Le droit de vote des femmes au Québec

La lutte pour le droit de vote a été longue et dure. 

Écrit par Lorraine Pagé

Mis en ligne le 10 mars 2020

L’année 2015 marquant le 75e anniversaire de l’obtention du droit de vote pour les femmes au Québec, il y a lieu de se demander s’il faut souligner que cela fait seulement 75 ans… ou déjà 75 ans? Il ne fait aucun doute dans mon esprit que les deux perspectives sont justes. Oui, il y a seulement 75 ans que les Québécoises, après de nombreuses années de revendications et bien après les femmes de d’autres pays et des autres provinces canadiennes, ont obtenu le droit de vote. Et oui, il y a  déjà 75 ans que ce droit a été acquis, mais les inégalités demeurent toujours relativement à la place des femmes en politique active.

Un petit survol historique

Il importe de rappeler qu’« il n’est pas  possible de parler de féminisme s’il n’y a pas, à la base, une révolte contre la position sociale subordonnée des femmes ». Pas surprenant donc que, dans cette perspective, le droit de vote des femmes ait été, à travers le monde, une lutte et une conquête emblématiques du mouvement féministe. Il est encore moins surprenant de constater que cette revendication a soulevé une opposition farouche.

Un très court survol historique s’impose si on veut bien comprendre la lutte pour le droit de vote des femmes au Québec.

Peut-on dire que la première manifestation politique du féminisme, révolte contre la position sociale subordonnée des femmes, se situe au moment de la Révolution française sous la plume d’Olympe de Gouges avec la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne ? Pour ma part, c’est ce que je crois. Née en 1748 et guillotinée en 1793, c’est à elle qu’on doit la rédaction de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne dans laquelle elle ose compléter les libertés civiles par les libertés individuelles.

Elle y proposait la révision du mariage; réclamait des secours pour les filles-mères; demandait l’octroi d’une pension alimentaire en cas de divorce. Elle y écrivait que tous les citoyens et citoyennes doivent être « également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics … sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ». Cette déclaration sombra dans l’indifférence et son auteure dans l’oubli. Malgré son audace politique et ses idées très en avance sur son temps, Olympe de Gouges n’a eu droit qu’à une ligne ou deux dans les manuels d’histoire et sa première biographie n’a été publiée qu’en 1981.

Si l’oppression des femmes remonte loin dans l’histoire, ce n’est qu’en 1837 que le terme «féminisme» a été inventé. Il fait son apparition en 1876 dans le discours militant. Il a cependant émergé véritablement autour de 1882. Les revendications et les luttes des femmes allaient maintenant porter un nom.

Le droit de vote, une lutte et une conquête

Le droit de vote est l’un des principaux enjeux des mouvements féministes naissants au 19e siècle qui voit les femmes se rebeller contre la tyrannie masculine et le rôle de second plan qu’on leur attribue dans la société.

En France

L’Union française pour le suffrage des femmes voit le jour en 1909. Cependant, le mouvement suffragiste français n’atteint pas les dimensions de son homologue britannique. Réticent à recourir à l’action directe, il n’adopte pas non plus les méthodes radicales qui ont fait la renommée des «suffragettes» d’outre-Manche.

Le droit de vote pour les femmes est voté par la Chambre des députés en 1919, mais le Sénat le bloquera à plusieurs reprises. Il faudra attendre une ordonnance en 1944 pour que les femmes françaises acquièrent le droit de vote.

En Grande-Bretagne

Une première organisation militante pour le droit  de  vote des femmes apparaît en 1897, la National Union of Women’s Suffrage Societies (NUWSS). En 1903, l'Union sociale et politique des femmes, la Women’s Social and Political Union (WSPU), voit le jour. Ses membres plus radicales n’hésitent pas à employer des moyens militants, voire même violents ou illégaux, pour défendre leur cause. Un  article  du  Daily Mail de 1906 leur donne le nom de « suffragettes ».

On assiste alors aux premières arrestations au nom  du  droit  de vote pour les femmes, qui seront nombreuses par la suite. Pour protester  contre  leur  incarcération,  les  suffragettes  font la grève de la faim. Le gouvernement britannique, déterminé, réplique en les gavant. Le gavage arrête en 1913 avec la loi surnommée « le chat et la souris » qui prévoit la libération des femmes affaiblies par la grève de la faim et une nouvelle incarcération dès que leur état de santé s’améliore. La population trouve cette loi cruelle et les suffragettes gagnent ainsi la sympathie de l’opinion publique.

Le mouvement se calme avec le déclenchement de la Première Guerre mondiale en 1914. Finalement, en  1918, les femmes de plus de 30 ans, chefs de famille ou mariées et propriétaires, obtiennent le droit de voter ce qui représente 40 % des femmes du Royaume-Uni. Il faudra attendre 1928 pour que l’âge soit réduit à 21 ans et que les conditions du droit de vote des femmes soient les mêmes que celles des hommes.

Comparativement au Royaume-Uni, la lutte dans certaines parties de l’Empire a été beaucoup plus paisible. En 1893, la Nouvelle-Zélande est le premier pays à avoir reconnu aux femmes d’origine européenne, mais aussi maoris, le droit de voter et d’être candidate aux élections.

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Aux États-Unis d’Amérique

La lutte des suffragettes britanniques inspirera les Américaines. Le Mouvement abolitionniste et le mouvement du droit des femmes sont étroitement imbriqués aux États-Unis. En 1920, l’État fédéral adopte un amendement à la Constitution reconnaissant le droit de vote des femmes au niveau fédéral. Toutefois, les différents États accorderont ce droit aux femmes américaines sur plusieurs années et les Afro-Américaines ne verront leurs droits reconnus qu’en 1965.

Au Canada

En 1913, Carrie Derick (1862-1941) fonde la Montreal Suffrage Association, premier mouvement organisé et orienté vers l’obtention du droit de vote des femmes au niveau fédéral. En 1918, les Canadiennes obtiennent le droit de vote au fédéral si elles ont plus de 21 ans, sont sujets britanniques et répondent aux mêmes critères qui donneraient le droit à un homme de voter. Les Autochtones devront attendre 40 ans pour obtenir ce droit.

Pendant ce temps au Québec

Le  contexte  politique  n’y  est   pas   du tout favorable à l’émergence du mouvement féministe. L’échec de la rébellion  de  1837  a considérablement affaibli la petite bourgeoisie libérale et a permis au clergé de raffermir sa position dans de multiples secteurs : éducation, santé, assistance sociale, culture et information. Mgr Bourget préconise la domination de l’Église sur l’État et la soumission de la société civile à l’Église et au pape.

Alors que l’Acte d’Union accorde le droit de vote aux femmes, les parlementaires du Bas-Canada avaient manifesté, dès 1834, l’intention d’exclure les femmes de la catégorie des électeurs et Louis-Joseph Papineau appuie cette volonté. En 1849, le droit de vote est retiré aux femmes qui se retrouvent alors privées de droits politiques, comme les autres Canadiennes.

Même si les premiers mouvements politiques en faveur des droits de la femme apparaissent au milieu du XIXe siècle en Europe et aux États-Unis, c’est seulement à compter de 1900 que « le vent est au féminisme » au Québec. Le mouvement se heurte tout de suite à des forces d’opposition puissantes : le clergé, la bourgeoisie canadienne-française qui exerce le pouvoir politique et l’élite intellectuelle.

La presse, par la voix des journalistes masculins Henri Bourassa et Olivar Asselin pour ne nommer que les plus connus, s’oppose ouvertement aux positions féministes. Les prêtres ne sont pas unanimes. Quelques-uns soutiennent que le féminisme a l’Église pour auteur puisque c’est le Christ qui a délivré la femme de l’esclavage. D’autres estiment que le féminisme est un mouvement pervers qui menace les bases de la famille et de la société.

L’opposition a été d’autant plus vive au Québec que l’origine du mouvement féministe était anglo-saxonne et protestante, ou athée dans la France républicaine. Pendant cette période, le mouvement suscite donc une grande réprobation sociale, exprimée dans presque tous les lieux où s’exerce le pouvoir.

Au Québec, les premières luttes pour le suffrage se dérouleront aux paliers scolaire et municipal. Depuis 1892, les femmes veuves et célibataires répondant aux critères de propriété peuvent voter au palier  scolaire car la loi ne précise pas le sexe des propriétaires. En théorie, la loi permet aussi l’éligibilité de ces dernières, mais elle sera modifiée pour retirer aux femmes non pas le droit de vote, mais celui d’éligibilité.

Du côté municipal, le conseil municipal de Montréal tente en 1902 de retirer le droit de vote aux femmes locataires veuves ou célibataires ayant les qualités financières prévues à la loi. La mobilisation des féministes  et des réformistes fait échouer le projet et c’est l’une des rares victoires des suffragettes québécoises. Il faut noter cependant que cette victoire  ne touche, dans les faits, qu’un nombre restreint de femmes (environ 5 000) car celles qui sont mariées sont juridiquement des incapables et ne jouissent d’aucun droit à cet égard.

La lutte pour le vote des femmes a éclipsé toutes les autres dans la mémoire collective. Elle est importante, même si c’est une lutte parmi d’autres. C’est celle qui a suscité le plus d’opposition parce que l’inclusion des femmes dans l’exercice du suffrage mettait fin à leur écart de la vie publique et représentait une menace à l’ordre démocratique et à l’autorité masculine dans la famille. Il faudra donc attendre 1940 pour que le droit de vote soit accordé aux Québécoises.

Mais qui donc étaient ces « suffragettes » québécoises ?

Les militantes féministes ne sont pas nombreuses : il ne s’agit pas d’un mouvement de masse, elles représentent ce qu’on désigne couramment comme l’élite de la société.

Il y a eu d’abord Marie Gérin-Lajoie (1867-1945), la pionnière du féminisme organisé au Québec. Elle fonde en 1907 la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste, avec Caroline Dessaules-Beïque et Joséphine Marchand-Dandurand, et milite activement pour le suffrage féminin.

Il y a eu aussi Idola Saint-Jean (1875-1945), une des premières théoriciennes du féminisme, qui fonde en 1927 l’Alliance canadienne pour le vote des femmes du Québec, un organisme très militant.

Il y a enfin Thérèse Forget-Casgrain (1893-1980), fondatrice de la Ligue des droits de la femme, et dont le nom reste intimement lié à la lutte pour le droit de vote des femmes.

Au-delà des divergences idéologiques, les deux associations, l’Alliance et la Ligue, collaborent étroitement et organisent diverses manifestations publiques et font campagne dans les médias. Au cœur des stratégies féministes figure, dès 1922, le pèlerinage annuel à l’Assemblée législative où des déléguées assistent des tribunes au débat entourant le dépôt d’un projet de loi accordant le droit de vote aux femmes et déposé par un député sympathique à la cause.

Cette guerre d’usure, pas plus que le dépôt d’une pétition de 10 000 signatures en 1935, ne vient pas à bout des résistances. Le déblocage ne survient que grâce à Thérèse Casgrain qui, profitant de sa position de vice- présidente du Club des femmes libérales, parvient à faire inscrire cette question au programme du parti lors du Congrès de 1938. Élu, Adélard Godbout fait adopter la loi en avril 1940.

La bataille des femmes pour le droit de vote s’est étendue sur plus d’un siècle. Nous étions en droit de croire que cette étape franchie, la place des femmes en politique irait de soi assez rapidement. Pourtant, nous sommes encore bien loin du compte. Entre égalité de droit et égalité de fait, un grand écart subsiste toujours.

Passer du droit de vote à l’éligibilité effective

Il n’y a jamais eu autant de femmes à la tête de parlement à travers le monde, mais elles ne comptent que pour environ 7 % des chefs d’État. 17 % des parlementaires à travers le monde sont des femmes, mais si elles représentent 40 % dans les pays nordiques, elles sont 7 % dans les pays arabes.

Quelle est la situation 75 ans après l’obtention du droit de vote au Québec et près d’un siècle au Canada ?

Il faut malheureusement constater que les femmes sont encore sous-représentées en politique active. Quelques statistiques en témoignent. Au sein du Parlement du Canada, on retrouve 24,7 % de femmes élues députées.

Au Québec, les femmes représentent 17 % des maires, 32 % des conseillers municipaux et 27 % des députés. Parmi les dix villes les plus peuplées de la province, quatre ont atteint la zone paritaire parmi leurs élus, soit Montréal, Longueuil, Québec et Sherbrooke.

Plus spécifiquement, à Montréal, à la suite de l’élection de 2013, on compte trois femmes mairesses d’arrondissement sur 19 postes. 22 femmes sont conseillères de ville sur 65 postes; 21 femmes sont conseillères d’arrondissement sur 38 postes.

Au Québec, la présence des femmes a beaucoup progressé avant de connaître une certaine stagnation aux environs de 30 % à partir de 1998. Leur place a évolué selon un modèle « plateau », c’est-à-dire que leur présence a progressé pendant un certain temps puis a été suivie d’une longue stagnation. D’autres qualifient ce plateau de « plafond de verre », difficile à briser si l’on ne change pas les règles du jeu. Depuis 1997, on trouve environ 20 % de femmes en politique fédérale. Ni le taux de candidatures féminines ni le taux de femmes ministres au Canada n’ont encore rejoint ceux atteints au Québec.

Il est temps d’agir

Les causes de la faible présence des femmes dans les institutions politiques sont multiples et bien connues. Elles ont été exclues du pouvoir politique pendant plusieurs siècles. La socialisation des filles est différente. Le partage inégal du travail domestique est encore la règle observée. Les partis politiques recrutent et présentent moins de femmes candidates et le font plus souvent dans des comtés où la victoire est loin d’être assurée.

Il est donc essentiel d’agir sur plusieurs fronts pour atteindre la parité, ou du moins s’en rapprocher. Des modifications visant les éléments structurels de la politique doivent être entreprises; des réformes sont nécessaires dans quatre domaines : le recrutement des candidates, l’articulation travail-famille chez les élus, la socialisation politique des femmes et le financement des projets structurants pour soutenir la participation politique des femmes.

En guise de conclusion

La lutte pour le droit de vote a été longue et dure. Il importe maintenant qu’elle donne tous ses fruits et que la présence paritaire des femmes en politique devienne une réalité. Les femmes comptent pour la moitié du monde; une démocratie réelle ne peut les exclure de l’exercice du pouvoir politique.

Lorraine Pagé a été enseignante au primaire et au secondaire à Montréal. Elle a été présidente de l’Alliance des professeurs et professeures de Montréal de 1985 à 1988, présidente de la CEQ (aujourd’hui la CSQ), de 1988 à 1999, devenant ainsi la première femme présidente d’une centrale syndicale au Québec, puis directrice des communications de cette centrale jusqu’en 2003.

Depuis 2003, elle a agi comme conférencière, entre autres à l’Université du troisième âge de l’Université de Sherbrooke, et comme consultante auprès de diverses organisations syndicales et féministes.

Elle est membre du Conseil supérieur de la langue française depuis 2002 et a été membre du Conseil des Montréalaises de 2008 à 2011. Elle est également présidente du Conseil d’administration de la Fondation Léa-Roback. Elle a été élue en novembre 2013 comme conseillère de ville à Montréal et est devenue cheffe de la troisième opposition au Conseil municipal.

Elle a été récipiendaire du Prix Chomedey-de-Maisonneuve remis par la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal (1987). Le Gouvernement du Québec lui a décerné en 1990 l’Ordre des francophones d’Amérique.

Ce texte reprend essentiellement le contenu d’une allocution prononcée au Congrès de la SPHQ, le 22 octobre 2015.

Cet article est paru à l’origine dans la revue Traces, volume 54, numéro 2, printemps 2016, pages 40 à 43. La revue est publiée par la Société des professeurs d’histoire du Québec (SPHQ).

La SPHQ a pour mission de promouvoir l’enseignement de l’histoire au Québec sous tous ses aspects, auprès de ses membres et de la population en général et de contribuer à assurer la transmission de l’information et le développement des professionnels de l’enseignement.

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