Les lumières du phare

Et les marins du lac Huron dirent : «Que les phares soient!» Et les phares furent. Penny Johnston, qui en a visité plusieurs sur les côtes et les hauts-fonds de la péninsule Bruce en Ontario, peut témoigner de leur majesté.

Écrit par Penny Johnston

Mis en ligne le 12 février 2013

Il y a deux étés, les eaux basses du lac Huron mirent à découvert les côtes de la coque d’une goélette à Southampton Beach, à cinq heures de route de Toronto.

Les fouilles menées par des archéologues ont permis d’exposer un cadre de chêne massif, deux mâts de 18 mètres de longueur et un barrot de 5,4 mètres. Les artefacts militaires récupérés suggèrent que le navire avait été utilisé lors de la guerre de 1812, mais qu’il s’échoua quelques années plus tard.

Un tel naufrage n’était pas inhabituel aux premiers jours de la colonie le long du lac Huron et de la baie Georgienne. Les récifs cachés, les rochers acérés et les bancs de sable en constant déplacement faisaient de la navigation à cette époque un véritable cauchemar.

La colonisation vers l’est, le commerce accru sur les Grands Lacs et le recours aux bateaux à vapeur, vers le milieu du 19ᵉ siècle, entraînèrent d’importants changements.

Dans les années 1850, une série de phares fut construite le long de la côte Bruce du lac Huron, dont six phares «impériaux». La Grande-Bretagne paya les coûts de construction, et des maçons écossais taillèrent les pierres et les envoyèrent ensuite vers la colonie comme ballast.

Aujourd’hui, le phare de Cove Island, qui indique toujours le passage à travers le périlleux détroit entre le lac Huron et la baie Georgienne, est encore en excellente condition avec sa lentille de Fresnel, expédiée de Paris et assemblée par des techniciens français.

Les cinq autres phares continuent de guider la navigation. Mais pour les vacanciers, ces phares et les neuf autres le long de la côte Bruce demeurent de superbes points de repère, ponctuant la côte de leur colonne blanche et de leur toit rouge, en nous rappelant un mode de vie maintenant détrôné par les technologies modernes.

On peut commencer notre visite au phare de la Pointe-Clark, un lieu historique national à 35 km au nord de Goderich. La tour et la maison du gardien sont ouvertes aux visiteurs en saison. Comme tous les autres phares impériaux, celui de la Pointe-Clark a été construit pour durer.

Au niveau du sol, les élégants murs de calcaire dolomitique ont près de deux mètres de largeur, et vont en s’amincissant jusqu’à 0,6 mètre au sommet, où l’on observe un élargissement pour supporter une lanterne de verre à 12 côtés, bien fixée dans un cadre de fonte.

Une tête de lion en bronze à chaque angle des saillies permet de déverser l’eau de pluie qui s’écoule du toit rouge en dôme. Pointe-Clark, comme toutes les autres tours impériales, a été construite par un Écossais du nom de John Brown, qui a fait son apprentissage comme maçon à Glasgow. Il est reconnu aujourd’hui comme un artisan de grand talent.

Cependant, transporter les pierres et la main-d’oeuvre sur ces sites éloignés se révélait un véritable cauchemar pour John Brown, et il évita la faillite de justesse. Seulement six des onze phares prévus furent construits. Les coûts étaient beaucoup trop élevés pour les colonies qui ne roulaient pas sur l’or.

Prenez la direction nord sur l’autoroute 21 pendant 20 minutes et vous atteindrez le phare et le musée de Kincardine, situés dans le port.

La tour de bois octogonale a été construite en 1881 afin d’héberger une industrie locale de pêche et de salage. À travers les vitres de la lanterne, on peut apercevoir les vestiges du Ann Maria, une goélette qui sombra en 1902, juste au large du quai, direction sud.

Le greffier municipal John H. Scougall (1805-1922), dont le passe-temps était de photographier la vie quotidienne dans sa ville, fut un des premiers à se précipiter au port pour photographier le naufrage. Vous pouvez voir ses photographies dans une salle qui porte son nom. Adjacente à la tour se trouve une maison de six chambres.

Dans la cuisine des quartiers de l’ancien gardien se trouvent des photographies et les pages d’un journal que gardait ce dernier. Chaque soir, pendant l’été, un joueur de cornemuse écossaise monte les escaliers du phare pour jouer ses mélodies au coucher du soleil.

Après un trajet de 40 minutes au nord de Southampton, faites une visite en bateau de 15 minutes à partir du port pour visiter un autre phare impérial, le magnifique phare de Chantry Island, et la maison du gardien, restaurée avec amour par des bénévoles.

L’île est un sanctuaire protégé par le gouvernement fédéral où l’on trouve plus de 40 000 oiseaux qui reviennent au printemps, y compris 60 variétés d’aigrettes.

On trouve également à Southampton le musée de Bruce County qui a été restauré et agrandi en 2005. Dans la Marine Gallery (galerie maritime), vous verrez un diorama d’un naufrage, décrivant l’excavation sur la plage de Southampton de la mystérieuse goélette et présentant de nombreux artefacts.

À une heure de route au nord de Southampton, on peut faire un tour de bateau à partir de Tobermory, dans la baie Georgienne, pour visiter Flowerpot Island, une excursion de près de deux heures. Prenez le sentier en boucle qui monte sur l’île jusqu’à la maison du gardien pour en apprendre davantage sur les nombreuses goélettes qui se sont échouées dans le parc marin national Fathom Five.

Sur le côté est de la pointe de la péninsule Bruce, un des derniers phares construits, Cabot Head (1896), se tient seul et isolé sur une falaise de calcaire, 21 km à l’est de Wingfield Basin, une importante réserve faunique de la baie Georgienne.

Au début des années 1900, la construction de chemins de fer et de routes entraîna la diminution du transport maritime. On cessa de construire de nouveaux phares. Mais grâce à leur facture solide, bon nombre d’entre eux demeurent un rappel émouvant de l’âge d’or de la navigation sur les Grands Lacs.

Penny Johnston est une autrice de Toronto.

Cet article est paru dans le numéro décembre 2005-janvier 2006 du magazine The Beaver.

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