Honorer l'histoire autochtone

Célébrer la culture et le courage des peuples autochtones constitute un premier pas vers la réconciliation. 

Écrit par Lee Maracle

Mis en ligne le 1 février 2019

La féderation des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario ont voté à l’été 2017 pour faire retirer le nom de Sir John A. Macdonald de toutes les écoles publiques de la province.

Proposée dans le cadre des efforts de réconciliation avec les peuples autochtones, cette recommandation me rappelle la controverse, il y a plus de vingt ans, entourant l’usage de noms autochtones pour des équipes sportives et leurs mascottes, ainsi que pour d’autres produits.

Dans un premier temps, je n’appuyais pas cette lutte pour cesser d’utiliser des noms autochtones de cette façon. Un peu plus tard, j’ai lu un article débutant par le texte suivant « Ride a Jew — a Jew can really take a beating » (conduisez un Juif – il peut tout endurer).

J’étais horrifiée. En fait, l’auteur expliquait à la fin de son article qu’il avait tiré ce texte d’une publicité et avait tout simplement remplacé le mot « Cherokee » par « Juif ».

Pourquoi cette version révisée est‑elle aussi épouvantable? Est‑il normal de manquer ainsi de respect aux peuples autochtones? Qu’est‑ce qui cloche ici?

Certains Autochtones se sont penchés sur le sujet et ont adopté la position de la FEEEO, exhortant le gouvernement à changer les noms des écoles nommées en l’honneur de Macdonald. Bien entendu, l’enjeu est délicat et l’idée a de nombreux détracteurs.

Mais l’argument en faveur de ce changement est simple : nous ne devrions pas célébrer ceux et celles qui ont fait souffrir les peuples autochtones.

Mais je me questionne sur cette approche. Il est vrai que les peuples autochtones ont beaucoup souffert de la décision de Macdonald d’appuyer Egerton Ryerson, le fondateur du système d’éducation de l’Ontario.

Ryerson disait que les enfants autochtones ne pouvaient pas suivre une formation régulière et devaient plutôt être confinés dans des pensionnats où on leur prodiguerait une formation utile à l’industrie.

La création des pensionnats n’est pas l’unique tare de Macdonald. L’expansion du Canada, au-delà de l’Ontario et du Québec, a requis la répression des Métis du Manitoba et du mouvement de résistance de la Rivière Rouge, dirigé par Louis Riel, une tare qui figure au sommet de ma liste.

En tant que fille d’une mère métisse, je ne suis pas une partisane de Macdonald, l’homme responsable de la pendaison de Riel.

Et pourtant, je ne crois pas que le fait de changer des noms sur des bâtiments incite davantage le Canada à respecter ses ententes avec les Métis, un geste qui supposerait un changement en profondeur.

Si l’idée de départ est de lancer une conversation sur les décisions douteuses de Sir John, on pourrait commencer par les écrits de l’autrice métisse, Marilyn Dumont, avant de prendre des décisions rapides et décisives.

Son poème, « Letter to Sir John A. Macdonald » commence par ces lignes : « Dear John: I’m still here and halfbreed,/ after all these years/ you’re dead, funny thing » (Cher John : je suis encore là et métisse/après toutes ces années/tu es mort, comme c’est bizarre ». 

La réconciliation n’a pas uniquement pour but de réconforter les peuples autochtones. La Commission de vérité et réconciliation (CVR) du Canada a formulé 94 appels à l’action. Le retrait du nom de Macdonald sur les bâtiments publics n’en faisait pas partie.

Il semble que les aspects de la réconciliation qui intéressent le plus les Canadiens ne sont pas ceux qui viseraient une plus grande égalité économique, et qui auraient les répercussions les plus utiles. On s’attarde plutôt aux excuses et à leur dimension émotive.

Un de ces appels à l’action consiste à ériger des monuments en l’honneur des Autochtones – les héros et les survivants. Le retrait du nom de Macdonald révélera-t-il celui des héros autochtones?

Permettez-moi d’en douter. Changer le nom d’un immeuble n’est qu’une autre forme d’excuse, sans véritable profondeur.

Je suis prudente en rédigeant ce texte. Je sais que le bien-être émotionnel des survivants et de leurs personnes à charge est essentiel, après toutes les souffrances vécues.

D’un autre côté, je me demande si l’on n’esquive pas ainsi une occasion de se souvenir. Je ne suis pas une adepte du « grand débarras ».

Ma fille, Columpa C. Bobb, qui est une autrice, une photographe et une actrice, est d’accord avec moi. Elle m’a dit : « Je crois que l’on devrait conserver le nom, et changer la plaque ». La phrase qui commémore la Première Guerre mondiale est « Nous nous souviendrons d’eux ».

Les nombreux monuments aux morts et statues de soldats nous rappellent les guerres qui ont emporté un si grand nombre d’entre eux. Ces guerres étaient terribles, mais nous ne nous débarrassons pas des monuments qui les commémorent.

Je crains qu’en effaçant le nom de John A. Mac­donald de l’histoire, nous en arrivions à oublier ce qui est arrivé aux enfants autochtones dans un avenir pas si lointain.

On devrait plutôt installer une plaque sur les immeubles portant son nom, expliquant le rôle qu’il a joué dans la constitution du réseau de pensionnats autochtones.

J’aimerais également que quelqu’un explique comment ce personnage a acquis le titre de « Sir ». Sans cette plaque, nous ratons un moment propice à l’apprentissage.

Niigaan Sinclair, organisateur d’Idle No More et professeur d’études autochtones à l’Université du Manitoba, nous dit « les écoles sont sans doute les lieux les plus importants de la nation.

C’est là que se déroulent les conversations les plus fondamentales… ». Quelles discussions pourrons-nous avoir si nous retirons le nom de Mac­donald? Pendant quelques années, on se souviendra que l’immeuble portait un nom différent… ensuite, il tombera dans l’oubli.

Si nous voulons avancer sur la voie de la réconciliation, il faut éviter les décisions qui risquent de créer la controverse et le malaise. Commençons par honorer les enfants qui ont fréquenté ces écoles. Installons des plaques et érigeons des monuments pour eux, plutôt que de retirer autre chose.

Racontons les méfaits de Macdonald et d’autres personnages de notre histoire, et expliquons le rôle qu’ils ont joué pour détruire nos langues et nous enfermer dans des pensionnats. De cette façon, nous disons « Nous n’irons plus jamais dans cette voie ».

La CVR demande au pays d’honorer davantage d’Autochtones. Mon grand-père, le chef Dan George, est sans doute l’homme autochtone le plus peint et photographié de l’histoire canadienne, mais aucun monument n’a été érigé en l’honneur du travail de réconciliation qu’il a entrepris bien avant la CVR ou la fermeture des pensionnats.

Lorsqu’on lui a demandé de chanter lors des cérémonies du 100e anniversaire du Canada, il a plutôt demandé le droit de parler, qui lui fut refusé. Il a toujours parlé de l’importance de se rassembler, comme êtres humains, et a toujours défendu la paix, l’amitié, la justice et l’équité entre les Autochtones et les Canadiens.

L’ancien président de la CVR, Murray Sinclair, affirme qu’il faut cesser de se disputer au sujet des bâtiments nommés en l’honneur de Sir John A. Macdonald et plutôt commencer à honorer des héros autochtones méconnus. Je suis tout à fait d’accord.

Je suis une Sto:lo. Notre filou (ou joueur de tours) est le vison. C’est un petit prédateur féroce. Un petit vison peut briser le cou de vingt souris en un battement de paupière. Il peut même vaincre un loup ou un coyote.

Il boit du sang, mais ne mange pas la chair de ses proies. Mais nous l’adorons. Je me suis déjà interrogée sur cela et ma fille m’a répondu : « Il nous enseigne exactement ce qu’il ne faut pas faire! ».

Je crois que le fait de laisser le nom intact et d’ajouter une plaque peut nous rappeler ce qu’il ne faut pas faire.

Lee Maracle est une poète Sto:lo et autrice qui enseigne au Centre for Indigenous Studies de l’Université de Toronto, où elle encadre également des étudiants autochtones.

Cet article est paru dans le numéro de février-mars 2019 du magazine Canada’s History.

Cet article est aussi offert en anglais.

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