et le culte de la personnalité publique; le recours à l’iconographie et aux médias par les historiens; la construction des histoires nationales et leur diffusion; la vie professionnelle des historiens qui font carrière hors du milieu universitaire; et les institutions qui se consacrent à la mémoire populaire, comme les musées, la presse populaire, la radio, le cinéma et la télévision.

Dans la riche tradition québécoise des vulgarisateurs qui comprend Marie-Claire Daveluy, Fernand Seguin, Hector Grenon, Hélène-Andrée Bizier, Denis Vaugeois et Serge Bouchard, Jacques Lacoursière occupe une place de choix.

Il a attiré pour la première fois l’attention du public en 1962, en tant que co-auteur du Boréal Express, un journal d’histoire qui a connu un immense succès. Ensuite, pendant près de cinquante ans, Jacques Lacoursière a produit un vaste répertoire de manuels scolaires, des ouvrages sur des sujets comme la crise d’octobre 1970, ainsi que sur les histoires régionales, et des séries pour des magazines; il a également animé des émissions de radio et de télévision, prononcé des conférences publiques, écrit des scénarios de films, organisé une exposition marquante, rédigé des rapports pour le gouvernement et été membre de conseils d’administration de musées et de sociétés d’histoire.

Jacques Lacoursière partage son charme désarmant avec d’autres grandes personnalités publiques de la région du Saint-Maurice : le premier ministre Jean Chrétien, le chansonnier Félix Leclerc et d’autres collègues historiens, comme Denis Vaugeois et Jean Provencher. Mais derrière son air bon enfant, Lacoursière était un communicateur hors pair, un fin collaborateur et réseauteur et un historien plein de ressources qui a su gagner l’affection et la confiance d’un très large public.

Son œuvre a fait la joie de millions de lecteurs et d’auditeurs et ses ouvrages sur l’histoire du Québec ont joué un rôle crucial dans la construction de l’imaginaire historique de toute une génération. Accessible, très présent dans les médias et toujours prêt à porter un costume d’époque, il était l’image même de l’historien en tant que personnage public. Même le déclin de sa santé eut une certaine résonance au sein du public.

En 2018, atteint par cette maladie cruelle qu’est l’Alzheimer, et perdant sa mémoire jusqu’alors infaillible, Jacques Lacoursière a fait don de soixante boîtes de documentation aux Archives nationales du Québec. Avec deux de ses plus proches collaborateurs, Denis Vaugeois et Jacques Mathieu qui ont écrit son hommage, Faire aimer l’histoire en compagnie de Jacques Lacoursière, il a conclu cet ouvrage par un énoncé de mission s’adressant à l’historien populaire :

« Toute ma vie, j’ai été animé par le désir de faire aimer l’histoire et de partager mes connaissances avec le plus grand nombre »

Tous ceux qui ont joué un rôle dans la diffusion de l’histoire du Québec ont connu Jacques Lacoursière.

Mon propre parcours a souvent croisé le sien : nous avons, en effet, collaboré à un scénario pour une exposition qui ne s’est jamais concrétisée au Musée McCord d’histoire canadienne, comparu tous deux devant le CRTC dans le cadre de la demande de permis d’Astral Media pour sa chaîne Historia, pris l’avion en pleine nuit à partir de Winnipeg après les réunions du conseil d’administration de la Société Histoire Canada, assisté au tournage d’Épopée en Amérique de Gilles Carles et participé à de nombreuses audiences publiques partout au Québec à titre de membres du Groupe de travail sur l’enseignement de l’histoire.

Lacoursière était aussi un fin gourmet et un grand connaisseur de vins, connu pour ses soupers de gibier qu’il organisait dans son appartement de Québec. Lorsque je l’ai rencontré en 1980, il avait quitté son poste d’administrateur au ministère de l’Éducation du Québec afin de se consacrer à temps plein à une carrière d’historien indépendant. Lacoursière vivait de ses multiples contrats, de la vente de ses livres, de ses apparitions dans les médias et de ses conférences.

Comme son homologue canadien-anglais, Pierre Berton, il menait une vie d’historien public, admiré d’un vaste auditoire mais ignoré par les historiens académiques. Père de cinq enfants il était constamment débordé et accablé par ses multiples échéanciers, qui se chevauchaient.

Né en 1932, Jacques Lacoursière a grandi à Shawinigan Falls, au Québec, où son père possédait une imprimerie. Située sur un site de production d’électricité de la rivière Saint-Maurice, Shawinigan Falls était la petite communauté industrielle type où l’on trouvait la Shawinigan Water and Power Company, des patrons anglophones fréquentant leurs clubs et terrains de golf exclusifs, une Église catholique omniprésente guidant de main de maître l’éducation, les services sociaux et la vie paroissiale, et jamais très loin, le paysage du Bouclier canadien et sa mythologie boréale.

Lacoursière a passé une année à étudier en vue de devenir prêtre, il a brièvement fait du droit, et a finalement obtenu un diplôme en enseignement en 1960, qu’il a mis à profit dans une école élémentaire. C’est à l’école normale qu’il rencontre Denis Vaugeois, son partenaire d’écriture qui deviendra plus tard son éditeur. Même si leurs camarades étudient l’histoire en milieu universitaire, notamment avec Maurice Séguin à l’Université de Montréal ou avec Jean Hamelin à l’Université Laval, Lacoursière et Vaugeois sont plus proches de la communauté intellectuelle des membres du clergé, des artistes et des intellectuels qui forment l’entourage de Monseigneur Albert Tessier du Séminaire de Trois-Rivières.

Communicateur de talent, cinéaste et historien de la région du Saint-Maurice, Monseigneur Tessier sert de mentor à Lacoursière en l’engageant pour travailler aux archives du séminaire et en incitant le tandem Lacoursière-Vaugeois à écrire. Au début des années 1960, il facilite et légitime leur entrée en tant qu’historiens laïques de l’histoire nationale du Québec au sein des institutions culturelles et éducatives du Québec, toujours dominées par l’Église. Explorateurs inlassables de sources primaires, Lacoursière et Denis Vaugeois utilisent leurs connaissances pratiques des médias et des institutions pour populariser l’histoire du Québec dans le milieu en évolution rapide de la télévision, des magazines populaires et des écoles en pleine laïcisation.

À partir de là, tout s’accélère. En 1962, Lacoursière, Vaugeois et des collaborateurs de Trois-Rivières lancent un journal de popularisation de l’histoire. Avec un tirage mensuel de 15 000 copies, le Boréal Express imite le format des journaux de l’époque entre 1524 et 1841 et comprend des éditoriaux, des bandes dessinées, ainsi que des articles sur les sports et la littérature. Le Boréal Express connaît un immense succès en faisant découvrir l’histoire du Québec à la vaste clientèle des kiosques à journaux et épicerie, ainsi qu’à ses nombreux abonnés. En 1969, le duo publie un manuel, Canada-Québec – Synthèse historique. En tant qu’ouvrage de référence du programme d’histoire des écoles secondaires du Québec, 80 000 copies sont vendues au cours des trois années suivant sa publication. Lorsque Vaugeois passe à la politique en 1976, Lacoursière fait équipe avec Hélène-Andrée Bizier. Ils reprennent le concept du Boréal Express en offrant un contenu historique hebdomadaire, cette fois en 144 épisodes hebdomadaire. Avec sa présentation attrayante d’événements historiques du quotidien et son utilisation efficace de l’iconographie, Nos racines, l’histoire vivante des Québécois constitue pour Lacoursière un autre grand succès commercial.

En tant qu’historien connaissant bien le milieu des médias, Jacques Lacoursière peut compter sur des amis bien placés dans les milieux culturels, politiques, académiques et des affaires. Dans les années 1960, il s’agit notamment du caricaturiste Lévis Martin, de l’administrateur universitaire Gilles Boulet et d’un collègue historien, Jean Provencher. Alors qu’il devient de plus en plus connu à la radio et à la télévision, dans les années 1970 et 1980, il bénéficie du soutien d’André Bureau, président de Télémédia, Astral Média, puis du CRTC, et de Marcel Masse, ministre fédéral des Communications. Le cinéaste Denis Arcand l’engage pour rédiger des scénarios et il fait équipe avec Gilles Carle pour produire Épopée en Amérique, une histoire novatrice du Québec en treize épisodes.

Lacoursière surfe également sur la vague de la nouvelle muséologie et de la construction de musées se démarquant de la tradition des Beaux-Arts. Il a été membre du conseil d’administration du Musée canadien des civilisations et du Musée McCord d’histoire canadienne. Vers la fin des années 1980, Lacoursière se joint à l’historien Jacques Mathieu et à une équipe interdisciplinaire composée d’ethnologues, d’archéologues, de linguistes et d’historiens afin de préparer l’exposition d’ouverture du Musée de la civilisation à Québec. Pendant les 16 années qu’elle a été présentée, l’exposition permanente intitulée « Mémoires » a attiré 16 000 000 de visiteurs. Son utilisation novatrice des « objets » pour illustrer des thèmes de l’identité québécoise a donné lieu à d’ardents débats entre muséologues. En 1991, Mathieu et Lacoursière publient Les mémoires québécoises, une synthèse des recherches qui ont mené à cette exposition.

Le milieu des années 1990 marque le sommet de la carrière de Jacques Lacoursière. Les cinq volumes de son Histoire populaire du Québec (1995-1997, 2008), immensément populaires, se sont vendus à quelque 250 000 exemplaires, et ont été partiellement traduits en anglais. De 1994 à 2004, il anime une émission de deux heures à la radio, le dimanche matin, intitulée J’ai souvenir encore. En 1995-1996, en tant que président du Groupe de travail sur l’enseignement de l’histoire, il s’attaque au défi de l’enseignement de l’histoire nationale et de la citoyenneté. Chargé de procéder à une évaluation et de proposer des réformes relatives à l’enseignement, à la formation des enseignants et aux manuels scolaires, Lacoursière écrit un rapport qui présente le Québec comme une « société marquée par l’hétérogénéité ». Même si l’histoire enseignée dans les écoles doit fournir une formation citoyenne sur les « principes, les règles et les institutions qui président au fonctionnement d’une société », elle doit aussi donner « une place équitable aux communautés autochtones » et l'élève doit être libre de « construire ses propres savoirs historiques selon ses besoins ou ceux de son groupe ».

Et pourtant, sous ses pieds, le sol bouge. La vente de ses livres et sa présence dans les médias reflètent sa capacité confirmée à faire vibrer la corde familière et peut-être nostalgique de la génération élevée avec ses manuels d’histoire des années 1970 et 1980. Mais certaines certitudes sur le passé du Québec sont mises à rude épreuve notamment par les manifestations autochtones à Oka, par le féminisme, les changements démographiques et par les blessures laissées par l’échec crève-cœur du référendum de 1995.

Pour leur part, les universitaires dans les comptes-rendus de son Histoire populaire du Québec critiquent ses tournures répétitives, et son incapacité à intégrer une nouvelle historiographie et du traitement qu’il réserve aux Premières Nations, aux immigrants et aux femmes. Ils soulignent que les quatre premiers volumes sont essentiellement une réédition de Nos Racines, publié dans les années 1970.

L’abandon des réformes proposées dans le rapport du Groupe de travail, l’importance accrue de l’Internet et des médias sociaux, le départ des représentants de sa génération au sein des ministères de la Culture et de l’Éducation, et la présence de plus en plus visible dans les médias, de jeunes historiens populaires issus des universités, comme Éric Bédard et Laurent Turcot, remettent en cause son influence à l’orée d’un nouveau siècle.

En somme, Jacques Lacoursière a réussi à écrire, à filmer, à exposer et à présenter une histoire nationale passionnée, une histoire, selon ses dires, avec une « âme », qui a suscité la curiosité du public et alimenté sa fierté. En même temps, en tant que communicateur influent sur l’histoire nationale du Québec, il s’est toujours attaché à éviter les manifestations de colère ou de partisanerie : même au cœur des débats sur la question nationale, son allégeance politique n’est jamais apparue clairement. Ancré dans les solides traditions de la région du Saint-Maurice et façonné par les intellectuels catholiques de Trois-Rivières dans les années 1950 et 1960, il a sans doute joué un rôle important pour atténuer les sentiments anticléricaux et anticapitalistes qui ont marqué la Révolution tranquille du Québec. En adhérant à une narration strictement chronologique et en utilisant les grands événements politiques comme contrepoints, il a imposé une certaine cohérence et symétrie au texte narratif de l’histoire fragmentée du Québec.

Son peuple canadien-français, malgré l’occasionnel mauvais garçon, est essentiellement ouvert, tolérant, vulnérable mais résistant. Il est également ingénieux et attaché à ses forêts et ses communautés. Plutôt que de mettre l’accent sur le genre ou la classe, il a présenté l’histoire du Québec à travers le quotidien, à travers le peuple et ses artéfacts et à travers les histoires des gens du commun et des grands personnages.

En faisant connaître cette histoire à la population, par ses livres, dans les kiosques à journaux, dans les salles de classe, dans les magazines, au cinéma, à la radio, à la télévision et dans les musées, Jacques Lacoursière et ses collaborateurs ont su imposer une histoire nationale du Québec qui rassemble la majorité et où elle se reconnaît.

L’accomplissement est de taille, avouons-le.

Professeur d’histoire (émérite) à l’Université McGill à Montréal, Brian Young a été membre du conseil d’administration de la Société Histoire Canada de 2006 à 2012.

Relié à Canada français