La révolution de l’éducation au Québec

Dans la société québécoise de l’après-guerre, moins de la moitié des élèves terminaient leur 7e année et cela, même si l’école avait été déclarée obligatoire en 1943 jusqu’à l’âge de 14 ans.

Écrit par Andrée Dufour

Mis en ligne le 12 avril 2018

Dans la société québécoise de l’après-guerre, moins de la moitié des élèves terminaient leur 7e année, même si l’école a été déclarée obligatoire en 1943 jusqu’à l’âge de 14 ans. Seulement un quart des élèves se rendaient à la 8e année. Seulement 2 % atteignaient la 12e année, et seulement 3 % des Francophones âgés de 20 à 24 ans fréquentaient l’université.

Les études postsecondaires étaient réservées à une minorité privilégiée qui entamait des études supérieures deux ans plus tard que les étudiants anglophones. Il y avait également une différence importante entre les hommes et les femmes; davantage de filles que de garçons terminaient leurs études secondaires, mais beaucoup plus de jeunes hommes que de femmes poursuivaient des études supérieures.

Les jeunes femmes pouvaient suivre une formation dans des instituts familiaux (en économie domestique), mais il était peu probable qu’elles fréquentent les collèges classiques, les écoles privées administrées par l’Église et qui constituaient en quelque sorte une porte d’entrée pour l’université.

Mais ce faible taux de participation et les inégalités entre les sexes n’étaient qu’une partie du problème. Bon nombre des programmes de formation des enseignants au niveau élémentaire étaient inadéquats. Le système d’éducation était mal coordonné et écartelé entre de multiples autorités dirigeantes.

Le système scolaire relevait du ministère de l’Instruction et était administré par le surintendant de l’instruction publique. Il n’y avait pas de ministère de l’Éducation et le surintendant était plus ou moins à la solde de deux comités, l’un catholique, l’autre protestant.

En outre, le Québec comptait deux systèmes scolaires distincts : un catholique, pour la majorité franco-catholique, et un autre protestant, pour la minorité essentiellement anglophone.

Vers la fin des années 1940 et dans les années 1950, on a commencé à vouloir moderniser et réformer le système scolaire. Mais ce n’est que lorsque les Libéraux prirent le pouvoir, en 1960, que les réformes commencèrent réellement.

Guidé par Paul-Gérin Lajoie et Arthur Tremblay, ministre dynamique et sous-ministre de la jeunesse, le gouvernement déclarait alors que l’éducation devait être accessible à tous les niveaux et à tous les citoyens, peu importe leurs origines.

Les Libéraux rendirent l’école obligatoire jusqu’à 15 ans et gratuite jusqu’en 11e année; avant 1964, les parents devaient payer pour les études de leurs enfants. Les Libéraux ont également augmenté le financement consenti aux commissions scolaires, versé une allocation aux parents ayant des enfants de 16 et 17 ans aux études et créé un système de prêts et bourses pour les étudiants des collèges et universités.

Ensuite, en mars 1961, ils lancèrent la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec, mieux connue sous le nom de Commission Parent.

Présidée par monseigneur Alphonse‑Marie Parent, la Commission Parent, formée de représentants reconnus de plusieurs groupes sociaux du Québec, avait pour mandat d’étudier l’organisation et le financement de l’éducation au Québec et de présenter ses recommandations au Ministre.

Ce mandat a donné lieu à un rapport en cinq volumes publié sur une période de trois ans. Le premier de ces volumes a été rendu public il y a quarante ans.

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L’influence de ses nombreuses recommandations et leur portée d’application sont sans précédent dans l’histoire des commissions royales d’enquête au Canada. L’éducation serait dès lors administrée par l’État sous la direction d’un ministère de l’Éducation, plutôt que par les églises catholiques et protestantes.

Les niveaux d’enseignement sont également modifiés : le niveau élémentaire continue d’être d’une durée de six ans, mais on exigera au préalable une année de maternelle.

Au secondaire, deux options sont créées : soit une formation générale de cinq ans, soit une formation en apprentissage, de courte ou de longue durée, dans un programme d’arts industriels, les deux programmes étant offerts dans les mêmes établissements, soit les écoles polyvalentes qui sont progressivement mises en place à partir de 1968.

Après 300 ans d’existence, les collèges classiques sont maintenant remplacés par des collèges d’études professionnelles, les cégeps (collèges d’enseignement général et professionnel), créés en 1967.

Les cégeps préparent les étudiants aux études universitaires ou au marché du travail dans le cadre d’un programme de formation de deux à trois ans. Le diplôme d’études collégiales, remis à la fin du cégep, devient également obligatoire pour les étudiants anglophones du Québec, qui ne passeront plus directement de l’école secondaire à l’université.

On apporte également plusieurs changements au niveau universitaire. Le baccalauréat remplace la licence, l’ancien diplôme de premier cycle.

Inspirés du système d’éducation américain, les nouveaux diplômes universitaires sont remis à la conclusion de programmes de formation de plus en plus spécialisés.

La maîtrise et le doctorat demeurent le deuxième et le troisième niveau des études supérieures.

Dans les faits, ces nouvelles mesures mettent en place un système d’éducation publique unifié, gratuit jusqu’à l’université et administré par un ministre de l’Éducation.

Fidèles à l’esprit de la Commission, ces mesures sont modernes, démocratiques et respectueuses des particularités de la société québécoise; elles garantissent un accès à l’éducation pour tous les Québécois, selon leurs aptitudes et aspirations, et les préparent à la vie en société.

Les programmes et méthodes d’enseignement sont également modifiés en fonction du développement général et continu des enfants. Des cadres définissent les objectifs à atteindre aux niveaux élémentaire et secondaire, ainsi que les matières obligatoires à enseigner. En classe, des méthodes d’éducation actives sont mises de l’avant.

Dès lors, tous les futurs enseignants seront formés dans les universités. Les nombreux petits collèges d’enseignement régionaux sont jugés dépassés et les commissaires insistent sur l’importance de reconnaître l’enseignement comme une profession louable afin d’éviter l’isolement des enseignants de niveau élémentaire.

En outre, comme il n’y a pas suffisamment d’universités pour accueillir tous ces nouveaux étudiants, on propose de créer une autre université dans les centres régionaux. Cette recommandation se concrétise avec l’établissement des campus de l’Université du Québec, la première université provinciale.

Son campus de Montréal (UQAM) et d’autres campus régionaux ouvrent leurs portes en 1969.

Avec la création d’un nouveau ministère de l’Éducation et du Conseil supérieur de l'éducation, un conseil consultatif autonome formé de membres appartenant à divers groupes de la société québécoise, les structures de l’éducation sont réorganisées.

Pour garder vivante une tradition de plus de 300 ans avec les autorités catholiques de la province, qui perdent graduellement tous leurs privilèges en matière d’éducation, le système scolaire conserve son lien avec la religion.

Deux comités, un catholique l’autre protestant, sont chargés de la formation morale et religieuse. Les commissions scolaires sont encore confessionnelles, plus particulièrement la grande Commission scolaire des écoles de Montréal, dont le statut religieux est garanti par l’arrêté 93 de la Loi constitutionnelle de 1867.

Même si le nouveau système d’éducation est essentiellement public, les écoles privées sont également financées et reconnues dans le préambule de la Loi 60 de 1964, créant le ministère de l’Éducation. Les établissements privés qui présentent un intérêt public sont largement financés par le gouvernement pour assurer leur survie et leur développement.

En 1970, 60 000 élèves, ou 3,7 % de tous les élèves québécois, de la maternelle au collège, sont inscrits dans des écoles privées. En 1983, ils seront 108 000, ou 8,3 %.

Mais ce sont les élèves du système public qui bénéficient le plus de cet accès accru à l’éducation. Les progrès sont impressionnants.

Au début des années 1960, seulement 30 % des élèves inscrits en 1ère année atteignent la 9e année, et 14 %, la 11e année.

En 1985, grâce aux nombreuses écoles polyvalentes établies dans toute la province, 72 % des élèves obtiennent un diplôme d’études secondaires. Les cégeps attirent de plus en plus de jeunes étudiants. Les trois quarts des étudiants sont en fait les premiers de leur famille à atteindre un tel niveau d’éducation.

Grâce au vaste réseau universitaire, plus particulièrement en région, la croissance des inscriptions dans les universités est encore plus marquée. Seulement 4 % des étudiants de 20 à 24 ans fréquentaient l’université en 1960; ils seront 12 % en 1977 et près de 20 % aujourd’hui.

Les femmes sont celles qui bénéficient le plus de cette démocratisation de l’éducation. Dans les collèges, le nombre de femmes dépasse rapidement le nombre d’hommes. Dans les universités, elles passent de 14 % de la population étudiante en 1961 à plus de 50 % en 1983, un pourcentage qui ne cesse de croître.

Les femmes, qui étudiaient essentiellement en enseignement et en sciences sociales, sont maintenant plus nombreuses au sein des facultés de pharmacie, de droit, de médecine et d’optométrie.

Malgré l’importance accordée à la démocratisation du système d’éducation dans le rapport Parent et les différentes mesures adoptées pour concrétiser cette vision, il demeure certains problèmes.

En pratique, toutes les classes sociales n’ont pas le même accès à l’éducation; les jeunes issus de milieux modestes sont toujours une minorité au sein des universités. Les élèves du secondaire de Montréal, des régions éloignées et des communautés autochtones accusent un taux de décrochage dramatique de 35 %.

Les polyvalentes risquent également de disparaître : n’offrant pas suffisamment de défis et de choix, elles sont physiquement divisées pour offrir une formation générale et professionnelle.

Malgré ces quelques problèmes, qui sont plutôt attribuables aux nouvelles valeurs et réalités sociales du Québec qu’aux difficultés associées à l’expansion de l’éducation, les nombreuses recommandations issues de ce rapport marquant ont été mises en œuvre et ont donné des résultats positifs.

On peut sans aucun doute soutenir que le rapport Parent a fait davantage que tout autre document pour moderniser et démocratiser la société québécoise.

Cet article a été publié à l’origine dans le magazine The Beaver, août-septembre 2003.

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